En décembre 2018, Santé Canada publiait un rapport intitulé « Cadre sur les soins palliatifs au Canada » (le Cadre)1. Ce document, préparé avec soin, intégrait de nombreuses contributions et cernait clairement d’importants changements qui s’imposent dans notre système de santé. Quoique nous applaudissions les orientations présentées dans le rapport, nous croyons aussi qu’il constitue une importante occasion ratée, parce que ses recommandations pour améliorer les soins palliatifs sont presque exclusivement axées sur le système de santé officiel. Un cadre offre une feuille de route vers là où l’on veut se rendre et, par conséquent, il doit être précis quant à la direction à suivre. Si l’intention des Canadiens est d’améliorer nos expériences aux dernières étapes de notre vie, il faudra alors, à l’avenir, porter une attention considérable aux communautés et aux structures sociales.
Des statistiques de la santé publique nous rappellent qu’environ 90 % des décès au Canada découlent de maladies incurables évolutives, et que, durant sa dernière année de vie, le Canadien moyen passera moins de 5 % de son temps sous les soins du système de santé officiel2. De nombreux pays du monde ont réalisé que la réussite de leur système de santé formel en soins palliatifs dépendait d’un partenariat avec les communautés pour fournir des soins durant ces années qui constituent les « autres 95 % » du temps3,4. Dans ce sens, la communauté englobe tous les éléments environnementaux qui contribuent au bien-être physique, émotionnel, social et spirituel, de même que la qualité de vie globale des patients, des familles et des soignants. En plus du système de santé traditionnel, la communauté inclut (mais sans s’y limiter) les amis, le milieu de travail, les écoles, les voisins, les communautés de culte et les organisations de bénévoles qui défendent les intérêts des personnes confrontées à une maladie grave et à la mort, et leur offrent une assistance et du soutien pratiques.
Définir les soins palliatifs
Le Cadre est décrit comme un document dynamique, et ses auteurs ont encouragé un dialogue ouvert et continuel. Nous pensons que la clarification d’un certain vocabulaire utilisé dans le Cadre (et par conséquent, dans ses objectifs) pourrait se révéler un point de départ simple, efficace et nécessaire dans cette dynamique. Le Cadre se sert de la définition des soins palliatifs adoptée par l’Organisation mondiale de la Santé en 2002, et met l’accent sur le système de santé formel et des mesures fondées sur les services pour améliorer la qualité de vie. Toutefois, l’Organisation mondiale de la Santé ellemême change actuellement sa conception et sa définition de la santé pour adopter plutôt le concept du bien-être au lieu de la simple absence de maladies. Nous nous demandons alors si une modification semblable dans les réflexions sur une approche palliative des soins, qui décrirait une compréhension plus exhaustive des variables de la qualité de vie, s’appliquerait mieux à ce Cadre évolutif.
Nous croyons qu’il serait avisé que le Cadre actuel reconnaisse avec audace que le profil changeant de nos sociétés et de nos systèmes de santé, influencés comme ils le sont par la technologie, la spécialisation, des changements dans les projections sur les maladies et les complexités systémiques grandissantes, a contribué à une ambiguïté collective au sujet de ce que sont les soins palliatifs. Dans de nombreux milieux, les soins palliatifs ont été réduits aux simples soins en fin de vie. Dans diverses régions canadiennes, tant les systèmes de santé que les consommateurs considèrent les soins palliatifs comme un simple produit livré par le système de santé. Si le Cadre a pour but d’être un engagement sociétal inclusif envers les soins palliatifs, des approches en amont seraient alors essentielles.
De la même façon, la conceptualisation des soins primaires dans le Cadre semble reposer seulement sur la médecine familiale. On ne sait trop quelles seraient les responsabilités des autres professionnels de première ligne sur une base continuelle qui ont besoin de bonnes compétences de base en soins palliatifs : les oncologues, les inhalothérapeutes, les cardiologues, les intensivistes, les paramédicaux, le personnel des services d’urgence, les autres cliniciens de la santé et d’autres encore. Le système de silos et l’absence globale de soins intégrés viennent compliquer encore le plus portrait. Le Cadre trace une ligne dans le sable entre « une approche palliative des soins » et « les soins spécialisés », tandis que ces derniers devraient seulement être considérés comme une partie du continuum dans l’approche palliative pour la petite portion de la population qui en a besoin. Dans l’évolution du Cadre, il serait peut-être bénéfique de considérer une approche palliative comme étant synonyme de bons soins en amont, prodigués par n’importe quel professionnel de première ligne, et les soins spécialisés ou en centres de soins de longue durée comme étant des services distincts qui pourraient ou non être nécessaires durant la trajectoire de la maladie.
Une approche collaborative
Il est remarquable de voir que les auteurs du Cadre ont choisi de consulter des patients, des familles et des soignants, soulignant ainsi la complexité et les effets des soins palliatifs sur la société. Le tiers des soignants signalent de la détresse et de l’épuisement; est-ce le reflet de l’échec du système de santé ou encore de la nécessité d’augmenter la capacité et le soutien dans la communauté pour bien vivre jusqu’à la fin? Dans la même veine, même si ce n’est pas le choix de la majorité, 60 % des Canadiens meurent à l’hôpital, ce qui met une fois de plus en lumière les déficits dans l’infrastructure communautaire1. Malheureusement, une bonne part de la recherche que nous utilisons pour éclairer nos décisions actuelles sur le système de santé se concentre sur l’accès aux soins de santé formels.
Un objectif clair
Le Cadre met l’accent sur des renseignements comme la proportion de personnes ayant accès à des services de soins palliatifs à domicile, le nombre de spécialistes en soins palliatifs dans une région et les genres de ressources accessibles en planification des soins. Il serait utile de préciser si ces renseignements sont utilisés simplement pour décrire l’état de la situation actuelle ou comme indicateurs de la réussite du système de santé. Par exemple, même si les ressources en planification des soins sont actuellement importantes, la nécessité même d’y avoir accès indique un échec de la société à reconnaître la mort et à s’y préparer, plutôt qu’un marqueur à long terme de réussite. Notre objectif est-il d’accroître l’accès à des services et à des professionnels des soins palliatifs ou est-ce de permettre à une population d’avoir un bien-être optimal jusqu’à la mort? Augmentons-nous notre capacité de soins dans les communautés pour réaliser ce dernier but ou pour atténuer les pressions sur le système de santé et les soignants?
Il a été affirmé que le fait d’insister sur l’accès aux soins est une excellente façon d’assurer que nous ne nous tournerons jamais vers la santé de la population5. Le Cadre met effectivement en évidence la nécessité d’augmenter la capacité communautaire dans les populations mal desservies. Nous croyons que la réussite de tout cadre national sur les soins palliatifs ne devrait pas reposer seulement sur l’augmentation de la capacité communautaire pour des populations en particulier, mais plutôt sur un engagement sociétal national massif sur lequel peut s’appuyer le Cadre. Une bonne partie de la planète en est venue à cette conclusion, d’où l’avènement et la croissance des « soins palliatifs en santé publique ». L’initiative internationale Communautés bienveillantes est l’un de ces cadres qui ont émergé en raison de cette perspective populationnelle ou sociétale. Nous invitons les responsables du Cadre à épouser audacieusement cette perspective et à la partager. Comme le disait notre défunt collègue qui nous a aidées à rédiger cet article : « Ce faisant, nous pourrions véritablement aller de l’avant ensemble ».
Remerciements
Ce travail est en l’honneur de la mémoire de Joshua Shadd md mclsc ccfp(pc), ancien directeur de la Division des soins palliatifs de l’Université McMaster à Hamilton (Ontario).
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 642.
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