L‘Organisation mondiale de la Santé recommande l’allaitement maternel exclusif comme seule forme d’alimentation des nourrissons durant les 6 premiers mois de leur vie1. Toutefois, de nombreuses femmes peuvent supplémenter ou remplacer l’allaitement maternel par un lait maternisé, pour différentes raisons, dont des difficultés à allaiter et des préoccupations entourant la santé de la mère et de l’enfant2. Les laits maternisés pour nourrissons les plus souvent utilisés et recommandés ont du lait de vache comme source de protéines. Cependant, les nourrissons à qui on donne ces préparations développent plus souvent une allergie au lait de vache (ALV) que ceux qui sont exclusivement alimentés au lait maternel3.
L’allergie au lait de vache
L’allergie au lait de vache compte parmi les allergies alimentaires les plus communes chez les nourrissons4,5, des taux de 14 à 17 % étant signalés par les parents et des taux bien moins élevés étant signalés par les professionnels de la santé3,6. Une revue de 229 articles sur l’ALV de 1967 à 2001 faisait valoir une incidence de 2 à 3 % durant la première année de vie5. Ces taux sont semblables aux 2,7 % signalés par l’Organisation mondiale de l’allergie (OMA) à la suite d’une revue de 5 études sur l’ALV en Europe du Nord7. L’écart entre le signalement parental et les taux cliniquement confirmés d’ALV peut s’expliquer par une attribution erronée à une ALV de symptômes courants durant la petite enfance (p. ex. régurgitation, coliques, eczéma)6.
Les principaux allergènes dans le lait de vache sont les protéines du lactosérum (α-lactalbumine, β-lactoglobuline, albumine sérique bovine et immunoglobulines bovines) et les protéines de la caséine (α-s1, α-s2, caséine β, caséine κ)7. Les réactions médiées par les immunoglobulines E (IgE) se présentent dans les 2 heures suivant l’exposition et se manifestent par des symptômes cutanés, gastro-intestinaux et respiratoires6,7. Les réactions qui ne sont pas médiées par les IgE sont moins communes et se présentent à retardement, habituellement sous forme de symptômes gastro-intestinaux6. Parmi les autres symptômes peuvent figurer le syndrome de l’entérocolite induite par des protéines alimentaires, des selles sanguinolentes liées à une proctocolite allergique ou d’autres symptômes gastro-intestinaux chroniques comme la diarrhée et l’absence de développement6. L’anaphylaxie est rare, mais elle se produit chez 0,8 à 9 % des nourrissons ayant une ALV7.
Le diagnostic de l’ALV
Les présentations variables, les symptômes qui coïncident avec d’autres symptômes normaux durant la petite enfance et l’absence de tests diagnostiques validés entraînent de mauvais diagnostics de l’ALV6. La connaissance du contenu en lait ou en produits laitiers de tous les aliments et les boissons ingérés, la présentation des symptômes, les résultats aux tests cutanés et épicutanés, de même que la mesure des taux sériques d’IgE spécifiques à l’aliment peuvent aider au diagnostic6. Le critère de référence pour le diagnostic d’une ALV est le test oral de provocation alimentaire, qui comporte l’élimination, la provocation au moyen d’un protocole de provocation alimentaire à double insu contre placebo et la ré-élimination7,8. Par ailleurs, en présence de symptômes objectifs d’ALV chez de jeunes enfants, les résultats d’un test ouvert de provocation par des aliments peuvent être considérés comme des preuves suffisantes pour poser un diagnostic d’ALV7.
Le traitement par l’élimination
Le traitement par l’élimination du lait de vache dans l’alimentation4 entraîne une rémission chez 85 % des nourrissons5,7. Chez les bébés exclusivement nourris au lait maternel, il faut, pour ce faire, que la mère élimine tous les produits laitiers de sa propre alimentation4,6,7. Pour les nourrissons de moins de 2 ans à qui on donne du lait maternisé, il faut une préparation de substitution7. Parmi ces substituts figurent les préparations à base de protéines de lait de vache hydrolysées, de protéines de riz ou de soja hydrolysées ou d’acides aminés. Il faut tenir compte de facteurs comme l’efficacité de la préparation, une ingestion suffisante de nutriments, les préférences de la famille et les coûts4,9.
Les préparations au lait de vache hydrolysées
Il ne faut pas utiliser les préparations au lait de vache partiellement hydrolysées pour traiter l’ALV, car il a été démontré qu’une réactivité croisée se produisait chez environ 50 % des nourrissons ayant une ALV7,8. Toutefois, les préparations fortement hydrolysées qui ne contiennent aucun peptide d’une masse moléculaire de plus de 5000 Da10 sont hypoallergènes selon l’American Academy of Pediatrics et la Société européenne de gastroentérologie, hépatologie et nutrition pédiatriques (ESPGHAN), et plus de 90 % des enfants ayant une ALV les toléreront8,10. Dans une étude randomisée contrôlée ouverte auprès de 92 nourrissons ayant une ALV connue, les préparations fortement hydrolysées étaient bien tolérées et suffisamment nutritives pour la croissance du nourrisson11. Parmi 170 nourrissons de moins de 2 ans ayant une ALV confirmée, seulement 2,2 % ont eu une réaction à une préparation fortement hydrolysée par rapport à 10 % chez ceux nourris avec une préparation à base de soja12. Il est essentiel de bien choisir le type de préparation dans les cas d’allergie grave4,8,9. Quoi qu’il en soit, le goût amer11,13-15, le coût9 et le risque d’anaphylaxie8 compliquent l’utilisation des préparations à base de lait de vache fortement hydrolysées.
Les préparations à base de riz hydrolysées
Les préparations à base de riz hydrolysées sont utilisées en Europe depuis des décennies, mais elles ne sont pas disponibles partout13. Une récente revue de 11 études cliniques sur l’utilisation des préparations à base de riz hydrolysées chez des nourrissons ayant une ALV n’a fait état d’aucune réactivité croisée. Sept études rapportaient des profils de croissance satisfaisants chez les enfants en santé et un rattrapage de la croissance chez ceux ayant une ALV14. Une étude multicentrique auprès de 100 nourrissons ayant une ALV confirmée a utilisé un test cutané pour détecter des taux d’IgE spécifiques au riz chez 4 % des nourrissons; aucun symptôme associé n’a été observé9. Les résultats au test d’immunotransfert (western blot) étaient négatifs chez les enfants sensibilisés au riz, ce qui indique que l’hydrolyse des protéines de riz modifie leurs propriétés allergènes et empêche une réponse immunitaire9. Les préparations à base de riz hydrolysées ont pour limites leur disponibilité13 et leur goût amer pouvant réduire leur adoption14. Les préparations à base de riz partiellement hydrolysées sont aussi efficaces dans le traitement de l’ALV, et les scores sur le plan de leur goût équivalent à ceux des préparations à base de soja15.
Les préparations à base de soja
L’utilisation des préparations à base de soja pour le traitement de l’ALV est depuis longtemps un sujet de controverse. Il a été démontré que les préparations à base de soja procuraient des profils de croissance appropriés chez les nourrissons, mais certaines études ont fait valoir un gain pondéral plus faible chez les bébés nourris avec les préparations à base de soja, en comparaison des préparations à base de lait de vache16. Une étude randomisée contrôlée auprès de 170 nourrissons ayant une ALV confirmée a signalé des réactions allergiques chez 10 % des nourrissons alimentés avec une préparation à base de soja12. Les réactions indésirables au soja étaient semblables dans les cas d’ALV médiés ou non par les IgE, et les réactions étaient plus fréquentes chez les nourrissons de moins de 6 mois7,12,17. Selon un test par ordre aléatoire et à double insu auprès de 50 participants adultes (âge moyen de 34,4 ans) comparant 12 différents laits maternisés pour nourrissons ayant une ALV en fonction du goût, de la texture et de l’odeur, les préparations à base de soja obtenaient les scores les plus élevés dans l’ensemble, suivies par les hydrolysats de soja et de riz15. Les préparations à base de soja sont aussi plus abordables que les préparations fortement hydrolysées17. Les limites des préparations à base de soja sont les effets inconnus des phytates et des phytoestrogènes trouvés dans le soja13,16 et la réactivité croisée avec l’ALV, surtout chez les nourrissons plus jeunes4,8,12.
Les préparations à base d’acides aminés
Ces préparations sont composées d’acides aminés élémentaires. Elles sont hypoallergènes, selon la définition de l’American Academy of Pediatrics, et elles sont indiquées dans les cas où les nourrissons ne tolèrent pas les préparations hypoallergènes fortement hydrolysées (p. ex. lait de vache ou lait de soja)4,7,14 ou chez ceux qui ont des réactions anaphylactiques aux protéines du lait de vache7. Il a été démontré que l’utilisation des préparations à base d’acides aminés fournissait suffisamment de nutriments pour assurer des profils de croissance adéquats chez les nourrissons ayant une ALV (tolérance de 100 %)4. Leurs principaux inconvénients se situent dans leur coût (de 6 à 8 fois plus chères que les préparations fortement hydrolysées)13, et leur mauvaise palatabilité en raison de leur forme élémentaire, ce qui se traduit par un refus d’en prendre chez certains nourrissons9.
Le choix des préparations de rechange
Il faut tenir compte de la gravité des symptômes, des préférences des patients, du coût et de l’efficacité dans le choix d’une préparation de rechange, parce que toutes les options sont des substituts adéquats sur le plan nutritif aux préparations à base de lait de vache4,6-9.
Les préparations à base de soja, même s’il est signalé qu’elles peuvent causer des réactions chez 10 à 14 % des nourrissons ayant une ALV8,12, ont une meilleure palatabilité et sont plus abordables que les préparations fortement hydrolysées13,15. Les lignes directrices de l’ESPGHAN et de l’OMA recommandent de s’abstenir des préparations à base de soja chez les nourrissons de moins de 6 mois ayant une ALV, en raison de la réactivité croisée7,10, mais ces préparations de soja pourraient être recommandées dans les cas d’une ALV médiée par les IgE après l’âge de 6 mois4,10,12,16. Il a aussi été déterminé que les préparations à base de soja hydrolysées étaient hypoallergènes et devraient être envisagées7.
L’ESPGHAN et l’OMA recommandent les préparations à base de lait de vache fortement hydrolysées comme traitement de première intention pour les nourrissons ayant une ALV7,10. En Espagne, une étude randomisée contrôlée prospective et ouverte, comparant des préparations à base de riz hydrolysées et fortement hydrolysées chez 92 nourrissons ayant un diagnostic d’ALV médiée par les IgE, a signalé que les courbes de croissance suivaient des profils normaux avec les 2 options. Elle a aussi rapporté que les préparations à base de riz hydrolysées étaient bien tolérées par tous les nourrissons ayant une ALV de modérée à sévère, tandis que la préparation fortement hydrolysée avait provoqué une réaction allergique chez 1 enfant11. Les préparations à base de riz ont une meilleure palatabilité et sont plus abordables que les préparations fortement hydrolysées11, et elles sont recommandées comme traitement de première intention chez les nourrissons ayant une ALV lorsqu’elles sont disponibles, même dans les cas cliniques les plus sévères9,13,14.
Dans le traitement des enfants allergiques aux préparations à base de lait de vache et de soja, les préparations à base de riz hydrolysées et celles fortement hydrolysées devraient être envisagées. Dans une étude auprès de 18 enfants (âge moyen de 5 ans) ayant une ALV et traités avec une préparation à base de soja, mais qui ont ultérieurement développé des réactions après 2 à 18 mois de traitement, on a évalué l’efficacité des préparations à base de riz hydrolysées comme solution de rechange pour les nourrissons ayant une ALV et allergiques au soja18. Les résultats d’un test cutané ont révélé des réactions au riz chez 8 enfants, et aux hydrolysats de riz chez 2 enfants, tandis que les résultats sérologiques ont indiqué la présence d’anticorps au riz chez 7 enfants. Par ailleurs, les résultats des tests de provocation alimentaire à double insu contre placebo avec des préparations à base de riz hydrolysées se sont révélés négatifs dans tous les cas, ce qui corrobore la notion d’une préparation à base de riz comme option de rechange à celles à base d’acides aminés dans le traitement des nourrissons ayant une ALV et allergiques au soja18. Chez les nourrissons ayant une réaction allergique ou anaphylactique à des préparations fortement hydrolysées, les préparations à base d’acides aminés sont indiquées4,7,14. Si les symptômes ne s’améliorent pas avec des préparations à base d’acides aminés, le diagnostic n’est probablement pas une ALV. Les préparations de rechange à base de lait d’autres mammifères ne sont pas indiquées pour les nourrissons ayant une ALV, en raison de la réactivité croisée3,7.
Notes
Mise à jour sur la santé des enfants est produite par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (PRETx à www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver (Colombie-Britannique). Mme Kipfer est membre et le Dr Goldman est directeur du programme PRETx. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les enfants? Nous vous invitons à les poser au programme PRETx par télécopieur au 604 875-2414; nous y répondrons dans de futures Mises à jour sur la santé des enfants. Les Mises à jour sur la santé des enfants publiées sont accessibles dans le site Web du Médecin de famille canadien (www.cfp.ca).
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, rendez-vous à www.cfp.ca et cliquez sur le lien Mainpro+.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the March 2021 issue on page 180.
- Copyright© 2021 the College of Family Physicians of Canada