Les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) ont épousé le concept du système de santé apprenant (SSA)1,2 comme modèle pour améliorer la santé des Canadiens3, au point d’avoir fait du SSA une composante fondamentale de l’appel de propositions pour la phase II des unités de soutien de leur Stratégie de recherche axée sur le patient (SRAP)4. La date limite pour présenter une demande devait être en mai, mais elle a été reportée en raison de la pandémie d’infection au coronavirus (COVID-19). Seules les unités financées antérieurement peuvent présenter une demande de renouvellement de leur financement. Les unités de soutien de la SRAP devront bâtir ou maintenir une plateforme de données qui ajoute progressivement des ensembles de données pertinentes au sein de leur région, et fournir équitablement ces données aux chercheurs, aux décideurs et aux autres intervenants de la SRAP, sur demande et en temps opportun, à l’appui de la RAP (recherche axée sur le patient)5; toutefois, l’appel de propositions ne mentionne pas spécifiquement l’importance des données tirées des dossiers médicaux électroniques (DME). Il se peut que les IRSC aient présumé que les données des DME sont incluses dans les plateformes mentionnées plus haut, mais étant donné le manque actuel de données de DME dans la plupart des plateformes provinciales, territoriales et nationales au Canada, il semble que ce soit plus probablement une regrettable omission.
Importance des données communautaires
Au Canada, la plupart des soins de santé sont fournis par des professionnels dans la communauté. Les soins primaires prodigués par les médecins de famille et les infirmières praticiennes représentent la majorité de ces soins. L’accessibilité à des données fiables est reconnue comme une exigence systémique essentielle du SSA1. Quoiqu’il y ait des variations entre les provinces et les territoires quant à l’utilisation généralisée des DME, la plupart des médecins de famille ont maintenant recours aux DME dans leur pratique, comme le recommandait le modèle du Centre de médecine de famille du Collège des médecins de famille du Canada en 20196.
Accéder aux données des DME à des fins autres que les soins directs aux patients
Le potentiel qu’ont les données des DME comme outil pour améliorer les soins aux patients a largement été reconnu au point d’interface pratique-patient (le niveau micro), là où des initiatives comme Amélioration de l’exercice de la médecine, du Collège des médecins de famille du Canada, soutiennent les médecins de famille dans la mise en œuvre de l’amélioration de la qualité7.
Au niveau méso, le Canada est bien servi par le Réseau canadien de surveillance sentinelle en soins primaires (RCSSSP)8. Ce réseau de plus de 1300 médecins de famille bénévoles dans 254 centres fait l’extraction des données des DME portant sur 1 960 085 patients (en date d’octobre 2019), les épure en utilisant des définitions uniques de données et des algorithmes, et les regroupe aux fins de recherche et de surveillance dans un référentiel central de données9,10.
Ce dont manque actuellement le Canada, ce sont des données populationnelles des DME qu’il est possible de relier à l’abondance de données qui se trouvent dans de nombreux référentiels provinciaux et nationaux (p. ex. des données possibles à analyser au niveau macro).
Données sur la santé au niveau macro
En octobre 2018, les IRSC ont financé la Plateforme canadienne de données (PCD) de la SRAP, et lui ont confié un mandat de 7 ans pour établir un réseau d’organisations fédérales, provinciales et territoriales œuvrant dans le domaine de l’accessibilité aux données afin d’uniformiser les processus d’accès aux données dans l’ensemble du pays.
En facilitant l’accès aux données par les chercheurs, la PCD permettra la réalisation d’un plus grand nombre d’études qui incluent des renseignements venant de plusieurs provinces et territoires, ce qui renforcera la recherche et améliorera la prise des décisions liées à la prestation des soins de santé et des services sociaux. La PCD ne détient pas elle-même les données, mais elle facilite les analyses régionalisées, là où les données sont présentement détenues. La PCD a comme objectif de soutenir les centres de données provinciaux et territoriaux dans l’acquisition de données additionnelles à l’appui d’études couvrant de multiples compétences régionales.
À l’heure actuelle, les centres de données provinciaux ont des fonds de données des DME limités. Parce que les dépositaires des données des DME sont principalement des professionnels indépendants rémunérés à l’acte, il n’y a pas de structure de gouvernance reconnue pour l’acquisition de ces données autre que la participation volontaire de professionnels au RCSSSP. Les données des DME détenues par les noyaux provinciaux du RCSSSP, comme le Réseau de recherche en soins primaires du Manitoba, peuvent potentiellement être reliées à d’autres fonds de données provinciaux, comme elles le sont au Manitoba. Les données des DME du Réseau de recherche en soins primaires du Manitoba sont ajoutées chaque trimestre au référentiel des données de recherche sur la population du Manitoba que détient le Manitoba Centre for Health Policy à Winnipeg. Les chercheurs peuvent alors avoir accès à ces données, qui sont reliées à d’autres données provinciales sur la santé et les services sociaux, avec les autorisations appropriées, pour faire des recherches en vue d’améliorer la santé des Manitobains. Ce processus procure un guichet unique aisément accessible pour obtenir des données des DME. À mesure que d’autres fonds de données provinciaux prennent de la maturité, des possibilités s’ouvriront pour que la PCD soutienne la recherche entre compétences régionales qui repose sur des fonds de données des DME provenant de multiples régions.
Infrastructure à l’appui des référentiels de données des DME
Même si le RCSSSP représente une ressource unique et précieuse pour l’amélioration de la qualité des soins primaires canadiens et la recherche aux niveaux micro et méso, le réseau n’est pas doté de l’infrastructure de soutien voulue pour devenir une ressource nationale basée sur la population qui puisse servir au niveau macro et qui puisse être reliée entre de multiples compétences régionales. Par ailleurs, les possibilités actuelles de financement par la SRAP des IRSC devraient être exploitées par les chercheurs en soins primaires. En plus de l’appel de propositions pour le renouvellement du financement des unités de soutien de la SRAP mentionné précédemment, on s’attend généralement à ce que le Réseau pancanadien sur les innovations en soins de santé de première ligne et intégrés (ISSPLI) soit renouvelé, lorsque les subventions actuelles viendront à échéance.
Comme les unités de soutien, les participants au Réseau pancanadien sur les ISSPLI sont des structures provinciales financées par l’entremise de la SRAP, et il y en a une par région. Les réseaux actuels bénéficient d’un solide leadership assuré par des chercheurs en soins primaires dans la plupart des régions, un leadership qui chevauche souvent celui des noyaux régionaux du RCSSSP. Parce que la PCD de la SRAP et les unités de soutien ont pour mandat de soutenir d’autres entités de la SRAP, il semble se présenter une occasion d’inclure le soutien des noyaux locaux du RCSSSP dans le contexte du renouvellement de la subvention pour le Réseau pancanadien sur les ISSPLI. Ce soutien reconnaîtrait l’importance fondamentale des données des DME dans l’élaboration d’une SSA au Canada. Un modèle de SSA semble voué à l’échec sans un appui robuste à l’égard des données des DME.
Le financement de la SRAP qui alimente les subventions aux unités de soutien et aux participants du Réseau pancanadien sur les ISSPLI est souvent « conditionnel » à des exigences spécifiques, comme celles décrites ici pour les demandes de renouvellement des unités de soutien. Le temps est venu pour la communauté des soins primaires de revendiquer l’inclusion du soutien à l’infrastructure des données des DME comme exigence obligatoire pour obtenir des subventions de renouvellement par les participants au Réseau pancanadien sur les ISSPLI. Un tel financement pourrait changer la donne s’il facilitait l’inclusion des données des DME populationnelles et possibles à relier avec les fonds de données provinciales partout au Canada. Combler cette lacune pourrait transformer le monde des données canadiennes sur la santé.
Remerciements
Le Dr Katz est directeur scientifique du Réseau de recherche en soins primaires du Manitoba et du Réseau manitobain sur les ISSPLI de la SRAP financé par les IRSC, et co-candidat principal au concours d’une subvention pour la PCD de la SRAP.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the August 2020 issue on page 559.
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