Quand nous ne sommes plus capables de changer une situation…nous sommes mis au défi de nous changer nous-mêmes.
Viktor E. Frankl, Man’s Search for Meaning1
Au cours de la dernière année et demie, la pandémie de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) a changé rapidement, radicalement et probablement définitivement la façon dont les médecins de famille exercent la médecine2. Un virage sans précédent vers les soins virtuels durant les toutes premières semaines de la pandémie a permis à bon nombre d’entre nous de dispenser des soins acceptables à la plupart de nos patients, mais, au moment où la quatrième vague déferle sur le pays, des incertitudes et des défis nouveaux se pointent.
À quoi ressemblera la pratique dans ce tout nouveau monde de soins mixtes, en virtuel et en personne? À court terme, quelles seront les conséquences des retards dans l’accès aux soins préventifs ou pour les personnes qui souffrent de maladies chroniques et qui ont reporté les soins par crainte de contracter la COVID-19 avant de pouvoir être vaccinés?
De nombreux experts croient que la COVID-19, contrairement au SRAS, deviendra endémique dans la population, comme la grippe saisonnière, bien qu’il subsiste encore des incertitudes à cet égard3. À plus long terme, comment allons-nous composer avec cette maladie nouvelle, et peutêtre nouvellement endémique, qui pourrait entraîner un plus grand nombre de visites saisonnières pour une évaluation clinique et pour des tests, sans compter le travail additionnel de vaccination annuelle en plus des vaccins que nous administrons déjà aux enfants et aux adultes?
Enfin, à l’ère de la COVID-19 endémique, comment trouverons-nous le juste équilibre entre les soins cliniques directs, offerts virtuellement ou en personne, et la myriade d’astreignantes tâches cléricales, administratives et de communication qui ont été imposées aux médecins de famille en raison de dossiers médicaux électroniques mal conçus, qui ont aussi changé radicalement nos modèles de pratique4?
Comment nous en tirerons-nous avec des changements si nombreux et si rapides? Lorsqu’il y a autant de changements, d’instabilité et d’incertitude, il y a aussi des possibilités et des besoins sans précédent de travaux de recherche5.
L’un des plus grands changements provoqués par la COVID-19 pourrait être la façon dont les médecins de famille sont rémunérés. Aux premiers jours de la pandémie, de nombreux médecins de famille rémunérés à l’acte (RA) ont été le plus durement touchés sur le plan financier personnel, sans compter les possibles conséquences pour la santé de leurs patients.
Dans ce numéro du Médecin de famille canadien, nous présentons une recherche inédite par le Dr Philip Jacobs et ses collègues, à Edmonton, qui ont étudié les impacts financiers de la COVID-19 sur les médecins de famille en Alberta (page e307)6. Se fondant sur une modélisation financière et sur des hypothèses raisonnables décrites dans l’étude, ils ont évalué la facturation selon la RA des médecins de famille avant, durant et après la pandémie. Ils ont observé que les changements dans les habitudes de pratique suscités par la COVID-19 et l’introduction rapide de visites en télémédecine se sont traduits par de possibles réductions d’autant que 70 à 80 % dans le revenu annuel moyen des médecins de famille (facturation après frais généraux)6. Par conséquent, ils ont conclu que la réduction du revenu tiré des structures existantes, aux niveaux actuels des honoraires, pourrait faire en sorte que la pratique de la médecine familiale en clinique selon la RA pourrait être insoutenable pour certains médecins de famille. Ils ont aussi fait valoir qu’après la COVID-19, parce que les changements dans l’exercice de la médecine familiale qui se traduisent par une combinaison de visites en clinique et de télémédecine deviendront probablement permanents, il faudra des modifications dans les honoraires ou d’autres modes de rémunération pour préserver de nombreuses cliniques de médecine familiale communautaires.
Dans un commentaire d’accompagnement (page 812)7, la Dre Goldis Mitra et ses collègues, de l’Université de la Colombie-Britannique à Vancouver, présentent un bref historique des modes de rémunération des médecins au Canada et font valoir qu’il est temps d’adopter de façon plus généralisée des solutions de rechange à la RA. L’un des éléments les plus intéressants de leur argumentation est que des données prouvent que les médecins plus jeunes privilégient de plus en plus la pratique dans des milieux où la rémunération est versée sous des formes alternatives, et que ceux qui sont forcés d’accepter une RA sont moins enclins à pratiquer la médecine familiale complète et globale.
La pandémie de la COVID-19 a soumis la médecine familiale canadienne à un stress considérable, et a révélé, entre autres, les vulnérabilités des modes de RA.
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