Le mardi 16 mars 2021, David Gass, mon conjoint tant aimé, a quitté notre maison pour aller déposer sa voiture chez le garagiste. La radio jouait, la cafetière chauffait, et il avait laissé ses gants de cuir en haut de l’escalier, car il était censé revenir une demi-heure plus tard à pied par les rues d’Halifax (N.-É). Il n’est jamais revenu. Un homme au volant de sa camionnette a renversé David sur un passage piéton. Après trois jours dans un état inconscient aux soins intensifs, sa famille toujours à ses côtés, il est décédé paisiblement dans mes bras.
Engouffrée par un tsunami de chagrin, je suis maintenant sur un rivage étranger où tout m’est à la fois familier et complètement inconnu. Je comprends de façon viscérale et quotidienne l’expérience humaine universelle du deuil profond.
Je sais qu’en cette année tumultueuse, nous sommes nombreux à éprouver des pertes, petites ou grandes. Ces dernières semaines, j’ai trouvé réconfort dans le flot constant de cartes, de mots gentils, de fleurs, de poèmes, de partages d’expériences, de livres, de cadeaux, d’appels, de messages et de courriels de la part de la famille, d’amis et d’étrangers. Je vous offre mes réflexions dans l’espoir qu’elles vous seront utiles.
J’ai eu le privilège d’écouter Dre Jillian Horton le 1er mai, dans le cadre de la conférence Constellations du Nord de l’ÉMNO, à Sudbury. Parmi tous ses propos sages, j’ai été frappée par la citation suivante : « En tant que médecins, il nous arrive de dévaloriser notre propre souffrance (celle des autres est toujours pire). Il n’est pas nécessaire que la souffrance soit la pire pour qu’elle importe. » Même si beaucoup de patients et de personnes de notre entourage mènent un combat plus difficile que le nôtre, nous pouvons faire preuve de compassion envers nous-mêmes pour reconnaître notre propre douleur et la soulager.
Vous reconnaissiez sûrement en David un mentor, un collègue, un ami, un chef de file en médecine de famille et un pilier du CMFC depuis les années 1980. Il avait comme aspiration d’améliorer les systèmes de santé, surtout par le progrès et l’amélioration de la médecine de famille. Je me suis demandé, ces dernières semaines, comment la perte et le deuil peuvent entraîner un changement systémique. Le décès d’un être cher peut nous pousser à l’action. Notre famille a commencé à se demander si le décès de David était un incident banal et aléatoire. La réponse est non, car l’intersection où il a été renversé était réputée pour être dangereuse. Dans nos villes et villages, ainsi que dans nos communautés rurales et éloignées, des conducteurs heurtent d’autres humains. Bon nombre de paramètres, de politiques et de structures municipales favorisent la commodité des voitures plutôt que la sécurité des piétons et des cyclistes. Combien d’entre eux perdent la vie dans des accidents impliquant des voitures et des camionnettes dans votre collectivité, province ou territoire? Et nous savons que la COVID-19 a emporté de nombreux êtres chers partout au Canada, de façon disproportionnée ceux qui souffrent déjà de négligence ou d’oppression dans nos systèmes racistes, âgistes, capacitistes et sexistes.
La pleine conscience peut favoriser le changement systémique. Pour citer à nouveau Dre Horton : « J’ai eu la révélation que les pratiques de pleine conscience peuvent contribuer à faire changer le système parce qu’elles nous changent, nous… et c’est à nous d’avoir la force de tenir tête au système assez longtemps pour le changer. »
J’ai besoin de pratiquer la pleine conscience pour surmonter la crainte et la colère que je ressens chaque jour quand je marche à Halifax, maudissant chaque camionnette, vérifiant deux fois plutôt qu’une qu’aucun véhicule ne tourne à gauche à chaque intersection, me demandant comment David s’est senti au moment où la camionnette l’a percuté. L’antidote pour moi est de trouver de façon consciente et délibérée quelque chose de petit et de beau dans chaque maison et chaque jardin que je croise, dans chacun des arbres qui bordent les rues et la lumière sur l’eau, et de me concentrer sur ces pensées. Ainsi, je porte dans mon cœur la conscience que le monde sera toujours à la fois terrible et merveilleux.
Puisque nous soulignons le Mois national de l’histoire autochtone en juin, je voudrais conclure en tenant compte du fait que, tout effondrée que je sois de cette perte dans ma vie, en tant que personne de race blanche, aisée et instruite, il y a des luttes, des douleurs et des traumatismes que je ne vivrai pas, car ma position privilégiée me protège. Et je continue d’admirer et de respecter la résilience des aînés autochtones et les enseignements vitaux que j’ai reçus d’eux, tout récemment à Constellations du Nord, où Perry McLeod-Shabogesic a dirigé virtuellement une cérémonie de l’aube. Perry m’a appris qu’alors que la lumière du soleil se répand sur la terre, nous pouvons prendre le temps d’exprimer notre gratitude pour le nouveau jour, une occasion de faire mieux qu’hier, et de réaliser que ce jour est ce dont nous disposons, car aucun de nous n’est assuré du lendemain.
Je suis de tout cœur avec vous si vous vivez le deuil d’êtres chers. J’espère que vous trouverez du réconfort autour de vous. Je vous recommande les pratiques de pleine conscience. J’espère que nous pourrons travailler ensemble, comme médecins de famille, par l’intermédiaire des sections provinciales et du Collège national afin d’engendrer les changements systémiques nécessaires au Canada, soit plus de Centres de médecine de famille et de voisinages médicaux du patient, un meilleur accès aux médecins de famille, des soins de proximité complets et globaux, et des communautés plus sûres et plus saines pour tous. C’est l’engagement que je prends.
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