Le dialogue entre les enseignants cliniciens et les stagiaires à propos des préjugés dont font l’objet certaines populations dans les soins de santé peut se révéler difficile. En tant que médecins, en plus d’avoir nos propres identités, différents antécédents et diverses expériences vécues, nous appartenons à nos propres sous-cultures professionnelles, et il peut être gênant de réfléchir à nos privilèges. Nous avons tous des préjugés implicites qui pourraient influencer notre habileté à apprendre ouvertement au sujet et par d’autres personnes, mais aussi notre capacité de fournir des soins équitables1,2. Ce n’est qu’après avoir d’abord réfléchi de manière critique à nos propres préjugés et aux différences de pouvoirs qui existent dans la relation patient-médecin que nous pouvons commencer à offrir des soins moins influencés par des préjugés implicites.
Des événements récents ont davantage mis en lumière les concepts de race et de racisme. Bien que nous reconnaissions la complexité et l’importance de ces enjeux, cet article n’a pas pour but d’aborder ces concepts. Nous avons pour objectif de proposer aux médecins de famille enseignants un point de départ pour prendre en considération la culture et les préjugés en utilisant leur propre pratique dans leurs discussions avec les stagiaires.
Rendre hommage à l’origine de la sécurité culturelle
Le concept de la sécurité culturelle a pour origine la Nouvelle-Zélande où l’on voulait remédier aux problèmes dans la prestation des services aux peuples indigènes maoris1. Il a largement été adopté à l’échelle internationale comme référentiel pour transiger avec la différence dans les pouvoirs que vivent les patients de divers groupes. Ce concept reconnaît que les patients tout autant que les médecins apportent dans la rencontre leurs croyances, leurs valeurs et leurs points de vue et que, de part et d’autre, tous peuvent se sentir en sécurité et préserver leur identité.
La sécurité culturelle et la méthode clinique centrée sur le patient
La sécurité culturelle est un concept familier aux médecins de famille qui connaissent bien la méthode clinique centrée sur le patient. La méthode clinique centrée sur le patient fonde chaque interaction sur un processus de prise de décisions partagée, qui incorpore la compréhension de l’expérience, des valeurs, des croyances et du contexte vécus par le patient2. Cette méthode est axée sur l’assurance que chaque patient fait l’expérience de soins plus culturellement sécuritaires. L’expression soins de santé axés sur l’équité évoque d’autres éléments qui peuvent influencer la prestation équitable des soins de santé, qui comprennent les principes des soins qui tiennent compte des traumatismes et de la violence, les soins plus culturellement sécuritaires et la réduction des préjudices. La sécurité culturelle et les soins axés sur l’équité sont d’importants concepts qui sont liés à la fois aux compétences prédoctorales de CanMEDS-Médecine familiale de 2019 (p. ex., communicateur, promoteur de la santé, professionnel) et aux travaux du Comité sur la santé des Autochtones du Collège3,4.
Cet article a pour but d’aider les enseignants à amorcer des conversations sur des soins plus sécuritaires sur le plan culturel et la façon de fournir des soins de santé axés sur l’équité. Il peut être utilisé pour diverses populations de patients, puisque chaque communauté aura une définition différente de la culture.
Les étapes vers des soins plus culturellement sécuritaires
Diverses expressions servent à décrire les relations complexes des êtres humains avec les cultures, tant celles avec lesquelles nous nous identifions individuellement que celles d’autrui. Une approche par étape peut aider les enseignants (Figure 1)5-9.Les enseignants doivent d’abord s’appuyer sur l’humilité culturelle, une approche d’autoréflexion et d’ouverture sur la compréhension des préjugés et l’apprentissage à propos d’autrui5. La sensibilisation culturelle est la reconnaissance que des différences et des similarités existent entre les cultures; la sensibilité culturelle décrit l’importance accordée au respect de ces différences entre les personnes; et enfin, la compétence culturelle découle du perfectionnement des connaissances, des habiletés et des attitudes nécessaires pour travailler avec divers groupes de personnes6,7. La sensibilisation, la sensibilité et la compétence culturelles insistent sur l’apprentissage à propos du patient, mais elles ne se penchent pas sur les différences dans les pouvoirs entre les professionnels de la santé et les patients8,9. Pour en arriver à des soins plus culturellement sécuritaires, les enseignants en médecine familiale doivent effectuer une autoréflexion et examiner ces différences dans les pouvoirs dans le but de fournir des soins de santé axés sur l’équité.
Une approche par étape vers des soins plus culturellement sécuritaires
Les idées exprimées dans cet article représentent seulement un point de départ et ne se veulent pas prescriptives; les enseignants peuvent les utiliser d’une manière qui tient compte de leur pratique et de leur collectivité, de même que l’état de préparation des stagiaires et des enseignants à entamer la conversation. La création d’un environnement d’apprentissage sécuritaire et non menaçant est essentielle pour aborder ces questions.
Tenir compte de la culture et aborder les préjugés
Pour commencer à comprendre les cultures d’autrui, nous devons commencer par réfléchir à la nôtre10,11. La culture représente davantage que nos origines ancestrales; elle reflète l’identité d’un ou de plusieurs groupes avec lesquels nous nous identifions ou envers lesquels nous ressentons un sentiment d’appartenance (p. ex., ethnicité, travail, religion, habileté, langue, politique, genre, orientation, etc.). Nous encourageons les enseignants à envisager eux-mêmes ces questions (Encadré 1)10-12 avant d’amorcer la conversation avec les stagiaires. Le rôle du précepteur est d’encourager l’autoréflexion; cependant, les stagiaires pourraient ne pas vouloir divulguer ouvertement leurs réponses.
Questions pour une autoréflexion
Qu’est-ce que la culture?10,11
À quelle culture ou à quelles cultures est-ce que j’appartiens? Comment le savoir?
Quels avantages l’appartenance à cette culture me procure-t-elle? Est-ce que je peux trouver un exemple de tels avantages survenu aujourd’hui ou cette semaine?
Surmonter les préjugés12
Quelles sont les personnes dans ma communauté qui pourraient faire l’objet de préjugés?
Quels sont les stéréotypes et les associations implicites que représentent ces groupes pour moi?
D’où ai-je tiré cette information?
Mettre la réflexion en action10
Est-ce que j’étais conscient de mes préjugés?
Pourquoi ai-je vu la situation d’une façon particulière?
Pourquoi ai-je répondu ainsi?
Sur quoi ai-je insisté ou qu’ai-je omis de voir?
Comment mes croyances ont-elles influencé cette interaction? Ce préjugé nuit-il à ma capacité de donner des soins à ce patient?
Que me faut-il apprendre plus en profondeur? Où puisje trouver cette information?
Ai-je établi un véritable partenariat? (Cette question pourrait être appropriée pour un stagiaire plus avancé.)
Mettre en action la réflexion
Définir et surmonter les préjugés exigent une réflexion en profondeur de la part des stagiaires et des enseignants. Par la suite, dans les rencontres cliniques avec les patients au quotidien, un enseignant pourrait choisir d’utiliser d’autres questions (Encadré 1)10-12 pour guider l’étudiant dans une réflexion plus approfondie et dans l’action pour créer des soins plus culturellement sécuritaires10.
Les enseignants devraient envisager de demander aux stagiaires de penser à une rencontre en particulier avec un patient. Il n’est pas nécessaire qu’il s’agisse d’une rencontre problématique, parce que les enseignants devraient encourager les stagiaires à mieux connaître leurs préjugés implicites dans chaque rencontre. Certaines ou l’ensemble des questions énoncées dans l’Encadré 1 peuvent servir à orienter la conversation lorsque les enseignants autant que les stagiaires procèdent à leur autoréflexion10-12. Il faudrait encourager les stagiaires à faire le lien entre leurs réflexions et l’approche par étape vers des soins plus culturellement sécuritaires (Figure 1)5-9. Il ne faut pas oublier de créer un espace d’apprentissage sécuritaire.
Conclusion
À mesure que nous créons des pratiques plus culturellement sécuritaires, nos stagiaires vont exercer des pressions sur nous, leurs enseignants, pour que nous abordions plus en profondeur les enjeux des préjugés, de l’inclusion et de l’exclusion sur le plan systémique. Ces questions-guides ont pour but d’aider les stagiaires à se sentir à l’aise avec leur propre culture, car elle pourrait s’exprimer dans la rencontre clinique, tout en assurant simultanément que les patients ressentent cette même sécurité.
Notes
Conseils pour les enseignants
▸ Avant d’entreprendre la démarche avec les stagiaires, réfléchissez à vos propres croyances, valeurs et perspectives personnelles. Créez un espace d’apprentissage sécuritaire avant d’amorcer les conversations.
▸ Utilisez des questions pour guider les stagiaires dans une autoréflexion plus approfondie au sujet de leur propre culture et de la façon dont leurs préjugés implicites pourraient être exprimés dans la rencontre clinique. Reconnaissez que les stagiaires pourraient ne pas vouloir divulguer leurs réponses.
▸ Demandez au stagiaire de réfléchir à une rencontre en particulier avec un patient. Encouragez les stagiaires à reconnaître leurs préjugés implicites dans chaque rencontre, sans se limiter à celles qui sont problématiques.
▸ Encouragez les stagiaires à faire le lien entre leurs réflexions et l’approche par étape vers des soins plus sécuritaires sur le plan culturel.
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC). La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en mettant l’accent sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Viola Antao, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à viola.antao{at}utoronto.ca
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the July 2021 issue on page 544.
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