

En tant que présidente du Conseil consultatif de rédaction (V.B.) et rédacteur scientifique (N.P.) du Médecin de famille canadien, nous sommes au fait des préoccupations concernant l’éditorial du Dr Ladouceur, « La médecine de famille n’est pas un business »1, et nous avons réfléchi aux nombreuses Réponses rapides à l’éditorial2-4. Nous souhaitions partager nos réflexions comme MF en pratique active et chercheurs.
Le titre provocateur (et, comme plusieurs l’ont allégué, incorrect sur le plan des faits) de Dr Ladouceur met en évidence le fardeau méconnu de la direction d’« entreprises » communautaires avec des modèles de financement désuets. Le Dr Ladouceur a décrit les « racontars » entourant la gestion des services non assurés et la surutilisation des téléconsultations durant la pandémie. Ce sont là des enjeux distincts, mais importants. Ils ont pour origine les structures de rémunération contraignantes et inéquitables dans lesquelles la plupart des MF travaillent; c’est sur quoi nous devrions plutôt concentrer notre attention. Les pressions liées à la gestion d’une entreprise de pratique familiale avant et durant la pandémie ont conduit de nombreux MF à l’épuisement professionnel.
Les choix des MF doivent être compris dans le contexte des influences structurelles, et ne pas être confondus avec des caractérisations simplistes des médecins comme étant des personnes éthiques ou non. Considérer les médecins comme étant bons ou mauvais perpétue un problème culturel en médecine qui ne reconnaît pas les influences structurelles sur le comportement et dans des moments de crise. Une telle attitude nuit à notre développement, sur le plan individuel et professionnel.
Notre discours sur la conduite professionnelle et les choix revêt une importance critique. Sans compassion, nous ne pouvons soutenir aucune possibilité d’amélioration. La polarisation des médecins les empêche de cultiver l’entraide et la compassion, de demander de l’aide quand ils sont surchargés et de discuter des leçons apprises en période de tumulte. La stigmatisation de ceux qui ont fait des choix dans leur propre intérêt ou pour leur protection ne nous encourage pas à examiner les implications déontologiques des choix que nous faisons dans nos rôles cliniques et de gestion de la pratique.
Plusieurs de ces choix vont au-delà de la manière dont les MF font leur facturation et gèrent leurs pratiques, pour inclure d’autres sujets tabous liés au business de la médecine, qui exigent plus d'attention. Les écarts considérables de rémunération entre les MF et les autres spécialistes5 soulèvent des questions éthiques quant aux profits appropriés, aux valeurs attribuées par le même modèle désuet de financement des autres spécialités, et aux rôles des associations professionnelles et des plaidoyers au sein des disciplines médicales pour préserver des structures de rémunération qui maintiennent de tels écarts.
En discutant des sujets tabous, nous devons éviter la polarisation entre le bien et le mal, mais nous ne devrions pas non plus nous éloigner du postulat « Je fais de mon mieux ». Nous essayons tous de faire de notre mieux et, sur le plan humain, nous bénéficierions tous d’un appui sans jugement pour faire encore mieux. Cela est particulièrement pertinent lorsque faire de notre mieux comprend de faire des choix potentiellement contraires à l’éthique, simplement parce que notre culture professionnelle nous incite à trouver des solutions aux contraintes structurelles immenses en exerçant sur nous des pressions et en ne reconnaissant pas notre combat.
Dans sa thèse de maîtrise6, l’une de nous (V.B.) décrivait des pratiques institutionnelles bien ancrées qui forcent les travailleurs de la santé à rentrer dans le moule du système, normalisant donc le dysfonctionnement. Le moteur de changement incombe donc aux travailleurs de la santé, qui doivent compenser pour ce système brisé ou le remettre en question. Ne pas reconnaître les effets des influences structurelles sur la pratique médicale, y compris les effets des structures dysfonctionnelles sur les travailleurs, renforce une approche pathologisante selon laquelle les personnes, plutôt que le système, sont vues comme brisées. C’est pourquoi nous devons rediriger notre énergie et notre dialogue vers des conversations difficiles au sujet de la réforme du système. Notre discours sur la conduite professionnelle, choix et l’éthique revêt de l’importance. Les racontars peuvent perpétuer la stigmatisation et l’exclusion, alors comment pouvons-nous traduire les racontars en dialogue respectueux?
Les structures qui préservent l’indépendance rédactionnelle, si elles ne sont pas bien régies, peuvent préserver le privilège incontesté de l’expression, mais régies de manière appropriée, elles peuvent inviter à l’engagement et élever le dialogue. Devant une est remise en question par nos collègues, que devrions-nous faire? Il serait propice de nous éloigner des objectifs irréalistes de perfection, et il nous faut construire le dialogue. Lorsque la mobilisation est forte, la possibilité d’un dialogue constructif émerge. Nous espérons réussir à adopter cette direction en tant que profession.
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