Depuis son apparition en Chine en décembre 2019 et la déclaration de l’état d’urgence de santé publique de portée internationale par l’Organisation mondiale de la Santé le 30 janvier 20201, la pandémie de la COVID-19 constitue une menace mondiale. En cette période exceptionnelle, les transformations et les adaptations restructurent rapidement les systèmes de santé. Qu’il s’agisse d’individus ou d’institutions, plusieurs acteurs de la société se sont mobilisés afin de lutter contre les effets de la pandémie. De nombreuses mesures ont été prises, à différents niveaux, engageant divers pans de la société. Alors que certaines de ces mesures sont imposées, nombreuses sont celles dont l’efficacité ne repose que sur la responsabilité ou l’engagement altruiste de tout un chacun. Ces mesures incluent le lavage des mains, le respect de la distanciation physique et sociale, les restrictions sur la mobilité interrégionale et internationale, ainsi que les obligations liées au confinement à domicile. Ces règles sont élémentaires, mais leur respect traduit le degré du sens de responsabilité sociale (RS) des individus dans la préservation de la santé du monde entier.
Préserver et favoriser le bien-être collectif de la société représentent l’essence et l’objectif ultime du concept de la RS2. Nous définissons la responsabilité sociale comme une invitation morale à agir pour le bien commun, au-delà de nos intérêts personnels. Pour la plupart, il s’agit d’une action délibérée et non contraignante, mais certains individus ou institutions aux rôles sociétaux particuliers peuvent être appelés à démontrer de manière plus conséquente leur RS. La pandémie a perturbé l’humanité d’une manière sans précédent et la réponse collective de l’humanité témoigne d’un mouvement de solidarité et de RS.
Dans le cadre de ce commentaire, nous évoquons comment la pandémie révèle quelques grandes orientations pour l’avenir de la recherche en RS liée à la santé. Nous mettons l’accent sur l’importance d’appliquer ce concept à l’ensemble des acteurs de la société, d’étudier le concept selon une approche écologique et d’établir en priorité 3 thèmes de recherche : les angles morts de la RS, l’interdépendance du partenariat entre les acteurs de la santé et la formation des futurs professionnels de la santé.
Les acteurs
À la suite de l’énoncé de position de l’Organisation mondiale de la Santé sur la RS des facultés de médecine3, les réflexions et les recherches antérieures en RS se sont faites majoritairement à l’échelle des institutions de formation4,5 ou des politiques de santé, surtout dans les pays à faible et moyen revenu6,7. Le Consensus mondial8, document fondateur de la RS des facultés de médecine, met en évidence la nécessité de la recherche en RS pour évaluer et améliorer l’impact qu’ont les facultés de médecine sur la réponse aux besoins et aux défis des individus et de la société sur le plan de la santé. Récemment, Maherzi et ses collègues9 ont souligné les répercussions de la pandémie de la COVID-19 sur la formation des futurs professionnels de la santé, de même que l’occasion unique pour les facultés de médecine de renforcer leur engagement à mieux préparer ces futurs professionnels à répondre aux besoins sociétaux et aux futurs défis en matière de santé. Ils ont décrit des actions structurantes que peuvent entreprendre les facultés de médecine pour faire avancer leurs mandats sociaux. Nous souhaitons mettre de l’avant que la RS liée à la santé devrait aller au-delà du cadre des facultés de médecine et s’appliquer à tous les acteurs, sur les plans individuel ou collectif, et que ce sujet mérite l’attention des chercheurs en RS.
L’approche écologique
La théorie des systèmes écologiques de Bronfenbrenner offre un cadre permettant d’examiner la complexité des relations des individus (microniveau) au sein des communautés (mésoniveau) et de la société dans son ensemble (macroniveau)10. Au microniveau (individu), il s’agit d’orienter la recherche vers les façons dont les déterminants sociaux de la santé affectent la capacité d’un individu à suivre les recommandations de santé publique. Il en faut davantage pour une prise de conscience individuelle et une sensibilisation des personnes vivant en situation de vulnérabilité. Au mésoniveau (communautaire), l’intérêt se situe dans la question de savoir si les systèmes de santé répondent aux besoins démographiques et géographiques des populations et des collectivités particulières. Enfin, au macroniveau (société), il faut chercher à mieux comprendre les politiques économiques et les mesures de santé publique adoptées par les différents gouvernements et leur impact sur la santé de la population. Une perspective écologique en recherche offre un moyen de dégager simultanément les systèmes individuels, contextuels et sociétaux, de situer les niveaux de RS et d’identifier les interrelations en vue d’une démarche participative en santé publique.
Les thèmes de recherche prioritaires
Les angles morts de la RS. Être socialement responsable implique de connaître notre réalité sociale. La pandémie de la COVID-19 dévoile notre interdépendance entre individus et entre la société et l’environnement. Si une partie de la population ou de la société est ignorée, le virus continuera à se propager. En ce sens, la pandémie est révélatrice de nos angles morts. Le manque d’espace physique pour traiter les patients malades et la fragilité des systèmes de santé locaux comptent parmi les problèmes majeurs rendus plus visibles par la pandémie. La tragédie sans doute la plus importante est la perte catastrophique de vies parmi toute une génération âgée. Pour de nombreux pays à travers le monde, la pandémie a révélé à quel point les filets de sécurité sociale existants étaient extrêmement inadéquats. Les personnes sans abri représentent un exemple pour qui, dans certains pays, les gouvernements et les institutions ont rapidement débloqué des ressources nécessaires pour leur fournir un logement hygiénique afin de prévenir la contagion. Nous avons vu aussi croître le recours aux médias sociaux, à la fois comme moyen de communication pour rejoindre différents groupes, mais aussi comme source de confusion, par les messages contradictoires véhiculés, et de souffrance, par l’augmentation de communications délétères, voire haineuses, à l’endroit de certains groupes. Par exemple, dans le domaine de la santé mentale, nous avons observé la nécessité de mettre en place des mécanismes de collaboration entre les différents acteurs du système de santé et des services sociaux pour rejoindre efficacement les individus essayant de faire face aux problèmes personnels de santé mentale engendrés par la pandémie. Nous avons été témoins de l’impact des politiques d’organisation des services sur la prise en charge des personnes aînées et vulnérables pour qui le risque a d’abord été sousestimé et qui ont été isolées sans assurer la capacité de répondre à leurs besoins. Là réside la nécessité de la prise de conscience de notre réalité sociale : identifier les besoins prioritaires de santé de la société. Alors que les problèmes d’accès aux soins de santé dans les régions mal desservies étaient bien connus avant la pandémie, d’autres préoccupations sont soulevées concernant la distribution des services de soins primaires et les pénuries de main-d’œuvre rencontrées dans les milieux ruraux et éloignés. Cette situation revêtira une importance particulière dans le déploiement à l’échelle du pays de la campagne de vaccination de masse. La question de savoir comment la recherche en RS peut faciliter la prise de conscience de nos angles morts est très pertinente. Nous avançons la proposition d’orienter la recherche en RS vers des angles morts encore peu explorés, y compris ceux que nous avons mis en évidence et d’autres qui pourraient être identifiés dans de futures recherches, afin de cerner les besoins prioritaires de la société en matière de santé. En ce sens, des regards d’autres disciplines et la recherche interdisciplinaire et transdisciplinaire peuvent offrir la perspicacité voulue pour connaître les angles morts de la RS.
Le partenariat entre les acteurs de la santé. Les actions témoignent de la RS. Agir ne se fait pas seul. Dans une vision de santé publique, le système de soins n’est qu’un sous-système du système de santé plus large. Ainsi, la résolution de la pandémie relève non seulement de l’engagement communautaire, mais aussi de la RS de plusieurs autres intervenants et institutions politiques ou économiques. Le pentagone du partenariat, défini par l’Organisation mondiale de la Santé11, offre un cadre permettant d’examiner le partenariat entre les acteurs de la santé. Ce pentagone se compose de 5 acteurs du domaine de la santé : les institutions de formation, les professionnels de la santé, les communautés, les décideurs politiques et les gestionnaires d’établissements de santé. Ces mêmes acteurs sont ciblés comme responsables d’actions de promotion de la santé12, ce qui témoigne de la contribution de chaque composante en RS. La pandémie a permis à de nouveaux partenariats de se distinguer par des actions socialement responsables, comme la contribution des travailleurs du domaine de l’alimentation, de l’hygiène et de la salubrité. Elle a aussi mis en lumière la contribution unique et souvent sous-estimée d’un préposé au bénéficiaire et du proche aidant dans les centres de soins de longue durée. En raison de la pandémie, nous avons observé l’émergence de partenariats entre des acteurs de la santé et des partenaires non conventionnels (p. ex. fabrication et industrie). Bien que des partenariats aient été établis pour répondre rapidement aux besoins collectifs, certaines industries ont profité de la réponse à la pandémie plus que d’autres, ce qui peut contribuer à exacerber les iniquités sur le plan de la santé. Le pentagone peut servir de point de repère pour examiner l’ensemble des collaborations qui se sont développées afin de lutter contre les iniquités en matière de santé.
La formation des futurs professionnels de la santé. De plus en plus, les programmes de formation en sciences de la santé orientent l’enseignement et l’apprentissage afin de préparer les apprenants à reconnaître les relations entre les aspects de leur travail professionnel et leurs obligations envers la société. Cette transformation plus récente en pédagogie des sciences de la santé est liée à l’intégration des valeurs et des aspirations exprimées par le concept de la RS.
Pour les institutions de formation, la responsabilité sociale est définie comme une obligation pour les facultés « d’orienter la formation qu’elles donnent, les recherches qu’elles poursuivent et les services qu’elles dispensent, vers les principaux problèmes de santé de la communauté, région et/ou nation qu’elles ont comme mandat de servir »3. Pour atteindre cet objectif, des activités pédagogiques (p. ex. stages en communauté ou en soins primaires, activités autour de réflexions) sont mises en place, car elles semblent efficaces pour sensibiliser les futurs professionnels de la santé aux besoins des populations en matière de santé. La pandémie de la COVID-19 met en évidence les répercussions transformatrices que cette crise sanitaire aura en pédagogie des sciences de la santé. Les programmes tout au long du continuum de la formation (étudiants et praticiens actuels) dans de nombreux pays ont été réformés pour répondre à cette exigence synonyme de l’excellence universitaire et institutionnelle. Les facultés peuvent tirer des leçons des approches pédagogiques mobilisées à la suite de la pandémie pour favoriser la collaboration interprofessionnelle et interdisciplinaire visant à renforcer la RS liée à la santé9. En effet, les futurs professionnels de la santé apprennent immédiatement la différence qu’ils peuvent faire en fonction de leur propre RS de répondre aux besoins de santé de la société. Cela présente à la fois des défis et des possibilités pour l’avenir de la recherche en RS, comme l’identification des compétences liées à la RS et les voies séquentielles permettant d’atteindre ces compétences.
Conclusion
Les chercheurs ont documenté les changements en santé publique résultant d’événements mondiaux, comme les guerres mondiales, les guerres civiles et les conflits, les catastrophes naturelles et les crises de santé publique13,14. Bien que la pandémie ait été et continuera d’être un catalyseur important du changement dans plusieurs contextes, il sera difficile de s’assurer que les adaptations seront maintenues au fil du temps15. Ce moment particulier dans notre histoire appelle à une réflexion audacieuse sur le concept de la RS, soutenue par un engagement renouvelé en recherche. Bien que la recherche en RS s’intéresse surtout à l’impact des actions, de futures recherches doivent être orientées vers de nouvelles avenues, comme les angles morts encore peu explorés, la contribution de nouveaux partenariats et la formation des futurs professionnels de la santé.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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