Logement d’abord (LD) est un modèle visant à héberger les sans-abri ou à risque de le devenir, qui gagne du terrain en Amérique du Nord1-6. Il se fonde sur la philosophie selon laquelle le logement est un droit fondamental de la personne, et l’une de ses principales notions est que les itinérants ou les personnes en situation de logement précaire devraient avoir un accès immédiat à un logement permanent, qui offre des appuis individualisés optionnels et axés sur la réduction des préjudices, dans le but ultime d’une intégration sociale et communautaire.
Les personnes en situation d’itinérance sont affectées de manière disproportionnée par des troubles liés à la consommation de substances (TCS), ce qui explique en partie les taux de mortalité beaucoup plus élevés dans cette population que ceux estimés seulement en fonction du revenu7,8. Il n’est donc pas surprenant que les ouvrages scientifiques soient en faveur d’interventions sur le plan du logement pour les personnes ayant des TCS et en situation d’itinérance, puisque l’environnement physique est un important déterminant social de la santé9. De fait, les promoteurs des programmes de LD soutiennent que le logement est une condition préalable au rétablissement d’un TCS, et qu’il ne devrait pas être offert sous une base conditionnelle « d’état de préparation au logement », comme en participant à des programmes obligatoires axés sur l’abstinence2.
Bien qu’il y ait des données contradictoires quant aux effets du logement sur les habitudes de toxicomanie, de nombreuses études mettent en évidence les bienfaits pour la santé physique et le bien-être que procure LD aux personnes souffrant de TCS10-13. Plus précisément, une des principales constatations de la recherche sur LD montre ses effets positifs sur la stabilité du logement, ce qui, en retour, est éprouvé comme étant un facteur d’amélioration de nombreux résultats sur le plan de la santé, notamment une diminution des expositions à la violence, une baisse des comportements associés aux risques d’infection au VIH et à l’hépatite C, un moins grand nombre de surdoses accidentelles et une plus faible mortalité globale chez les personnes qui s’injectent des drogues10,14,15. D’autres études sur LD ont démontré des réductions dans l’utilisation des services d’urgence et la suicidalité, de même que des améliorations sur le plan du bien-être11-13.
Au Canada, une étude nationale (le projet de recherche pancanadien At Home/Chez Soi) a constaté que, parmi les participants sans-abri souffrant de maladie mentale, ceux qui étaient dans le groupe de l’intervention LD étaient 2 fois plus susceptibles que ceux à qui le logement n’était pas offert (p. ex. traitement habituel) de signaler des changements positifs relatifs au logement stable, à un meilleur contrôle de leur consommation de substances, à des relations positives et des soutiens sociaux, de même qu’à des rôles sociaux valorisés 11. Même si le groupe traité comme à l’habitude a rapporté certains bienfaits, comme des améliorations à la qualité de vie et au fonctionnement communautaire et une diminution des visites aux services d’urgence, il était aussi 4 fois plus susceptible de vivre des changements négatifs associés au logement précaire, à l’isolement, aux contacts sociaux négatifs et à une forte consommation de substances.
La rentabilité des projets de LD demeure un sujet de controverse. Alors que dans l’ensemble, les ouvrages scientifiques laissent entendre que les dépenses pourraient surpasser les économies16, on pourrait aussi soutenir que l’attribution de ressources aux projets de LD pourrait être plus rentable que les services traditionnels si l’on tenait compte des résultats pour le patient et de la compensation des coûts. Par exemple, le projet At Home/Chez Soi a effectué une analyse des coûts et a fait ressortir divers degrés d’économies. Les 2148 participants étaient classés comme étant à « besoins élevés » ou à « besoins modérés », selon la gravité de leur maladie mentale17. Pour le groupe des besoins élevés, chaque tranche de 10 $ investie s’est traduite par une réduction moyenne de 9,60 $ dans les coûts d’autres services, tandis que le groupe des besoins modérés a produit une réduction moyenne de 3,42 $ dans les coûts. Les principaux moteurs de la réduction des coûts se situaient dans le moins grand nombre de visites aux services d’urgence, de séjours d’une nuit en refuge, de visites en centres d’accueil et d’autres séjours en établissements, comme les centres de désintoxication, les prisons et les pénitenciers. Dans la même veine, d’autres études sur LD avec des participants adultes pour qui les critères d’admissibilité n’incluaient pas les maladies mentales ont démontré des économies totales variant de 1,17 à 2,84 $ pour chaque 1 $ dépensé, et une réduction du taux total des coûts de l’ordre de 53 % pour les personnes logées, par rapport à celles en attente d’un logement18,19. Inversement, une autre étude qui évaluait le logement social permanent pour des jeunes en Californie a fait valoir une augmentation du coût total de 13 337 $ US par année, tandis que des programmes d’assistance au logement permanent plus fidèles au modèle de LD ont connu une hausse supérieure dans les estimations des coûts (17 610 $ US par année)20. D’autres études sont nécessaires pour déterminer la rentabilité des modèles de LD pour des populations et des milieux différents.
Possibilités uniques pour des soutiens faciles d’accès
Des modèles de Logement d’abord existent actuellement dans au moins 15 villes et villages au Canada1,17,21. LD fournit non seulement du logement, mais peut aussi enchâsser dans ses paramètres des soutiens et des programmes facilement accessibles pour les personnes souffrant de TCS.
Parmi les exemples canadiens de ces modèles se trouve la PHS Community Services Society (auparavant connue sous le nom de Portland Hotel Society, fondée en 2003), un organisme sans but lucratif qui fournit des services de logement et de réduction des préjudices et des services communautaires aux personnes mal desservies à Vancouver et à Victoria, en Colombie-Britannique. Les 22 édifices de la société fonctionnent selon les paramètres de LD et comptent plus de 1500 unités de logement locatif22. Les personnes ont accès au logement par l’intermédiaire du registre des logements sociaux de la province et paient habituellement un loyer peu élevé (p. ex. 375 $ par mois). Des soins primaires multidisciplinaires et des traitements des TCS sont fournis dans 7 des projets de logement, et les types et les niveaux des services offerts dans chaque édifice reflètent les besoins de ses résidents. Ces services peuvent inclure des médecins de famille, des infirmières, des travailleurs sociaux et des pharmaciens cliniciens, de même que des pairs travailleurs. Fait important, il est optionnel pour les résidents de se prévaloir des services de santé, et aucun programme n’est obligatoire pour conserver un logement. Dans ces édifices, la priorité est accordée à des stratégies de réduction des préjudices, et on y offre habituellement des aménagements pour une consommation sécuritaire. Les fournitures à l’appui de pratiques plus sécuritaires de consommation de drogues sont facilement accessibles et sont encouragées, et de nombreux édifices ont du personnel dans le hall d’entrée, en fonction 24 heures par jour, 7 jours par semaine, pour assurer la santé et la sécurité des résidents. Il y a des programmes d’administration des médicaments, et un éventail de groupes culturels, de bien-être et de loisirs se trouvent sur place, en partenariat avec des organismes communautaires. L’accès sous un même toit aux soins primaires et aux traitements de la dépendance dans les 7 édifices est un modèle unique qui offre de nouvelles approches de la prestation des services de santé à une population mal desservie et vulnérable.
Bien qu’il existe certaines descriptions publiées de modèles d’approche en soins primaires pour les populations d’itinérants ou marginalement logées, les données probantes relatives aux effets des soutiens cliniques enchâssés dans les modèles de LD sur les résultats pour les patients, en particulier ceux qui souffrent de TCS, sont plutôt rares23-25. Sur une base anecdotique, les personnes qui, autrement, n’ont aucun lien avec les soins primaires, et celles qui sont désorganisées et ont des difficultés à respecter leurs rendez-vous ou à aller dans une clinique sans rendez-vous en raison d’une maladie mentale sévère ou d’une lésion cérébrale traumatique, ont tendance à bénéficier grandement de cet accès facile aux soins.
Le logement comme intervention susceptible de sauver des vies
Partout en Amérique du Nord, les instances sont aux prises avec les effets néfastes qu’a l’épidémie d’opioïdes, exacerbée par la pandémie mondiale de la COVID-19, sur leurs collectivités, et sont en quête de plans réalisables pour améliorer le bien-être de leurs citoyens les plus vulnérables26. En dépit des nombreuses difficultés créées par la pandémie, un effet secondaire positif inattendu a été l’expansion de la capacité de nombreuses collectivités d’accroître l’accès à des soins de santé27-29. Cette expansion, à son tour, procure des possibilités uniques de forger des relations avec des modèles de LD préexistants ou avec des intervenants qui préconisent cette intervention en matière de logement. Compte tenu des bienfaits de la stabilité du logement sur les résultats en matière de santé et de situation sociale des personnes ayant des TCS, les médecins de famille devraient dépister l’itinérance chez les personnes ayant des TCS et prioriser l’aiguillage vers les ressources sociales en logement comme partie intégrante de leur plan thérapeutique pour ceux qui sont en état d’itinérance ou de logement précaire. Au niveau du système de santé, nous devons défendre et soutenir les efforts visant à offrir des modèles de LD aux personnes dans le besoin, en exhortant les gouvernements à diriger le financement de 55 milliards $ sur 10 ans prévu pour des logements abordables dans la Stratégie nationale sur le logement vers cette intervention fondée sur des données probantes30. En outre, misant sur des expériences locales fructueuses, il y aurait lieu d’explorer plus en profondeur l’intégration des soins primaires et des services pour les TCS dans les modèles de LD comme moyen d’offrir des interventions susceptibles de sauver des vies à des personnes qui, autrement, ne se prévaudraient pas des services de santé. Il est temps de commencer à envisager LD comme une possibilité inexploitée d’améliorer l’accès aux soins de santé pour les personnes souffrant de TCS.
Footnotes
Remerciements
Nous remercions les Drs Christy Sutherland et Rupinder Brar pour leurs commentaires. La Dre MacKinnon reçoit du soutien dans le cadre d’une bourse de recherche en collaboration internationale sur la médecine des dépendances, financée par l’US National Institute on Drug Abuse. La Dre Socias reçoit du soutien dans le cadre du prix à l’érudition St Paul’s Foundation de la Michael Smith Foundation for Health Research.
Intérêts concurrents
La Dre MacKinnon a travaillé pour la PHS Community Services Society sur l’un de ses projets de logement.
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the July 2021 issue on page 481.
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