Le généralisme est défini comme une « philosophie de soins qui se traduit par un engagement envers l’étendue et la variété de la pratique au sein de chaque discipline et une collaboration avec l’équipe de soins de santé dans son ensemble afin de répondre aux besoins des patients et des collectivités.1 » Les généralistes ont un vaste champ de pratique : ils diagnostiquent et prennent en charge des problèmes cliniques variés, indifférenciés et souvent complexes, et ils fournissent une gamme complète de services. La médecine généraliste est associée à de meilleurs résultats cliniques et à un usage efficace du système de santé2. On pousse énormément pour que les apprenants soient exposés à la médecine généraliste et qu’ils en acquièrent les compétences durant leurs études en médecine, quelle que soit la spécialité choisie3,4. Malgré tout, le concept de généralisme n’est souvent pas évident. Alors que les apprenants en font l’expérience en médecine de famille ou dans d’autres contextes généralistes, on accorde rarement une attention explicite aux concepts sous-jacents qui constituent le généralisme. L’une des définitions du mot pratique est le processus par lequel une théorie, une leçon ou une compétence est mise en œuvre, incarnée ou réalisée. En médecine de famille, la pratique du généralisme peut s’articuler au moyen de six concepts clés pendant l’enseignement (les « 6 C »; Tableau 1)5. Le but du présent article est de fournir un cadre aux fins des discussions avec les apprenants sur la mise en œuvre du généralisme en médecine de famille.
(Soins) complets et globaux
La médecine de famille généraliste s’intéresse à la personne dans son ensemble. En effet, l’approche holistique de l’évaluation et de la prise en charge est ce qui caractérise la prestation de soins complets et globaux. Bien que cette notion se résume parfois pour les apprenants à la prise en charge des patients tout au long du cycle de vie, un aspect important, mais souvent méconnu, de la médecine de famille est le fait de décortiquer complètement les préoccupations des patients pour déterminer la nature du problème. Par exemple, les douleurs thoraciques ne sont pas toujours d’origine cardiaque, et la douleur n’est pas toujours physique. Qu’il y ait pathologie biologique ou non, le médecin de famille travaille avec les patients pour examiner et prendre en charge leur détresse6. Cette approche diffère de la forme de dépistage hypothétique, plus axée sur la maladie et plus déductive, qui est propre aux soins spécialisés. D’ailleurs, lorsqu’un spécialiste ne peut détecter chez un patient une cause de symptôme en lien avec le système corporel de son expertise, on réoriente souvent le patient vers son médecin de famille. La médecine de famille vise moins la maladie et davantage le bien-être des patients, afin d’améliorer leur quotidien en ce qui a trait à la santé7. Ce type de soins complets et globaux, qui exige une souplesse intellectuelle et une pensée créative, peut être énormément valorisant. Les médecins de famille peuvent raconter aux apprenants leur expérience de la prestation de soins complets et globaux, notamment en leur parlant de cas où leurs patients présentaient des symptômes inexpliqués et en leur expliquant comment le fait d’être témoin d’un symptôme au fil du temps peut approfondir les relations médecin-patient et améliorer les résultats cliniques.
Complexité
Les généralistes prennent en charge des cas complexes. Les nouveaux venus en médecine de famille peuvent se sentir dépassés par la complexité des cas et ne pas savoir par où commencer8. Devant un patient aux prises avec cinq maladies ou plus, 10 médicaments et des circonstances sociales difficiles, l’incertitude peut régner. La prise en charge de la multimorbidité et le fait de composer avec l’incertitude sont le commun de tous les médecins de famille généralistes. Or, la formation médicale de premier cycle est principalement axée sur la maladie prise isolément, sans autres pathologies concomitantes et sans contexte, et consolidée par des lignes directrices et des plans d’intervention portant sur une seule maladie. Notre examen systématique sur l’enseignement de la multimorbidité n’a relevé que deux études, toutes deux au niveau postdoctoral9. Les médecins de famille peuvent modéliser la façon dont les généralistes prennent en charge la complexité et aider les apprenants à privilégier une approche structurée de la multimorbidité en décomposant les cas complexes en composantes plus faciles à gérer par le regroupement de maladies semblables, en appliquant des compétences de prise de décisions partagée, et en admettant franchement toute incertitude aux patients. Les apprenants de premier cycle peuvent grandement tirer parti de la participation de résidents à ces discussions, car ceux-ci sont souvent aux prises avec des difficultés semblables; leur point de vue de pairs peut rassurer les apprenants et les encourager à poser leurs questions.
Contexte
Les généralistes intègrent l’expertise de la matière et à celle du contexte. À la faculté de médecine, l’apprentissage est grandement axé sur la maîtrise de la matière. En médecine de famille, on mise sur l’application de cette expertise aux circonstances particulières de chaque patient. Le contexte peut être envisagé sous plusieurs angles : le contexte du patient, le contexte de la pratique, le cadre pédagogique, l’emplacement physique et le contexte sociopolitique et culturel10. Les médecins de famille réagissent à la variabilité du contexte au moyen d’une expertise adaptative. Ils peuvent montrer l’adaptabilité contextuelle aux apprenants en les interrogeant sur différents scénarios quant aux soins de leurs patients. Et si l’apprenant devait prendre en charge ce patient dans un milieu rural ou urbain? Et si le patient n’avait pas accès à des prestations d’assurance complètes, à des services de garde, etc.? Les mises en situation aident les apprenants à articuler leurs connaissances tacites et à réfléchir à leur démarche dans différents contextes, ainsi qu’aux avantages et inconvénients de chacun.
Continuité des soins
La continuité des soins se définit comme un contact répété entre un patient et un médecin au fil du temps11. Les consultations répétées donnent aux patients et aux médecins l’occasion de se comprendre. Au moyen de ces connaissances accumulées, le médecin adapte les soins lors des visites suivantes. La continuité peut s’entendre comme une mesure approximative de la solidité des relations patient-médecin12 et est associée à diverses améliorations des résultats pour le patient, y compris une meilleure satisfaction, une meilleure promotion de la santé, une plus grande observance des médicaments, un moindre recours aux hôpitaux et une baisse de la mortalité11. Malgré la valeur de la continuité des soins, qui est évidente pour les médecins de famille, outre lors d’externats longitudinaux, les occasions de faire l’expérience de la continuité des soins au premier cycle universitaire sont plutôt limitées pour les apprenants. Bien que bon nombre de facultés offrent aux apprenants de passer du temps dans un cabinet de médecine de famille ou de suivre le cheminement d’un patient lors de préexternats, les possibilités de nouer des relations longitudinales avec les patients sont limitées. Les médecins de famille peuvent expliquer le concept de continuité en parlant des relations qu’ils entretiennent avec leurs patients (et leur famille) au fil du temps et de la façon dont leurs connaissances personnelles du patient influent sur les recommandations qu’ils formulent à leur égard en ce qui concerne ses soins au cours d’une consultation. Souvent, le lien entre cette continuité et ces recommandations va de soi pour le médecin de famille, mais pas pour un apprenant.
Communication
Il est important que l’enseignant démontre le principe de communication claire et impartiale; nous parlons ici de la communication interprofessionnelle et entre médecins. Une documentation bien établie fait état d’un curriculum caché qui dénigre la médecine de famille, de sorte qu’elle est perçue comme une option de carrière inférieure ou de dernier recours8. Mais les commentaires négatifs sur les spécialités ne sont pas particuliers à la médecine de famille. Récemment, le terme irrespect envers les spécialités13 a été utilisé pour décrire les commentaires négatifs injustifiés formulés par les stagiaires et les médecins sur différentes spécialités. Un sondage mené auprès des étudiants en médecine aux États-Unis a révélé que le fait d’être confronté à un manque de respect envers une spécialité avait des répercussions modérées ou fortes sur leur choix de spécialité13. En outre, les commentaires irrespectueux peuvent non seulement diminuer l’intérêt des étudiants pour la spécialité qui est la cible des remarques, mais aussi pour celle qui en est la source. Ainsi, l’irrespect engendre un cycle mutuellement destructeur. Les médecins de famille peuvent, même inconsciemment, être irrespectueux envers une spécialité lorsqu’ils font des commentaires désobligeants sur les soins prodigués à un patient par des spécialistes, d’autres médecins de famille ou des collègues du domaine paramédical. La promotion du respect envers les spécialités requiert le respect envers tous les professionnels de la santé, quelle que soit leur discipline. Les médecins de famille devraient parler avec respect des autres professions et expliquer, du point de vue de la médecine familiale, comment améliorer les soins d’un patient (en recadrant ainsi la question).
Collaboration
La collaboration est inhérente à la médecine généraliste, car les médecins aident les patients à naviguer dans les systèmes de santé. De plus en plus, les généralistes travaillent en équipe dans le cadre du modèle du Centre de médecine de famille5. Les apprenants ne connaissent peut-être pas ce modèle, mais en se faisant expliquer les structures d’équipe et le travail en coulisses, ils en viendront à connaître les efforts cliniques et administratifs nécessaires pour fournir des soins collaboratifs sans heurt.
Conclusion
Le généralisme fait partie intégrante de la médecine de famille et est associé à de meilleurs résultats pour les patients et à une plus grande efficacité du système de santé. Toutefois, cette notion s’avère souvent floue pour les apprenants et tellement connue des superviseurs qu’elle devient tacite, laissant les apprenants dans le noir quant à la façon d’adopter le généralisme. Les 6C (Tableau 1)5 fournissent le vocabulaire commun pour aider les médecins généralistes à structurer et articuler la nature du généralisme afin que les apprenants puissent devenir des généralistes efficaces et contribuer positivement aux résultats cliniques.
Notes
Conseils pour les enseignants
▸ Le généralisme en tant que philosophie de soins fait partie intégrante de la médecine de famille, mais est un concept souvent flou pour les apprenants. Les six concepts clés (les 6 C) fournissent un vocabulaire commun pour aider les médecins généralistes à structurer et articuler la nature du généralisme.
▸ Pendant l’enseignement, les médecins de famille peuvent modéliser la mise en pratique des 6 C : (soins) complets et globaux, complexité, contexte, continuité des soins, communication et collaboration. Ils peuvent favoriser une discussion franche et ouverte avec les apprenants sur les défis uniques de la pratique du généralisme et la gratification qu’elle offre en les illustrant au moyen de leurs propres expériences.
▸ La participation des résidents à ces discussions peut s’avérer particulièrement utile pour les apprenants débutants, car les résidents sont souvent aux prises avec des défis semblables; leur point de vue de pairs peut contribuer à rassurer les apprenants et les encourager à poser leurs questions.
Ressources additionnelles
Horrey K, Davidson C, Tan A. Douze points à considérer lorsque vous discutez d’une carrière en médecine de famille avec un étudiant en médecine. Can Fam Physician 2020;66:74-6 (ang), e41-3 (fr).
Graves L, Power L. Layered learning: Integrating learners into your clinical practice [video]. YouTube; 2020. Dans: https://www.youtube.com/watch?v=2woNwQMtaWM. Accessed 2021 Sep 8.
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC). La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en mettant l’accent sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Viola Antao, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à viola.antao{at}utoronto.ca
Footnotes
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the October 2021 issue on page 786.
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