Chaque année, le médecin de famille voit probablement 1 ou 2 nouveaux patients qui présentent des signes ou des symptômes de schizophrénie1. Bien que le traitement antipsychotique de la schizophrénie soit généralement la responsabilité du psychiatre, les médecins de famille jouent un rôle important dans la prise en charge prolongée de la maladie, y compris la gestion des effets indésirables des antipsychotiques. De plus, les médecins de famille peuvent instaurer un traitement antipsychotique chez les patients psychotiques lorsqu’il est impossible d’aiguiller le patient immédiatement en psychiatrie. Le traitement de la schizophrénie repose sur les antipsychotiques, et pour empêcher une incapacité future, il est utile d’atteindre aussitôt que possible un schéma posologique stable2. Malheureusement, la non-observance et les effets indésirables du traitement antipsychotique sont courants dans la prise en charge de la schizophrénie et pour cette raison, il est difficile d’atteindre l’objectif de stabilité du schéma pharmacologique. Par l’entremise d’une étude de cas, cet article fait un tour d’horizon de la prise en charge pharmacothérapeutique de la schizophrénie à l’intention des médecins de famille.
Description du cas : 1re partie
K.W. est une femme de 25 ans qui vous consulte à votre bureau médical, accompagnée d’un parent. Elle décrit avoir des hallucinations visuelles de serpents qui sortent d’un lac. Elle entretient également un délire selon lequel « quelqu’un a placé un anévrisme dans sa tête en posant les mains sur elle au travail ». K.W. présente ces symptômes depuis un mois. Votre dossier médical électronique indique qu’il y a 6 mois, un médecin de votre clinique a instauré un traitement par olanzapine orale à raison de 15 mg une fois par jour et a recommandé K.W. en psychiatrie après avoir soupçonné un premier épisode de psychose. K.W. dit que l’olanzapine cause une sédation excessive, et elle a donc arrêté de la prendre. Elle n’a pas revu son psychiatre. Elle est exempte de tout autre antécédent médical et nie consommer des drogues. L’information collatérale du parent confirme que K.W. n’a jamais consommé de drogues.
Observance du traitement antipsychotique
Plus de la moitié des patients schizophrènes n’observent pas le traitement par médicaments psychotropes, ce qui augmente le risque d’hospitalisation, de progression de la maladie et de décès3-6. Dans une étude rétrospective menée auprès de patients schizophrènes, 35 % des patients qui n’observaient pas le traitement avaient été hospitalisés pour motif psychiatrique comparativement à 14 % des patients qui observaient le traitement (nombre nécessaire pour nuire de 4 sur 3 ans)4.
Une façon de réduire le risque de non-observance du traitement antipsychotique est de maximiser la tolérabilité. La plupart des effets indésirables des antipsychotiques sont liés à la dose; il est ainsi possible d’améliorer la tolérabilité en évitant d’augmenter la dose trop rapidement ou prématurément7. Pour ce faire, le traitement est entrepris à une dose initiale faible, comme les doses qui figurent au Tableau 18-16, qui est augmentée par paliers équivalents à la dose initiale7. Pour permettre d’évaluer la tolérabilité et d’éviter l’augmentation posologique rapide, la fréquence d’augmentation de la dose dépend du délai pour atteindre l’état d’équilibre associé à l’antipsychotique utilisé7. Par exemple, la dose initiale suggérée d’aripiprazole dans les cas de schizophrénie est de 10 mg, et il faut 14 jours consécutifs à l’aripiprazole pour atteindre l’état d’équilibre. Ainsi, une bonne approche pour instaurer l’aripiprazole consisterait à commencer avec 10 mg une fois par jour pendant 2 semaines, puis à augmenter la dose de 10 mg à la fois au besoin.
Dosage initial des antipsychotiques et délai avant l’état stable : A) Sélection d’antipsychotiques de deuxième génération par voie orale et B) Sélection d’antipsychotiques de deuxième génération injectables à action prolongée.
La plupart des patients qui présentent une première psychose répondent bien à environ la moitié de la dose maximale de la monographie d’un antipsychotique, et on ne peut administrer une dose supérieure à la dose maximale de la monographie qu’après avoir consulté un spécialiste7. Cela est important puisque l’intervalle toxique des antipsychotiques se rapproche beaucoup de l’intervalle thérapeutique17. Si l’état des patients ne s’améliore pas avec la dose maximale de la monographie ou plus, il faut réduire la dose et envisager un autre antipsychotique7. Il pourrait s’écouler jusqu’à 2 à 4 semaines à la dose thérapeutique pour que s’estompent les symptômes positifs de schizophrénie, tels que le délire et les hallucinations. Un essai adéquat avec un antipsychotique est défini comme un traitement de 6 semaines à au moins 80 % de la dose maximale de la monographie7. Les symptômes négatifs primaires de la schizophrénie, tels qu’aboulie et anhédonie, sont plus difficiles à traiter et répondent généralement insuffisamment au traitement antipsychotique17.
Retour au cas
Au départ, K.W. a commencé à prendre l’olanzapine à 15 mg une fois par jour, mais elle n’a pas toléré cette dose. Une posologie initiale d’olanzapine de 5 mg une fois par jour aurait pu accroître les chances de tolérabilité. Après 1 semaine, la dose aurait pu passer à la moitié de la dose maximale de la monographie (10 mg par jour) et la réponse aurait pu être évaluée après 2 à 4 semaines.
Sélection d’un antipsychotique
Puisque l’efficacité de tous les antipsychotiques est comparable (sauf celle de la clozapine, qui est l’antipsychotique le plus efficace contre la schizophrénie), il est utile, pour favoriser l’observance, de sélectionner le traitement initial en fonction du profil d’effets indésirables18-20. Pour cette raison, les antipsychotiques de première génération ne sont habituellement pas recommandés en première intention, puisque le taux d’abandon est supérieur à celui des antipsychotiques de deuxième génération en raison du taux accru de symptômes extrapyramidaux20,21. Par exemple, dans une étude sur 6 semaines menée auprès de patients ayant eu une première psychose, 8 % des patients sous rispéridone ont abandonné l’étude en raison d’effets indésirables comparativement à 26 % des patients sous halopéridol22.
Les antipsychotiques varient substantiellement en matière de symptômes extrapyramidaux, de prise pondérale, d’hyperprolactinémie, de sédation, d’hypotension orthostatique, de dysfonctionnement sexuel et d’effets anticholinergiques8,18. Les cliniciens pourraient envisager une approche de décision partagée pour sélectionner l’antipsychotique ayant le profil d’effets indésirables le plus acceptable aux yeux du patient7.
Le Tableau 2 décrit la prise en charge suggérée des effets indésirables liés aux antipsychotiques de deuxième génération7,8,18,23-25. En général, les options pour prendre en charge les effets indésirables consistent à réduire la dose de l’antipsychotique, de changer l’heure d’administration, d’utiliser des médicaments adjuvants ou de passer à un autre antipsychotique7.
Effets indésirables des antipsychotiques, surveillance et prise en charge
Retour au cas
D’après votre évaluation du tableau clinique actuel de K.W., vous jugez qu’il est approprié de l’hospitaliser dans un établissement de soins aigus pour recevoir un traitement psychiatrique. Au service de psychiatrie, elle reçoit un diagnostic de schizophrénie et un traitement à l’hôpital pendant 1 mois. Elle reçoit son congé sous rispéridone à 3 mg par voie orale le soir et palipéridone à 150 mg par voie intra-musculaire toutes les 4 semaines.
Antipsychotiques injectables à action prolongée
Les antipsychotiques injectables à action prolongée doivent être envisagés tôt dans l’évolution de la schizophrénie pour tenter d’améliorer l’observance26. Par exemple, dans l’étude PRIDE (Paliperidone Palmitate Research in Demonstrating Effectiveness), 450 patients schizophrènes ont été répartis aléatoirement entre les antipsychotiques par voie orale ou une injection mensuelle de palipéridone. Après 15 mois, l’échec thérapeutique s’élevait à 39,8 % dans le groupe sous injections de palipéridone et à 53,7 % dans le groupe sous antipsychotique par voie orale (nombre de patients à traiter de 7)27. En outre, les données d’observation sur les antipsychotiques injectables à action prolongée contre la schizophrénie montrent une réduction de 20 à 30 % du risque de réhospitalisation comparativement aux antipsychotiques par voie orale28.
Malheureusement, les antipsychotiques injectables à action prolongée sont habituellement plus coûteux que les agents par voie orale (p. ex. environ 40 $ par mois pour la rispéridone contre environ 400 $ par mois pour la rispéridone injectable), et la couverture médicamenteuse est ardue. En outre, les réactions au point d’injection se produisent chez jusqu’à 10 % des patients15. Les économies réalisées avec les antipsychotiques injectables à action prolongée en raison de la baisse du nombre d’hospitalisations compensent toutefois le coût d’ensemble pour le système de santé29. Lorsque cela est possible, les patients doivent participer au processus de décision partagée, que le traitement consiste en antipsychotiques par voie orale ou injectable.
Avant d’instaurer un antipsychotique injectable à action prolongée, il faut établir la tolérabilité avec l’équivalent oral8. Le Tableau 1 indique la durée pendant laquelle les antipsychotiques par voie orale et les antipsychotiques injectables à action prolongée doivent se recouper8-16.
Description du cas : 2e partie
Quatre mois après avoir obtenu son congé de l’hôpital, K.W. revient vous consulter à votre bureau. Elle observe son traitement par la rispéridone et la palipéridone prescrit à l’hôpital. Elle n’a pas eu d’hallucinations, de délire, ni de pensées paranoïdes depuis qu’elle est rentrée à la maison et elle se porte bien. Elle dit ne pas avoir de dysfonctionnement sexuel, d’effets anticholinergiques, ni de sédation. Vous évaluez les symptômes extrapyramidaux à l’aide de l’échelle Simpson Angus Scale. À l’échelle Simpson Angus Scale, elle obtient un score de 2 au critère de démarche en raison du balancement visiblement réduit du bras gauche avec rigidité évidente.
Prise en charge des symptômes extrapyramidaux
Les symptômes extrapyramidaux désignent une panoplie de troubles du mouvement secondaires aux agents qui bloquent les récepteurs dopaminergiques, tels que les antipsychotiques8. Il faut utiliser la dose la plus faible d’antipsychotique pour réduire le risque de symptômes extrapyramidaux (Tableau 1)8-16.
Les 4 principaux types de symptômes extrapyramidaux, en ordre d’apparition habituelle, sont :
réactions dystoniques aiguës (surviennent habituellement dans les 2 premières semaines du traitement)8;
acathisie (apparaît habituellement dans les 2 à 4 premières semaines du traitement)8;
pseudoparkinsonisme (s’observe habituellement dans les 3 à 6 premières semaines du traitement, mais peut se manifester à tout moment après)8`;
dyskinésie tardive (ne s’observe habituellement pas avant 3 mois après le début du traitement)8.
Le traitement des symptômes extrapyramidaux vise à soulager les symptômes et à prévenir la dyskinésie tardive. Bien que les symptômes extrapyramidaux se manifestent moins fréquemment sous les antipsychotiques de deuxième génération que sous les agents de première génération (mis à part l’incidence supérieure d’acathisie sous l’aripiprazole), ils sont toujours préoccupants sous les antipsychotiques de deuxième génération30,31. Par exemple, on rapporte que 7,2 % des patients sous injection de rispéridone à action prolongée manifestent une réaction dystonique aiguë32. Les facteurs de risque de symptômes extrapyramidaux sont le type d’antipsychotique, les fortes doses et les antécédents de symptômes extrapyramidaux30,31. Le Tableau 2 présente des stratégies visant à traiter les symptômes extrapyramidaux7,8,18,23-25.
Résolution du cas
K.W. semble présenter un pseudoparkinsonisme découlant du traitement antipsychotique. Elle prend actuellement 2 antipsychotiques. La bithérapie antipsychotique est appropriée à l’instauration des injections d’antipsychotiques à action prolongée pour faire le pont avant l’apparition de l’effet; toutefois, la palipéridone injectable à action prolongée est unique, car elle est le seul antipsychotique injectable à action prolongée qui ne nécessite pas le chevauchement avec le médicament par voie orale. De plus, la palipéridone injectable à action prolongée atteint l’état d’équilibre à 4 ou 5 mois; ainsi, K.W. aurait déjà atteint l’état d’équilibre. Vous reconnaissez qu’elle prend la dose maximale de la monographie de palipéridone injectable à action prolongée malgré le fait que c’est la première fois qu’elle prend un antipsychotique régulièrement. Elle répond bien, mais ses symptômes extrapyramidaux sont problématiques. En consultation avec son psychiatre, vous arrêtez la rispéridone, car elle n’aurait pas dû être poursuivie après l’hospitalisation, et vous réduisez la dose de palipéridone à 100 mg toutes les 4 semaines. Deux mois plus tard, vous vérifiez l’état de K.W. et découvrez que ses symptômes extrapyramidaux se sont dissipés et que sa schizophrénie est bien maîtrisée.
Changer d’antipsychotique
Si le pseudoparkinsonisme de K.W. ne s’était pas atténué, elle aurait peut-être dû changer d’antipsychotique. La prudence est de mise durant le passage d’un antipsychotique à un autre, pour réduire le risque de rechute et les symptômes de sevrage. Une approche de rotation croisée est habituellement recommandée; elle consiste à réduire graduellement la dose du premier médicament alors que la dose du deuxième médicament est graduellement augmentée. Ce processus se déroule habituellement sur au moins 2 à 4 semaines dans le cas des antipsychotiques par voie orale. Il est plus complexe de changer d’antipsychotiques injectables à action prolongée, et pour ce faire, il faut consulter la monographie des agents utilisés. Le site web www.switchrx.com est une ressource utile pour la réduction croisée de la dose. Lorsqu’on envisage de changer d’agents, il importe d’abord de tenir compte des facteurs de confusion pour non-réponse, y compris la non-observance, la consommation de drogues et les interactions entre médicaments et drogues (p. ex. tabagisme) pouvant modifier les paramètres pharmacocinétiques des antipsychotiques8.
Conclusion
Le traitement des patients vivant avec la schizophrénie est complexe, comme le démontre l’exemple de K.W. L’intervention précoce a un effet substantiel sur les résultats à long terme, et la prise en charge de la schizophrénie repose sur l’usage approprié des antipsychotiques2. Lorsqu’on choisit un médicament pour traiter la schizophrénie, il importe de tenir compte du profil d’effets indésirables, de la dose et des préférences du patient. Il est impératif d’observer le traitement pour réduire le risque de rechute, et c’est pourquoi il est essentiel de confirmer la tolérabilité avec la préparation par voie orale et de faire chevaucher les antipsychotiques injectables à action prolongée avec la préparation par voie orale. Les prescripteurs d’antipsychotiques doivent continuellement surveiller les effets indésirables, avec surveillance plus rigoureuse à l’instauration du traitement et lors des modifications posologiques. La surveillance consiste à évaluer l’atténuation des symptômes, la sédation, l’état métabolique, les symptômes extrapyramidaux, le dysfonctionnement sexuel et l’hyperprolactinémie. Le dépistage précoce et la prise en charge de ces effets indésirables favorisent l’observance du traitement et réduisent ainsi le risque d’épisodes psychotiques et d’hospitalisations.
Footnotes
Intérêts concurrents
Le programme RxFiles Academic Detailing Program est financé par une subvention de Saskatchewan Health à l’Université de la Saskatchewan; la vente de manuels et les abonnements en ligne assurent les autres revenus « à but non lucratif; sans perte financière ». Aucune aide financière n’a été obtenue pour cette publication. La D Halpape rapporte avoir reçu des honoraires pour son travail à titre de réviseure de chapitre du Clinical Handbook of Psychotropic Drugs, 23 édition. Tous les autres auteurs ont déclaré n’avoir aucun intérêt concurrent.
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The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the May 2021 issue on page 350.
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