Je questionnais récemment mon fils sur la révolution industrielle. Mes souvenirs des cours de sciences sociales en septième année étaient nébuleux et tournaient vaguement autour des moteurs à vapeur et de la mécanisation des tâches à forte intensité de main-d’œuvre manuelle. Ce qui m’avait frappée, c’était les changements sociétaux qui s’étaient alors produits. Il est difficile de s’imaginer le mouvement rapide des ouvriers qui quittaient les milieux agricole et de la confection à petite échelle pour rejoindre une société caractérisée par les machines et la fabrication de masse. La révolution industrielle a transformé la population, qui est passée du travail à la maison au travail à l’extérieur.
La pandémie d’infection au coronavirus 19 (COVID-19) a de toute évidence renversé la tendance au travail à l’extérieur. En effet, la COVID-19 a bousculé bon nombre de nos normes sociétales, ce qui est particulièrement évident dans les soins primaires. Le désir de maintenir les patients et le personnel en sécurité s’est traduit par un recours accru aux visites virtuelles. Ces visites qui, jusqu’à récemment, n’étaient pas rémunérées dans de nombreuses provinces, ont désormais été reconnues comme une prestation valide de soins. En conséquence de cette situation, de nombreux médecins de famille remettent à plus tard les rendezvous moins urgents, comme les examens médicaux périodiques. L’accès restreint aux services de dépistage dans de nombreuses provinces signifie que les tests sont retardés. Avant tout, peut-être, la prolifération de données fausses ou trompeuses sur le traitement de la COVID-19 nous a rappelé d’être sceptiques et d’exiger des données probantes de haut niveau pour orienter nos soins. Comme nous pouvons le constater une fois de plus, de nombreuses « idées apparemment bonnes » ont été réfutées par des études randomisées contrôlées bien exécutées.
Les soins primaires ne font pas exception lorsqu’il s’agit de bonnes idées fondées sur des données limitées. La prévention en est un bon exemple. En théorie, plus on prévient de maladies, moins de traitements seront nécessaires plus tard. Durant la révolution industrielle, la prévention sous forme de logements salubres, de traitement des eaux usées et de réglementation sur l’eau a freiné la vague des maladies endémiques dans les villes industrielles. Une augmentation rapide dans le développement de vaccins durant les années 1950 a ralenti la propagation des maladies pédiatriques. Par ailleurs, au cours des dernières années, nous avons peut-être été trop zélés dans nos efforts de prévention. La plupart des interventions aux effets significatifs ayant été identifiées, les nouvelles recommandations sur la prévention et le dépistage visent des créneaux plus ciblés, et reposent sur peu de données, ou aucune, qui révèlent peu de bienfaits ou aucun.
Les soins médicaux ont changé considérablement depuis le début de la révolution industrielle en 1760. L’examen physique en était à ses débuts, la percussion a été découverte en 1761, et le stéthoscope, inventé en 18161. L’espérance de vie moyenne se situait à moins de 40 ans, et le profil des maladies était bien différent de celui d’aujourd’hui.
De nos jours, les médecins de soins primaires font face à une liste interminable de recommandations sur la prévention, le dépistage et la prise en charge des maladies chroniques. Si toutes les recommandations actuelles à l’intention des soins primaires étaient mises en application par les cliniciens, il leur faudrait, selon les estimations, 18 heures par jour, sans même laisser de temps pour le traitement des présentations aiguës2. Les recommandations de dépistage et de prévention sont souvent tirées de lignes directrices élaborées par des groupes d’intérêts spéciaux ou spécialisés qui ne comprennent pas l’intégralité des rôles en soins primaires, ou encore qui reconnaissent les coûts de renonciation dans un système limité. De plus, les données probantes à l’origine de nombreuses recommandations sont faibles et pourraient ne pas démontrer de meilleurs résultats pour les patients. La priorisation de ces recommandations ne laisse pas beaucoup de place pour la prise en charge des symptômes, qui pourrait pourtant avoir un meilleur effet chez un plus grand nombre de patients (des estimations conservatrices suggèrent un ratio de bienfaits de l’ordre de 26:1)3. Des changements s’imposent.
Les révolutions sont des processus complexes qui se produisent pour diverses raisons. Elles sont souvent le résultat de multiples facteurs qui convergent en même temps vers un même endroit. Les soins primaires en sont à un moment décisif où les médecins ne peuvent plus (et, probablement, ne devraient plus) répondre aux demandes de nombreux groupes d’intérêts spéciaux. Après des décennies à recevoir des recommandations, nous devons être les chefs de file de l’établissement des priorités dans les interventions, préférablement celles qui s’avèrent les plus bénéfiques (et les moins préjudiciables). Le Canada a la chance de compter plusieurs groupes voués au développement et à la dissémination des meilleures données probantes, qui pourraient aider dans ces décisions. La pandémie de COVID-19 a fait évoluer les discussions en dirigeant plus de patients vers les visites virtuelles, et en forçant les médecins à établir la priorité quant aux patients qui avaient besoin de venir en personne et à déterminer les interventions de dépistage dont les bienfaits l’emportaient sur les risques d’une exposition possible. Idéalement, l’utilisation des meilleures données factuelles permettra aux cliniciens des soins primaires de participer à une prise de décisions éclairées optimale avec leurs patients, ce qui entraînera de meilleurs soins pour tous.
Dans le présent numéro, l’article rédigé par le Dr James Dickinson et ses collègues met bien en évidence les interventions de dépistage et de prévention étayées par les meilleures données probantes en soins primaires (page 571)4. L’article remet aussi en question des pratiques acceptées, mais dont l’utilité en définitive mérite une évaluation critique. C’est une bonne place pour commencer lorsque nous réévaluons ce qui constitue des soins de grande valeur et où établir nos priorités. Pour certains, cela peut sembler révolutionnaire, mais c’est peut-être d’une révolution de la prévention dont nous avons besoin.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the August 2020 issue on page 558.
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