Au Canada, les besoins en soins de santé des migrants, c’est-à-dire les personnes nées dans un autre pays, surtout des réfugiés, des demandeurs d’asile, des travailleurs étrangers temporaires et des migrants sans papiers, ne sont pas comblés, et l’accès aux soins est semé d’embûches1-3. Il existe aussi des lacunes dans les connaissances et un manque de données probantes sur les meilleures pratiques pour répondre à certaines préoccupations liées à la santé de ces populations4-6. Nous soutenons que les bailleurs de fonds et les chercheurs ont une responsabilité, particulièrement au milieu d’une rhétorique grandissante contre les migrants, d’en faire plus pour générer les connaissances pertinentes en santé des migrants dans le but de combler les lacunes et d’utiliser ce savoir efficacement pour améliorer à la fois les politiques et les pratiques.
Le Canada a une responsabilité dans la promotion de la santé des migrants
En mai 2017, à la 70e Assemblée mondiale de la Santé, une résolution sur la promotion de la santé des réfugiés et des migrants a été entérinée7. L’Assemblée mondiale de la Santé exhortait les États membres de l’Organisation mondiale de la Santé, y compris le Canada, à recenser et à rassembler des informations factuelles et des exemples de meilleures pratiques visant à répondre aux besoins en santé des migrants; à assurer la pertinence et l’acceptabilité de l’information; et à transmettre clairement les connaissances générées7.
À la suite de l’Assemblée mondiale de la Santé, une équipe de chercheurs de l’Université Monash à Melbourne (Australie), a entrepris une revue préliminaire visant à cerner les principaux éléments à considérer pour répondre aux besoins des réfugiés et des migrants en matière de santé8. L’équipe a déterminé que pour mieux promouvoir la santé des migrants, les États membres doivent cerner les besoins en santé de la population, surveiller les interventions et mesurer les résultats en santé; élaborer des stratégies pour encourager un mode de vie sain et se pencher sur les déterminants en aval qui influent sur la santé; élaborer des programmes ciblés de dépistage, de prévention et de traitement, y compris l’éducation adaptée à la culture concernant les infections et les maladies non transmissibles, dont la santé mentale; et offrir des services et de l’éducation culturellement adaptés en santé sexuelle et de la reproduction, qui habilitent les femmes et les filles et améliorent leurs résultats en santé8. En outre, les chercheurs ont recommandé que les pays améliorent l’accès aux services de santé de diverses façons : par une meilleure formation des professionnels de la santé pour veiller à ce qu’ils comprennent l’admissibilité aux services de différents groupes de migrants (p. ex. demandeurs d’asile) et qu’ils offrent des soins culturellement sécuritaires; par un recours accru aux interprètes, à l’information traduite et à des médiateurs culturels; par une attention portée à l’endroit de la stigmatisation et de la discrimination, connues comme des facteurs qui dissuadent les migrants d’utiliser les services de santé8.
Plus d’efforts sont nécessaires au Canada
Des efforts supplémentaires sont requis pour mieux répondre non seulement aux préoccupations des migrants liées à la santé, mais aussi pour éliminer les obstacles qu’ils rencontrent quand ils tentent d’accéder aux soins au Canada. Un certain nombre d’études démontrent que les migrants ne reçoivent pas les soins de santé dont ils ont besoin pour une gamme de problèmes, notamment le soutien psychologique et la santé mentale, la santé buccale et dentaire, la santé maternelle et des enfants, et la santé sexuelle et de la reproduction3,9-13. La recherche indique aussi que les migrants font face à un certain nombre d’obstacles qui restreignent leur utilisation des soins de santé et les bienfaits à en tirer. Parmi ces problèmes figurent la communication, les barrières culturelles et socioéconomiques, une faible littératie en matière de santé et des difficultés à naviguer dans le système de santé, sans compter les problèmes que présente la façon dont le système de santé est structuré et dont les soins de santé sont fournis14. La crainte d’être dénoncés aux autorités, l’absence d’assurance maladie ou la non-reconnaissance ou la non-acceptation de l’assurance, la discrimination, la maladie mentale et les problèmes de réinstallation comptent aussi parmi les principaux obstacles auxquels les migrants plus vulnérables sont confrontés1,3,15.
En outre, il faut plus de recherches pour déterminer les besoins en santé des migrants, mesurer leurs résultats et cerner les interventions appropriées, surtout pour les groupes plus marginalisés. En dépit du nombre croissant d’ouvrages sur la santé des migrants, certains groupes continuent d’être sous-étudiés. Par exemple, nous en connaissons peu sur les besoins en santé et les résultats chez les migrants sans papiers et les travailleurs étrangers temporaires16,17. Pour certains problèmes de santé (p. ex. soins palliatifs), nous ne savons pas si les services sont suffisamment accessibles ou culturellement acceptables. Enfin, la qualité des données concernant le dépistage et les interventions nécessaires pour certains problèmes de santé (p. ex. stress posttraumatique, carence en fer, isolement social) demeure de faible à modérée, ce qui crée de l’incertitude chez les professionnels des soins sur les meilleures façons d’aborder ces problèmes4,5.
À l’évidence, des connaissances plus pertinentes et plus utiles, et une plus grande application du savoir acquis sont nécessaires. Bref, nous avons besoin d’une transmission du savoir plus exhaustive et plus efficace.
Les obstacles à la transmission et à l’application des connaissances sur la santé des migrants
La transmission des connaissances est un processus dynamique et itératif qui comporte la création, la dissémination et l’application des connaissances dans le but d’améliorer la santé et les services de santé18. La création des connaissances nécessite la production du savoir pertinent, la synthèse des constatations de la recherche, l’élaboration de lignes directrices et d’outils, de même que d’autres recherches visant l’adaptation des connaissances au contexte réel18. Une approche intégrée de la transmission des connaissances requiert aussi l’implication des intervenants clés (patients, professionnels de la santé et autres fournisseurs de services, décideurs) pour veiller à ce que les connaissances générées soient pertinentes et répondent aux besoins, et que leur format soit utilisable. En retour, l’implication des intervenants augmente la probabilité de l’adoption et de la mise en œuvre des connaissances par les utilisateurs du savoir.
Les obstacles habituels à la transmission des connaissances résident dans l’étape de leur création18,19. Ils comprennent le manque de connaissances sur les besoins et les résultats en santé, l’insuffisance de renseignements sur l’application des meilleures pratiques, les réponses à des problèmes existants qui ne concordent pas avec les besoins, et les connaissances qui ne sont pas adaptées adéquatement au contexte réel. Dans le domaine de la santé des migrants, l’une des principales causes des lacunes dans les connaissances est que les migrants les plus vulnérables demeurent sousreprésentés dans la recherche. Les migrants sont souvent exclus, parce qu’il est coûteux et fastidieux de les recruter et de recueillir des renseignements auprès de participants qui ne parlent ni l’anglais ni le français et qui sont membres de groupes plus isolés et difficiles à rejoindre (p. ex. personnes sans papiers)20. Des préoccupations d’ordre éthique (p. ex. crainte de causer des préjudices) pourraient aussi expliquer pourquoi les chercheurs sont dissuadés d’effectuer de la recherche auprès de ces populations21. Une autre explication des lacunes dans la recherche est que la santé des migrants fait encore l’objet de très peu de recherche. Nous avons effectué une recension rudimentaire dans la base de données sur les décisions de financement des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) (https://cihr-irsc.gc.ca/f/38021.html), qui inclut toutes les décisions relatives au financement annoncées depuis janvier 2009. Nous avons utilisé une série d’expressions en anglais liées à la migration (migration, migrant, immigrant, refugee, asylum seeker, immigration, newcomer, foreign-born, minority) et la recension a cerné moins de 700 résultats parmi les plus de 33 500 éléments dans la base de données au moment de la rédaction de l’article (environ 2 % des éléments).
Le manque de connaissances pertinentes sur la santé des migrants est dû en partie à la difficulté d’inclure des intervenants clés dans le processus de recherche22, en particulier des patients migrants qui pourraient ne pas bien connaître les procédures et les principes de la recherche, qui ne parlent ni l’anglais ni le français, ou qui ont peur de participer parce que, par exemple, leur statut d’immigration est précaire. Une lecture de la page Web sur la Stratégie de recherche axée sur le patient des IRSC (https://cihr-irsc.gc.ca/f/41204.html) semble confirmer cette notion; aucun des projets financés par ce programme ne semble mettre un accent sur la santé des migrants, et rien ne permet de croire qu’il y a des mécanismes en place pour mobiliser des patients migrants plus marginalisés dans le processus de recherche par cette initiative. En outre, les connaissances ne sont toujours pas adaptées aux migrants, parce que les études randomisées contrôlées et les projets de recherche de mise en œuvre avec des migrants demeurent limités. Parmi les 2 % d’éléments identifiés dans la base de données sur les décisions relatives au financement des IRSC, moins de 15 éléments étaient des études contrôlées randomisées ou des recherches de mise en œuvre.
Les rôles des bailleurs de fonds et des chercheurs dans l’amélioration de la recherche sur la santé des migrants et de la transmission des connaissances
Pour tenter de régler le problème de la transmission insuffisante des connaissances tirées de la recherche sur la santé des migrants au Canada, les bailleurs de fonds et les chercheurs doivent s’assurer que la recherche effectuée est pertinente et comble les lacunes, et que les connaissances qu’elle engendre sont utilisables (Encadré 1)23.
Recommandations à l’intention des bailleurs de fonds et des chercheurs
Recommandations pour les bailleurs de fonds dans le domaine de la santé
Favoriser l’inclusion de diverses populations de migrants dans tous les projets de recherche
- en élaborant des mécanismes pour encourager leur inclusion (p. ex. prévoir une question dans la demande de financement pour savoir si des migrants seront inclus et demander une justification des exclusions)
- en fournissant un financement adéquat pour que les études incluent des migrants qui ne parlent ni anglais ni français, ou qui sont membres de groupes plus isolés
Prioriser la recherche sur la santé des migrants
- en créant et en instaurant des initiatives de recherche ou des appels de recherche spécifiques à la santé des migrants, y compris de la recherche de mise en œuvre (p. ex. semblables à l’initiative Voies de l’équité en santé pour les Autochtones des IRSC)
- en offrant un financement suffisant pour cette recherche afin de permettre sa dissémination en langues multiples et pour différents intervenants
Promouvoir et faciliter la recherche axée sur le patient
- en allouant des fonds et en mettant en œuvre des stratégies (par l’intermédiaire de la Stratégie de recherche axée sur le patient ou d’autres initiatives) afin d’accroître la mobilisation des migrants dans le processus de recherche
Recommandations pour les chercheurs
Effectuer plus d’études randomisées contrôlées
- pour analyser les interventions dans les populations de migrants (p. ex. interventions en littératie en matière de santé, en promotion de la santé, en éducation liée à la santé et en santé mentale)
- pour analyser les interventions en formation et en éducation sur les migrants auprès des professionnels de la santé
Effectuer de la recherche de mise en œuvre, y compris sur les obstacles et les facilitateurs de la mise en œuvre, visant à améliorer le transfert des données probantes en pratiques du monde réel dans divers milieux
Utiliser des approches plus participatives, où les utilisateurs des connaissances et les patients migrants sont impliqués dans tout le processus de la recherche23
Envisager d’entamer un projet de Stratégie de recherche axée sur le patient des IRSC (p. ex. approches réceptives à l’appui de la santé mentale des migrants)
IRSC—Instituts de recherche en santé du Canada.
En ce qui a trait au recours à des approches participatives, l’implication des communautés et des organisations est considérée non seulement comme une façon d’améliorer la transmission des connaissances, mais aussi comme une méthode pour répondre à certaines des préoccupations d’ordre éthique qui entraînent l’exclusion des migrants vulnérables de la recherche21,23. Les organisations peuvent donner des conseils sur la façon d’assurer la sécurité des participants, offrir un soutien et des soins directs aux personnes dans le besoin, et faire en sorte que les résultats soient disséminés et utilisés de manière à ne pas causer de préjudices.
Conclusion
Une plus grande concertation des efforts est nécessaire de la part des bailleurs de fonds et des chercheurs pour améliorer la transmission des connaissances tirées de la recherche sur la santé des migrants au Canada. Pour cela, les bailleurs de fonds et les chercheurs devraient entreprendre des actions liées à l’étape de la création du savoir dans la transmission des connaissances. Plus précisément, ces actions devraient viser, en premier lieu, à faire en sorte que la recherche produise des connaissances pertinentes et comble les lacunes et, en deuxième lieu, à optimiser le savoir de manière à ce qu’il soit approprié et utilisable dans la pratique et les politiques.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 403.
- Copyright © the College of Family Physicians of Canada