Abstract
Question Un fumeur adolescent m’a souvent consulté à la clinique pour me demander de l’aider pour arrêter de fumer. Je sais que le bupropion est un médicament de première intention pour la cessation tabagique, mais est-il efficace et sécuritaire chez les adolescents?
Réponse La plupart des fumeurs adolescents au Canada aimeraient cesser de fumer, mais plus de 90 % des tentatives échouent. Le bupropion semble être plus efficace que les autres options pharmacologiques pour améliorer l’abstinence à court terme chez les adolescents; toutefois, Santé Canada ne l’a pas homologué pour les personnes de moins de 18 ans. Le bupropion n’est pas associé à un plus grand nombre d’événements indésirables dans les essais sur la cessation du tabagisme. Plus de recherches sont nécessaires sur l’efficacité et l’innocuité du bupropion à long terme dans cette population.
Il est nécessaire de prévenir l’usage de produits du tabac par les adolescents, puisque près de 90 % des fumeurs ont essayé leur première cigarette avant l’âge de 18 ans1. Le tabagisme augmente le risque de décès anticipés d’en moyenne 10 ans, mais ceux qui cessent avant l’âge de 34 ans pourraient regagner cette perte d’espérance de vie2. Malgré la diminution de la prévalence du tabagisme au Canada depuis les 20 dernières années, des données de 2017 tirées de l’Enquête de surveillance de l’usage du tabac et de l’Enquête canadienne sur le tabac, l’alcool et les drogues chez les élèves indiquent que 8 % des Canadiens de 15 à 19 ans sont des fumeurs3. Il pourrait s’agir d’une sous-estimation, compte tenu de la validité des signalements par les intéressés adolescents et de l’exclusion de ces enquêtes des résidents des territoires et de ceux qui n’ont pas de téléphone3. De plus, on ne sait trop si la légalisation du cannabis récréatif au Canada pourrait influencer l’usage de la cigarette chez les jeunes. Dans une étude aux États-Unis portant sur plus de 1 million de participants adolescents, l’usage de la cigarette a diminué chez les étudiants de 8e année, mais a augmenté chez ceux de 12e année après l’adoption de la loi sur la marijuana médicale (rapport de cotes [RC] = 0,74, IC à 95 % de 0,66 à 0,82, p ≤,0001; et RC = 1,17, IC à 95 % de 1,06 à 1,29, p = ,0026; chez les étudiants de 8e année et ceux de 12e, respectivement5).
Plus de 60 % des actuels fumeurs canadiens de 15 à 19 ans ont signalé avoir essayé d’arrêter à un moment ou l’autre, mais seulement 8 % de ces tentatives ont réussi3. L’utilisation des cigarettes électroniques gagne en popularité chez les adolescents et sert potentiellement de porte d’entrée pour d’autres produits du tabac6, ce qui met encore plus en évidence la nécessité grandissante de mettre en œuvre des interventions de cessation du tabagisme efficaces pour les jeunes.
Selon les lignes directrices de CAN-ADAPTT (Canadian Action Network for the Advancement, Dissemination and Adoption of Practice-informed Tobacco Treatment), il existe peu de données empiriques concernant la pharmacothérapie pour la cessation du tabagisme chez les adolescents, comme la thérapie de remplacement de la nicotine, la varénicline ou le bupropion7. De même, dans une récente déclaration, le Preventive Services Task Force des États-Unis concluait que les données probantes étaient insuffisantes pour recommander des interventions par counseling comportemental ou la pharmacothérapie pour la cessation du tabagisme chez les adolescents8.
L’efficacité du bupropion pour arrêter de fumer
Le bupropion a initialement été conçu comme un antidépresseur, et l’on présume que son effet anti-tabagisme se produirait par l’inhibition de la recapture de la dopamine et de la noradrénaline, et le blocage des récepteurs de l’acétylcholine nicotinique, quoique son mécanisme d’action exact soit largement inconnu9. Une revue, par Cochrane, de 267 études fait valoir que le bupropion est une option de première intention pour la cessation du tabagisme chez les adultes et que le bupropion tout autant que la thérapie de remplacement de la nicotine sont supérieurs au placebo pour améliorer l’abstinence (RC = 1,82, IC à 95 % de 1,60 à 2,06; et RC = 1,84, IC à 95 % de 1,71 à 1,99, respectivement pour le bupropion et la thérapie de remplacement de la nicotine)10.
Un groupe d’Autrichiens a été parmi les premiers à explorer les effets contre le tabagisme du bupropion chez les adolescents, et ce, il y a plus de 15 ans. Vingtdeux adolescents de 16 à 19 ans ont reçu du bupropion (150 mg/jour) ou un placebo pendant 90 jours, et 55 % (6 sur 11) des adolescents du groupe du bupropion ont rapporté eux-mêmes avoir été abstinents (ce qui a été confirmé par une analyse du monoxyde de carbone dans l’haleine) à la fin du traitement par rapport à 18 % (2 sur 11) dans le groupe du placebo (p = ,0014). Les durées cumulatives moyennes d’abstinence étaient de 78,4 et de 30,2 jours, respectivement (p = ,0042) dans ce petit échantillon11.
Une étude de plus grande envergure cherchait à étudier le rôle du bupropion comme complément à une thérapie comportementale pour des adolescents cessant de fumer12. Parmi les 312 fumeurs adolescents qui recevaient du bupropion (150 mg/jour ou 300 mg/jour) ou un placebo, de concert avec un bref counseling individuel hebdomadaire pendant 6 semaines, ceux qui recevaient 300 mg de bupropion (et non ceux dont la dose était de 150 mg) ont signalé des taux supérieurs de prévalence ponctuelle d’abstinence de 7 jours par rapport au placebo, à la fin de la 6e semaine de traitement (14,5 c. 5,6 %, p = ,03)12. Toutefois, cet effet important avait disparu au suivi à la 26e semaine (13,9 c. 10,3 %, p = ,28)12. La prévalence ponctuelle d’abstinence de 7 jours était rapportée par l’intéressé, mais confirmée ensuite biochimiquement par la mesure du taux de cotinine urinaire à la fin du traitement ou du taux de monoxyde de carbone exhalé au suivi après 26 semaines12. Le schéma thérapeutique de 6 semaines représentait une limitation en comparaison de la durée plus longue du traitement allant jusqu’à 12 semaines, comme il est recommandé chez les adultes10.
Dans une revue par Cochrane portant sur 13 000 participants de moins de 20 ans, aucune intervention pharmacologique n’a été rapportée comme étant efficace pour augmenter les taux d’abstinence du tabagisme au suivi à 6 mois (thérapie de remplacement de la nicotine, risque relatif de 1,11, IC à 95 % de 0,48 à 2,58; bupropion, risque relatif = 1,49, IC à 95 % de 0,55 à 4,02)13. Fait à souligner, cette revue n’incluait que les essais dont le suivi durait au moins 6 mois, exception faite de 2 études sur le bupropion dont la durée était plus courte13. Une méta-analyse plus récente incluait les 4 essais disponibles sur les 9 études au total sur le bupropion, et signalait que seul le bupropion était associé à un taux d’abstinence plus élevé à la fin de la période de suivi la plus longue dans chaque étude, et ce, à la suite d’une validation par marqueurs biochimiques (risque relatif = 2,03, IC à 95 % de 1,09 à 3,77)14. Dans l’analyse regroupant toutes les pharmacothérapies (timbre de nicotine, gomme à la nicotine, bupropion, vaporisateur nasal de nicotine), les taux d’abstinence plus élevés n’étaient maintenus qu’au suivi à 4 semaines (risque relatif = 1,87, IC à 95 % de 1,22 à 2,87), tandis qu’aucun effet n’a été observé pour des périodes plus longues à 8, 12, 24 et 52 semaines14. Ces constatations portent à croire que le bupropion pourrait être la seule pharmacothérapie efficace pour arrêter de fumer chez les adolescents, mais aucune option n’a encore démontré une abstinence accrue à long terme14.
Les défis avec une thérapie au bupropion
Même si la plupart des fumeurs adolescents disent vouloir arrêter de fumer3,15, une multitude de facteurs, y compris les antécédents culturels, le sexe, le soutien par les pairs et la famille, les problèmes de santé mentale, de même que les besoins et les préférences individuels, expliquent un faible taux de cessation dans cette population16.
L’une des difficultés particulières avec une thérapie au bupropion se situe dans le manque de données probantes sur son efficacité à long terme chez les adolescents14. Parmi les essais disponibles, les taux accrus d’abstinence cliniquement significatifs l’ont été à court terme et se sont limités à la période du traitement11,12,17,18. Il faudrait des enquêtes plus approfondies sur l’efficacité à long terme du bupropion chez les fumeurs adolescents.
L’importance de la conformité à la médication a été démontrée dans une étude auprès de 95 fumeurs adolescents qui recevaient 300 mg de bupropion par jour pendant 6 semaines. Au nombre de ceux qui avaient pris au moins 80 % des médicaments prescrits, les taux d’abstinence confirmés par la cotinine étaient significativement plus élevés (12 sur 58, 20,7 %) par rapport à ceux dont l’observance était plus faible (0 sur 37). Ces observations renforcent l’importance de tenir compte des obstacles à la conformité dans l’évaluation de l’efficacité du traitement19.
Enfin, Santé Canada n’a homologué l’utilisation d’aucun antidépresseur chez les enfants de moins de 18 ans20, ce qui soulève des préoccupations quant à la sécurité d’une thérapie au bupropion dans cette population. Des événements indésirables courants, comme des céphalées, l’irritabilité, l’insomnie ou des rêves anormaux se sont produits chez 64 % de ceux qui prenaient du bupropion dans une étude portant sur 134 adolescents18, mais une analyse regroupant tous les essais sur le bupropion chez les adolescents n’a trouvé aucune différence significative par rapport aux groupes témoins14, ce qui s’explique peut-être par les symptômes généraux du sevrage de la nicotine. Deux événements indésirables sérieux (1 impliquant l’usage récréatif de stramoine [Datura stramonium] et 1 surdose intentionnelle) ont été rapportés dans l’un des essais portant sur 312 adolescents12.
Conclusion
Il est vital d’arrêter tôt de fumer pour prévenir l’usage à l’âge adulte et les décès prématurés. Le bupropion est l’option pharmacologique la plus efficace pour accroître l’abstinence chez les fumeurs adolescents. Toutefois, les bienfaits cliniques se sont limités à la période du traitement, et son efficacité à long terme demeure peu concluante. Des recherches plus approfondies sur le bupropion sont nécessaires dans cette population, reconnaissant les difficultés liées à cette thérapie, notamment les différences individuelles, la conformité, la sécurité et l’évolution des modes d’utilisation du tabac.
Notes
Mise à jour sur la santé des enfants est produite par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (PRETx à www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver, en Colombie-Britannique. Tyler Yan est membre et le Dr Goldman est directeur du programme PRETx. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les enfants? Nous vous invitons à les poser au programme PRETx par télécopieur, au 604 875-2414; nous y répondrons dans de futures Mises à jour sur la santé des enfants. Les Mises à jour sur la santé des enfants publiées sont accessibles dans le site web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca).
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré.
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the October 2021 issue on page 743.
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