Comme les éléments radioactifs, les renseignements sur la santé se désintègrent. La moitié de ce que nous savons aujourd’hui pourrait bientôt s’avérer inexact1. La pandémie de la COVID-19 n’a fait qu’accélérer ce phénomène, compliquant la tâche qu’ont les cliniciens de se tenir au fait, et de communiquer clairement avec les patients et le public. Comme médecins de famille, nous avons un rôle encore plus crucial à jouer dans les communications concernant la santé, parce que la confiance que nous établissons avec nos patients les aide à naviguer à travers nos conseils fluctuants.
Au début, lorsque les équipements de protection individuelle étaient limités, je ne croyais pas que le port du masque en public par des personnes asymptomatiques était recommandable, et je l’ai dit. Mon opinion faisait écho à l’avis de spécialistes en maladies infectieuses2, de la Dre Theresa Tam et de l’Organisation mondiale de la Santé. Je comprends maintenant que les masques peuvent jouer un rôle important pour réduire la transmission communautaire3. À mesure que nous déchiffrons des données en constante évolution, combien de préjudices évitables sontils causés? Parfois, quand nous avons tort, ces préjudices peuvent être considérables.
J’ai d’abord entendu parler de Motherisk lorsque j’étais étudiante. Durant ma formation médicale, nous dirigions nos patientes vers la ligne d’aide téléphonique de Motherisk pour obtenir des conseils sur la sécurité de divers aliments et médicaments durant la grossesse et l’allaitement. Motherisk analysait aussi systématiquement des spécimens de cheveux pour détecter des taux de drogues et d’alcool dans des cas référés aux services à l’enfance et à la famille. De 1995 à 2015, Le Médecin de famille canadien publiait chaque mois du contenu de Motherisk. Ce contenu n’était pas assujetti à la révision typique à double insu par des pairs en raison de la réputation de Motherisk comme chef de file en santé maternelle. Nous avons ensuite appris des nouvelles très préoccupantes : non seulement le fondateur de Motherisk avait-il omis de divulguer des liens avec des compagnies pharmaceutiques, mais en plus, les analyses des spécimens de cheveux par Motherisk étaient déficientes. Tragiquement, les résultats de ces analyses étaient utilisés dans les décisions de séparer des enfants de leur famille4. Depuis, Le Médecin de famille canadien a corrigé et rétracté les articles problématiques de Motherisk5, mais les poursuites judiciaires par les personnes affectées par le scandale des analyses capillaires se poursuivent. Les préjudices causés à ces familles sont inimaginables.
Motherisk a démontré la facilité avec laquelle la confiance en notre profession peut être brisée et a mis en évidence les conséquences pour la pratique clinique. Une revue systématique de 2017 a fait valoir que la confiance à l’égard du professionnel de la santé influe sur les résultats en santé6. Peut-être aussi que par manque de confiance, nos patients pourraient se sentir désillusionnés et se tourner vers des options non fondées sur des données probantes. Nous n’avons qu’à penser à la popularité de la marque de bien-être pseudoscienfitique Goop. Son succès se fonde sur une foi aveugle envers une célébrité appréciée : des produits comme le lavement au café Implant O-Rama (pour seulement 135 $US!) ne sont pas achetés en raison de preuves convaincantes, mais plutôt de la confiance dans cette marque.
Les fausses prétentions de Goop sont un exemple de désinformation, notamment de l’information objectivement fausse dans l’intention de tromper, tandis que l’information erronée est une information présentée par inadvertance, comme notre position sur les masques au tout début de la COVID-19. La médecine s’est trompée, parce que nous ne connaissions simplement pas mieux (mais nous avons correctement interprété les données par la suite). Les différences nuancées entre les façons dont Goop et la science se trompent pourraient donner l’impression de vouloir couper les cheveux en 4 à une population qui a perdu confiance en ses institutions, mais la distinction est importante.
Si la COVID-19 a eu un point positif, c’est que nous avons vu plus de professionnels de la santé intéressés par la science dans les médias. Néanmoins, je vois souvent des hommes blancs, en santé et cisgenres. Ce sont souvent des surspécialistes qui parlent des temps extraordinaires que nous vivons. J’ai rarement vu aux nouvelles un médecin de famille, une infirmière ou un autre professionnel de la santé communautaire, et je me demande pourquoi.
La crainte de s’engager dans un discours public de plus en plus polarisé ne devrait pas faire taire les médecins qui veulent informer le public à propos des meilleures connaissances scientifiques disponibles. Sans nous, il y a un vide où peut prospérer la pseudoscience. Si vous envisagez d’écrire un article, de communiquer de l’information dans les médias sociaux ou devant une assemblée virtuelle, je vous encourage à le faire. En tant que médecins de famille qui établissent au fil du temps des relations longitudinales empreintes de confiance, nous pouvons aussi agir comme sources visibles d’information éclairée dans cette période d’incertitude. Nous devons aussi être capables de l’admettre lorsque nous faisons erreur. Les faits peuvent changer, mais nous pouvons toujours compter sur notre habileté à être courageux et dignes de confiance.
Footnotes
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