Une autre année de peste réconcilierait toutes ces querelles; des rapports assez proches de la mort ou avec certaines maladies menaçant de mort écumeraient l’amertume de nos humeurs, feraient disparaître nos animosités mutuelles et nous feraient voir les choses d’un œil tout différent.
Daniel Defoe, A Journal of the Plague Year
La maladie au coronavirus 2019 (COVID-19) est la quatrième pandémie virale à avoir directement touché ma carrière médicale (après le sida, le SRAS et l’influenza H1N1), et au moins la sixième à survenir depuis que je suis médecin de famille, si l’on inclut l’Ebola1 et le Zika2. Je regrette de ne pas avoir tenu de journal durant les pandémies antérieures, surtout durant la crise du sida, qui a commencé durant les étapes formatives de ma carrière. Mais depuis janvier 2020, je tiens un tel journal sur l’actuelle pandémie, et au cours des dernières semaines, alors qu’on annonçait des vaccins efficaces et que s’achevait 2020, j’ai réfléchi à mes expériences professionnelles de l’année écoulée : les bas et les hauts.
Les bas, bien sûr, sont arrivés rapidement. Ma première note date du 26 janvier. Le soir précédent, ma famille et moi avions emmené ma belle-mère souper pour son anniversaire. À l’arrière-plan, un téléviseur rapportait qu’un homme qui était le premier cas soupçonné de la COVID-19 et avait été admis à l’Hôpital Sunnybrook à Toronto (Ontario), près d’où nous habitons. L’humeur était joyeuse et festive, mais la mienne s’est assombrie à cette nouvelle. Des souvenirs me revenaient des mois en 2003 où le SRAS avait bouleversé notre travail et avait tué ou rendu gravement malades certains de nos amis et de nos collègues. Le lendemain, le Laboratoire national de microbiologie à Winnipeg (Manitoba) confirmait que l’homme en quarantaine était bel et bien le premier cas documenté au Canada. Cette date pourrait très bien devenir un de ces moments « Où étiez-vous quand…? » pour une génération plus jeune, dont mes enfants jeunes adultes, comme celle qui fut pour moi « Où étiez-vous quand Neil Armstrong s’est posé sur la lune? », étant de la génération de la fin des baby-boomers.
Les pages de mon journal sont ensuite restées vides jusqu’au 11 mars, quand l’Organisation mondiale de la Santé a déclaré qu’il s’agissait d’une pandémie mondiale. Je soupçonne que, comme d’autres, je n’étais pas conscient de la menace ou encore j’attendais avec anxiété que l’enfer se déchaîne. Un autre bas s’est produit le 18 mars, lors de ma première clinique d’urgence en soirée depuis la pandémie. Sur ma liste se trouvait une jeune femme, récemment de retour d’Afrique subsaharienne où elle travaillait comme bénévole. Étant donné ses antécédents de voyage, elle était présumée à risque de la COVID-19, et elle avait de légers symptômes. J’étais anxieux et perturbé d’avoir à revêtir la jaquette, les gants, le masque et un écran de protection pour la première fois depuis le SRAS. J’ai ressenti de la rancune contre cette jeune femme qui me mettait à risque. J’avais honte de me sentir ainsi, comme dans les pandémies antérieures; de tels sentiments m’étaient inconnus jusqu’alors.
Les hauts sont aussi arrivés tôt, avec la transition rapide de notre équipe de santé familiale vers les soins virtuels. J’ai été redéployé avec des collègues pour organiser et tenir, dans mon hôpital, une clinique virtuelle de soins pour la COVID-19, dirigée par la médecine familiale. Outre la camaraderie et les satisfactions du travail en équipe3, nous avons su démontrer qu’en dépit d’une expérience limitée avec la COVID-19, nous avons été capables de soigner les patients de façon efficace et sécuritaire4, et de partager nos apprentissages avec un auditoire plus large.
Ma première véritable lueur d’espoir de voir un vaccin efficace et la fin de la pandémie m’est venue en août, grâce à l’éminent scientifique canadien, le Dr Alan Bernstein5. Son optimisme de voir arriver des vaccins sûrs et efficaces d’ici la fin de 2020 ou au début de 2021 se fondait sur des essais prometteurs et sur le nombre d’approches différentes adoptées pour développer les vaccins. L’article disait aussi, en anglais : « Comme on le dit au Canada, si vous voulez réussir, vous devez faire de nombreux tirs au but5 ».
Au début de décembre, l’optimisme du Dr Bernstein a été validé lorsque le premier ministre Justin Trudeau a annoncé que, d’ici la fin de l’année, les 249 000 premières doses du vaccin arriveraient au Canada6. Bien sûr, l’optimisme a été tempéré par la logistique de leur déploiement et par la crainte qu’un cinquième des Canadiens puissent hésiter à se faire vacciner (quelque 19 % étant susceptibles d’accepter) ou refuser la vaccination (14 % étant quelque peu ou très peu susceptibles d’accepter)7. Des conseils pour aider les médecins de famille à traiter avec les patients qui hésitent à se faire vacciner ont été publiés antérieurement dans la revue8,9.
L’année commence avec autant d’incertitude qu’en 2020, mais les réalisations scientifiques et médicales sans précédent de l’année passée face à la souffrance et au deuil planétaires devraient nous insuffler de l’espoir pour l’avenir et nous laisser en héritage des leçons inoubliables. L’arrivée du vaccin contre la COVID-19 sera peut-être la conquête de la lune de la présente génération.
Footnotes
Références à la page 9.
This article is also in English on page 9.
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