
On raconte que, depuis le début de la pandémie, certains médecins ne font que des téléconsultations et n’ont pas examiné un seul malade. Pas un seul examen physique depuis le 11 mars 2020! Comment font-ils? Comment arrivent-ils à évaluer les problèmes complexes — les maux de ventre, les douleurs persistantes, la fatigue — qui peuvent être d’origines si diverses? Prescrivent-ils une quantité inimaginable de tests, réfèrent-ils systématiquement leurs patients à leurs collègues ou les envoient-ils tout simplement à l’urgence? On raconte même que certains médecins communiqueraient avec leurs patients le soir ou la fin de semaine, cela étant encore plus profitable.
On rapporte aussi que certains médecins évitent de prendre en charge les patients trop malades ou trop exigeants, se contentant de renouveler leurs ordonnances ou demander quelques tests ici et là. Comment fontils pour laisser des patients hypothéqués par de multiples comorbidités — cardiaques, pulmonaires, rénales, oncologiques — voguer de spécialiste en spécialiste et de sans rendez-vous en sans rendez-vous? On rapporte même que certains fonctionnent selon les forfaits en recherchant les bonis les plus lucratifs.
On dit aussi que certains patients sortent en maugréant du bureau des médecins parce que ceux-ci exigent des sommes exorbitantes pour remplir des formulaires. Il est vrai que demander 125 $ pour remplir un formulaire de renouvellement de permis de conduire peut paraître excessif, particulièrement pour une personne âgée qui ne vit que de sa pension de vieillesse, et ce même si ce montant est conforme aux consignes syndicales1. Il en va de même pour une personne handicapée qui requiert un certificat pour le transport adapté.
Mais ce ne sont sûrement que des racontars!
Sinon, on comprendrait que les ordres professionnels rappellent à leurs membres leurs obligations déontologiques : « Le médecin doit s’acquitter de ses obligations professionnelles avec compétence, intégrité et loyauté2 », ou leur serment d’Hippocrate : « Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m’abstiendrai de tout mal et de toute injustice3. »
Sinon, on comprendrait que les assureurs veuillent instaurer des mesures de contrôle ; que les régies d’assurance-maladie veuillent comparer les honoraires versés aux médecins œuvrant dans des contextes similaires et auprès d’une clientèle semblable, en questionnant les écarts de facturation et en enquêtant au besoin. On comprendrait qu’ils veuillent informer les patients des honoraires générés par les médecins de famille comme le fait actuellement la Régie de l’assurance maladie du Québec.
On comprendrait aussi que les fédérations de l’âge d’or puissent songer à instaurer des recours collectifs contre les pratiques qu’ils considèrent comme abusives pour les personnes âgées de la part de médecins qui imposent des frais jugés déraisonnables et contre leurs syndicats qui balisent de telles pratiques.
Mais ce ne sont sûrement que des racontars!
Autrement, nous serions en droit de rappeler à ces individus qu’ils se comportent de façon immature, ne pensant qu’à eux-mêmes et leur bien-être personnel, en leur rappelant à quel point nous sommes privilégiés d’être médecins ; leur rappelant que nous avons beaucoup reçu et que c’est notre devoir de donner au suivant ; leur rappelant qu’ils sont en train, de par leur cupidité, de détruire un système de santé extraordinaire et universel auquel tous contribuent et qui bénéficie à chacun.
J’aimerais également rappeler à ces médecins leur attitude lorsque je les ai reçus en entrevue pour entrer en médecine : candides, béats, larmoyants, prétendant vouloir sauver le monde et l’humanité. Ah oui! Que sont devenus ces jeunes femmes et ces jeunes hommes qui voulaient changer le monde? Que s’est-il passé entre leur admission en médecine et le moment où ils se sont mis à pratiquer la médecine?
Heureusement, ce ne peut être que quelques individus. Je suis persuadé que la très grande majorité des médecins sont des êtres professionnels, imputables, dévoués, remarquables même, qui ne comptent pas leurs heures ni leurs efforts acharnés. Il suffit de consulter les données du Programme d’aide aux médecins du Québec pour réaliser à quel point cette profession est exigeante. Une vocation presque.
Ne laissons pas quelques individus qui manquent à leurs devoirs déontologiques ternir la réputation de la médecine familiale. S’ils ne comprennent pas cette responsabilité, qu’ils cessent de pratiquer et qu’ils aillent faire leur MBA.
La médecine familiale n’est pas un business.
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