Le processus du Service canadien de jumelage des résidents (SCJR) est une source de stress pour les étudiants canadiens en médecine et un fardeau pour les ressources des programmes de médecine familiale. Les résultats du jumelage sont communiqués chaque année lors du forum du SCJR durant la Conférence canadienne sur l’éducation médicale, et ils sont affichés sur le site web du SCJR1. Le nombre moyen de demandes présentées par les diplômés canadiens en médecine (DCM) au cours du jumelage de 2020 s’élevait à 21,6, avec une valeur aberrante de 113 demandes1. Les préoccupations concernant les étudiants qui ne sont pas jumelés à la résidence de leur choix sont sans fondement pour la plupart des DCM, surtout pour les DCM jumelés en médecine familiale. Lors de la première ronde du jumelage, 81,7 % des DCM ont été jumelés à l’un de leurs 3 premiers choix de programmes, et 98,4 % des DCM dont le premier choix était la médecine familiale y ont été jumelés1. Ces résultats portent à croire que la plupart des étudiants pourraient présenter de 5 à 7 demandes et réussir quand même à être jumelés à l’un de leurs 3 premiers choix. Par ailleurs, tant les étudiants que les facultés de médecine continuent de se concentrer sur le petit nombre d’étudiants qui ne sont pas jumelés aux programmes de leur choix, et conseillent donc à tous les étudiants de faire de nombreuses demandes.
Ce qui me préoccupe avec le jumelage, outre l’anxiété inutile, c’est le gaspillage considérable de ressources. Cette année, il y a eu 64 724 demandes à tous les programmes de médecine familiale, présentées par 3172 requérants (diplômés en médecine de l’étranger et DCM) pour 1573 postes1. Cela veut dire que 41 demandes ont été traitées pour chaque poste. La dette étudiante demeure une inquiétude en médecine prédoctorale. La société de gestion financière MD conseille aux étudiants de prévoir 19 499 $ à leur budget pour le jumelage à une résidence et les stages optionnels2. Bien qu’il n’existe pas d’études canadiennes, des étudiants signalent empiriquement que les coûts peuvent s’élever jusqu’à 30 000 $ pour les déplacements et le logement aux fins des stages optionnels et des entrevues. La pandémie de la COVID-19 a changé la situation. Les étudiants n’ont pas voyagé pour suivre des stages optionnels, et l’Association des facultés de médecine du Canada et les facultés de médecine ont convenu que toutes les entrevues en 2021 seront virtuelles. Ce changement épargnera beaucoup de frais aux étudiants, mais je ne suis pas certaine que leur degré d’anxiété ou leur nombre de demandes diminueront. D’autres questions subsistent. Les entrevues virtuelles se poursuivront-elles lorsque la pandémie sera sous contrôle? S’attendra-t-on des étudiants en médecine qu’ils passent leur « audition » durant leur quatrième année par l’entremise de stages optionnels? J’espère vraiment que certains des changements qui réduisent la dette des étudiants demeureront.
Par ailleurs, les coûts des programmes de médecine sur le plan du temps et des ressources ne changeront probablement pas sous l’effet de la COVID-19. Lorsque j’étais directrice du Département de médecine familiale à l’Université d’Ottawa (Ontario), notre corps professoral a passé en revue plus de 1000 dossiers de DCM (il faut environ 30 minutes par dossier), pour ensuite organiser 4 jours d’entrevues pour 600 candidats, y compris des présentations, des rafraîchissements et des entrevues par des équipes d’enseignants et de résidents. Nous avons classé par rang plus de 450 candidats qui avaient indiqué un intérêt pour notre programme. En 2019, seulement 25 DCM ont été jumelés à l’Université d’Ottawa à la première ronde, ce qui porte à croire que plus de 400 candidats avaient choisi en premier d’autres programmes. Nous avons passé beaucoup de temps à essayer de savoir si chaque requérant était véritablement intéressé par notre programme. Quoique le jumelage au programme de médecine familiale fût meilleur en 2020, les problèmes au chapitre des ressources ont persisté. Les programmes s’inquiètent que les entrevues virtuelles ne donnent pas aux étudiants une bonne idée de ce que le programme a à offrir et, par conséquent, qu’elles nuisent au recrutement. Parallèlement, les entrevues virtuelles continueront de poser des problèmes sur le plan des ressources si le nombre de requérants représente toujours un lourd fardeau.
Le message voulant que les étudiants fassent de nombreuses demandes est trompeur pour ceux qui souhaitent s’engager en médecine familiale; 99,1 % des DCM qui voulaient se diriger vers la médecine familiale y ont effectivement été jumelés. Le conseil de faire plusieurs demandes pourrait s’appliquer aux programmes dont les postes sont pourvus à la première ronde et à certains programmes spécialisés, mais il est incomplet. Les étudiants devraient connaître les perspectives d’emplois dans la discipline de leur choix. Le rapport d’août 2017 du Répertoire canadien sur l’éducation post-MD concernant les possibilités offertes aux médecins au Canada indiquait un ratio favorable de postes accessibles en médecine familiale aux étudiants postdoctoraux d’alors3. Sur les 2043 possibilités offertes en médecine familiale, 1417 stagiaires entraient sur le marché de l’emploi. En revanche, on comptait 1358 diplômés pour 1131 postes dans d’autres spécialités; 501 diplômés pour 204 postes dans les spécialités chirurgicales; et 74 diplômés pour 63 postes en médecine de laboratoire3. Le nombre de postes affichés dans ce rapport n’inclut pas les possibilités de remplacement, les postes à temps partiel et les postes affichés avant mars 2017. Le message est cependant clair; les possibilités d’emplois en médecine familiale sont plus nombreuses par rapport à la situation dans d’autres disciplines.
Nos programmes en médecine familiale jouent un rôle dans l’incitation à présenter un grand nombre de demandes. De nombreux programmes exigent des demandes distinctes pour les divers sites du programme. Par conséquent, les étudiants peuvent devoir présenter de multiples demandes pour un programme en particulier. Étant donné que la plupart des étudiants se verront accorder l’un de leurs 3 à 5 premiers choix, le nombre excessif de demandes ne justifie pas l’approche que nous adoptons. Les programmes de médecine familiale en Ontario ont abordé le grand nombre de demandes présentées par des diplômés en médecine de l’étranger au moyen d’une approche collaborative qui centralise les étapes de l’examen des dossiers et de l’entrevue. Cette stratégie simplifie le processus à la fois pour les programmes et pour les requérants.
En 2018, j’ai approché un dirigeant de la Fédération des étudiants et des étudiantes en médecine du Canada, en quête d’un appui pour remettre en question l’actuel système canadien de jumelage des résidents. Malheureusement, j’ai fait face à une acceptation du statu quo. Les étudiants se sentent vulnérables dans le processus de demandes; ils en acceptent les coûts et les défis, et se concentrent sur le risque (quoique faible) de ne pas être jumelés aux programmes de résidence de leur choix. Durant l’examen du SCJR à la Conférence canadienne sur l’éducation médicale, chaque année, j’ai entendu au moins un étudiant admettre, après avoir été jumelé, qu’il n’aurait pas eu besoin de présenter une demande à un si grand nombre de programmes.
Les programmes de médecine familiale ont pour but d’assurer une résidence fructueuse à nos apprenants et, par conséquent, il importe qu’il y ait une bonne compatibilité. Je crois que nous devrions être fiers de nos programmes de formation en médecine familiale au Canada et du fait que les étudiants bien jumelés réussiront dans n’importe quel programme. Les stagiaires qui ne sont pas bien jumelés, soit à l’endroit ou au programme qui convient le mieux à leurs besoins, connaîtront moins de succès, quel que soit le programme. Il pourrait être plus important qu’ils soient proches de leur famille et d’autres soutiens que d’être jumelés à un programme qui offre une approche en particulier. Je ne propose pas de discontinuer le jumelage, mais seulement de réduire l’anxiété des requérants en utilisant des données probantes pour convaincre nos apprenants et nos programmes que la présentation d’une demande à au plus 7 programmes assurera un bon jumelage pour la plupart des étudiants.
Je crois que nous avons encore beaucoup de travail à faire pour faire en sorte que nos ressources soient utilisées de manière efficace et efficiente pour aider nos étudiants à en arriver à un bon jumelage. Je me réjouis à l’avance de recevoir des suggestions sur les façons dont nous pouvons, collectivement, atténuer ce défi pour nos futurs collègues.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the January 2021 issue on page 15.
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