Les médias et la littérature scientifique propagent des mythes concernant les femmes enceintes atteintes d’obésité. Ces mythes pourraient influer négativement sur la qualité de la recherche et la prestation des soins de santé. En 2014, Chaput et ses collègues1 publiaient un commentaire traitant d’idées erronées largement répandues à propos de l’obésité. Dans cet article, nous voulons faire fond sur leurs travaux en discutant des mythes qui entourent l’obésité durant la grossesse, en mettant l’accent sur le gain pondéral gestationnel (GPG), nous appuyant sur des connaissances acquises à la suite de consultations avec des médecins et des chercheurs. Notre objectif est de mettre au défi les professionnels de la santé et les chercheurs de revoir la façon dont nous devrions soigner et appuyer les femmes obèses durant leur grossesse.
Mythes
Durant la grossesse, les femmes atteintes d’obésité sont moins actives et ont une alimentation de moins bonne qualité que celles de poids « normal ». Dans les recherches sur la nutrition et le degré d’activité dans les populations en général, les différences entre les personnes ayant un indice de masse corporelle (IMC) normal et celles ayant un IMC obèse ne reposent pas sur de nombreuses données probantes. De même, il y a peu de données épidémiologiques de grande qualité corroborant des différences significatives dans les degrés de nutrition et d’activité avant la grossesse et prénatals entre les femmes dont l’IMC est classé normal et celles dont l’IMC est classé obèse. Les études qui ont comparé l’alimentation et l’activité physique avant la conception ou prénatales en se fondant sur l’IMC avant la grossesse n’ont pas été concluantes, certaines études faisant valoir que les femmes ayant un IMC normal étaient plus susceptibles d’avoir un mode de vie « sain » que les femmes obèses2,3, alors que d’autres ne constataient aucune différence4-6. L’alimentation et l’activité physique ont généralement été considérées comme les « 2 facteurs majeurs » causant l’obésité et permettant de la prédire1. Même si les habitudes alimentaires et l’inactivité physique pourraient contribuer à l’obésité et au GPG, nous nous rendons de plus en plus compte qu’une interaction entre des facteurs environnementaux, psychosociaux et biologiques, dont plusieurs sont hors du contrôle de la personne, intervient également7. Les notions simplistes généralisées concernant les causes de l’obésité (trop de nourriture, pas assez d’exercice) et les solutions possibles (manger moins, bouger plus) propagent le mythe populaire voulant que l’obésité soit exclusivement le résultat d’un choix personnel d’être inactif et d’avoir une mauvaise alimentation. Cette idée erronée alimente encore plus les préjugés et les stéréotypes liés au poids corporel dans les milieux sociaux et de la santé8.
Les femmes enceintes atteintes d’obésité excèdent les recommandations sur le GPG parce qu’elles ne sont pas assez actives et ont une mauvaise alimentation. Les « 2 facteurs majeurs » sont souvent cités comme étant la cause d’un GPG excessif. Des données épidémiologiques ont démontré qu’il était plus probable que les femmes enceintes obèses aient un GPG supérieur aux recommandations de 2009 de l’Institute of Medicine9. En dépit de cette constatation, les recherches qui présentent des stratégies de gestion du GPG fondées sur des données probantes sont rares. Les femmes obèses ont tendance à prendre moins de poids que celles de poids normal durant la grossesse, ce qui pourrait s’expliquer par une fourchette étroite de gain pondéral recommandé (gain pondéral recommandé selon l’IMC : 11,5 à 16,0 kg pour les femmes de poids normal contre 7,0 à 11,5 kg pour celles ayant un surpoids et 5,0 à 9,0 kg pour les femmes obèses)10. Considérez ceci : une femme ayant un IMC avant la grossesse de 29,8 kg/m2 respecterait les lignes directrices sur le GPG si elle prenait 11,0 kg, tandis qu’une femme d’un IMC de 0,2 kg/m2 avant la grossesse qui gagnerait le même poids aurait excédé les lignes directrices de 2 kg. Par conséquent, il pourrait être erroné de présumer que la classification d’un GPG excessif représente directement une non-conformité aux comportements d’un mode de vie sain, comme les exercices prénataux, lorsque la classification pourrait refléter d’autres facteurs, comme les seuils recommandés. Même si nous ne pouvons pas nier les bienfaits pour la santé liés à un GPG approprié, à l’activité physique et à l’alimentation durant la grossesse11,12, il est présomptueux d’attribuer exclusivement la causalité d’un GPG excessif aux habitudes de consommation alimentaire prénatales et de dépense d’énergie par l’activité physique. Il est plausible que d’autres facteurs liés au mode de vie puissent influer sur les comportements alimentaires et l’activité, et aussi être associés à un GPG excessif (p. ex. sommeil, niveaux de stress, coûts et accessibilité des aliments).
Nous devons porter une attention adéquate et équilibrée à d’autres influences physiologiques, psychologiques et sociétales qui pourraient mieux expliquer pourquoi certaines femmes prennent plus de poids que ce qui est recommandé pendant la grossesse. Par exemple, la masse de gras maternel chez les femmes enceintes obèses peut être mobilisée pour répondre à la demande d’énergie entraînée par la grossesse et le fœtus en croissance, un fait qui contredit les lignes directrices en santé publique, qui encouragent toutes les femmes à augmenter leur apport calorique aux deuxième et troisième trimestres13,14. En outre, des recherches ont démontré une forte composante génétique dans les facteurs qui influent sur l’équilibre de l’énergie, et pourtant, il existe peu d’information sur la façon dont les gènes pourraient prédisposer les femmes à avoir un GPG excessif et des complications obstétriques15. D’un point de vue psychologique, pour les femmes qui ont vécu avec l’obésité pendant toute leur vie adulte, la grossesse pourrait représenter la première fois où l’on s’attend à ce qu’elles prennent du poids16. On ne sait pas si les préoccupations de poids et d’alimentation avant la grossesse, les cycles répétés de perte et de gain pondéral, les troubles de l’alimentation et la moins bonne estime de soi influent sur le GPG excessif17. Étant donné les bienfaits connus pour la santé de prendre du poids conformément aux lignes directrices sur le GPG, il faudrait plus de recherches pour explorer d’autres facteurs susceptibles de causer le dépassement des limites recommandées.
La réussite d’un programme sur le GPG pour les femmes atteintes d’obésité se mesure par la conformité aux lignes directrices. Les études randomisées contrôlées conçues pour prévenir un GPG excessif ont souvent défini la réussite d’un programme comme le fait d’avoir une différence statistiquement significative en faveur d’une intervention par rapport au groupe témoin dans la proportion de GPG excessif18. Les fourchettes de GPG recommandées par l’Institute of Medicine ont été élaborées pour faire un juste équilibre entre les risques et les bienfaits associés indéniables et à long terme pour les mères et les enfants. Il a été démontré que la prévention globale d’un GPG excessif réduisait le risque d’obésité à l’avenir; toutefois, il pourrait y avoir d’autres mesures pertinentes de la réussite d’un programme qui devraient être prises en compte et reconnues19. À l’instar des programmes pour les populations en dehors de la grossesse, ces programmes pourraient être efficaces si les objectifs étaient centrés autour de l’amélioration des comportements plutôt que sur la conformité à des seuils de poids établis18. Les conseils liés à la gestion du poids durant la grossesse ne devraient pas suivre une approche universelle. Les professionnels de la santé et les chercheurs devraient aspirer à comprendre l’histoire de la patiente obèse et offrir des occasions susceptibles, en fin de compte, d’aider à la gestion du poids. Les fournisseurs de soins devraient envisager d’utiliser un référentiel ou une approche clinique, comme les 5 A d’une saine prise de poids lors de la grossesse d’Obésité Canada (agréer, apprécier, accompagner, s’associer, aider)20, un outil éprouvé pour aider à évaluer l’état de préparation des patientes pour discuter de la gestion du poids durant la grossesse21. De plus, il y aurait lieu de consulter la directive clinique pour la prise en charge de l’obésité durant la grossesse, y compris la gestion du GPG22.
Au lieu de définir simplement la réussite par une issue binaire d’un GPG approprié ou excessif, les médecins devraient se servir de leur jugement clinique en fonction de chaque patiente et aspirer à prendre, conjointement avec elle, des décisions au sujet des objectifs en matière de gestion du poids. Pour certaines femmes, l’objectif principal pourrait être de se sentir mieux, d’avoir plus d’énergie, de se joindre à un cours prénatal d’activité physique, d’améliorer leur hygiène du sommeil ou d’apprendre des recettes saines. D’autres femmes pourraient envisager que la réussite se mesure par l’atteinte de leurs objectifs liés aux changements comportementaux. Pour d’autres encore, la définition de la réussite pourrait se fonder sur des issues positives à la naissance.
Les femmes enceintes atteintes d’obésité ne s’intéressent pas à la nutrition et à l’exercice. Les femmes obèses signalent se sentir davantage jugées en raison de leur poids durant la grossesse que jamais auparavant23. Elles ont l’impression que les préoccupations liées à la grossesse sont automatiquement attribuées à leurs présumées habitudes de vie24. Les stéréotypes associés à l’obésité (p. ex. la paresse) sont amplifiés durant la grossesse et poussés jusqu’à un « manque de souci pour le bébé »25. Les femmes obèses veulent vivre une saine grossesse24 et avoir un soutien sans jugement des professionnels de la santé23,26. En fait, les femmes obèses signalent vouloir des renseignements au sujet de stratégies visant un comportement de vie sain23,26. Les chercheurs et les professionnels de la santé ne devraient pas présumer des intentions et des comportements, et ils devraient plutôt évaluer et soutenir les femmes enceintes sur le plan individuel.
L’obésité nuira aux taux de réussite des traitements de l’infertilité. Ce mythe dépasse les confins des murs universitaires et est débattu dans les arènes publiques, politiques et philosophiques. Certaines données factuelles indiquent que les femmes obèses pourraient avoir des altérations dans l’axe hypothalamo-hypophysothyroïdien, qui peuvent causer une dysfonction menstruelle menant à l’infertilité27. Des pays comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande28, de même que les États-Unis29 ont établi des seuils d’IMC admissibles à la fécondation in vitro (FIV). La Société canadienne de fertilité et d’andrologie n’appuie pas cette imposition; par ailleurs, certains médecins sont d’accord avec l’idée que des seuils d’IMC devraient être envisagés comme critères d’admissibilité à la FIV au Canada30. Brown maintient que la décision de refuser la FIV aux femmes obèses sur la base que le traitement ne fonctionnera pas est injustifiée31. Selon son analyse, la décision est plutôt fondée sur des renseignements insuffisants liés aux coûts et à l’efficacité, qui ne sont pas significativement différents pour les femmes ayant un IMC classé comme obèse que pour celles ayant un IMC dit normal31.
En outre, Tremellen et ses collègues ont démontré, dans leur analyse de 2017, que les taux de naissances vivantes chez les femmes ayant un IMC supérieur à 35,0 kg/m2 n’étaient pas cliniquement plus faibles que chez les femmes dont le poids était dans les fourchettes normales (26,3 c. 31,4 %, respectivement)32. Enfin, des recherches antérieures ont démontré que les indicateurs de l’état de santé liés à l’obésité, y compris la pression artérielle, les antécédents médicaux et l’évaluation fonctionnelle, sont des facteurs de prédiction plus convaincants de la réussite des traitements pour l’infertilité que l’IMC33. Un article publié dans The New York Times Magazine en 2019, dont le titre disait « Lorsqu’on vous dit que vous êtes trop grosse pour devenir enceinte », a attiré l’attention sur les effets indésirables considérables sur la communication patiente-médecin et la santé mentale de la patiente, qui peuvent survenir lorsque les médecins présument que les traitements pour l’infertilité chez leurs patientes obèses échoueront34.
Conclusion
Les mythes associés à l’obésité durant la grossesse peuvent nuire à la prestation d’interventions sur le mode de vie, aux soins de santé prénataux et à l’expérience de la grossesse d’une femme. La plupart de ces idées erronées sont dues à l’opinion stigmatisante voulant que l’obésité, et donc un GPG excessif, soit le résultat des décisions indépendantes d’une personne concernant son mode de vie. Une approche centrée sur la patiente pour gérer l’obésité avant la conception et durant la grossesse est nécessaire tant en recherche que dans les soins de santé.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 85.
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