Question clinique
Comment soigner de la meilleure façon les patients atteints d’une maladie aiguë dans un hôpital où l’on soigne aussi la démence?
Résultats
Les médecins de famille jouent un rôle important dans les soins à l’hôpital, surtout dans les petites communautés. Les hôpitaux canadiens plient sous le poids grandissant des patients atteints de démence, mais beaucoup d’hôpitaux et de décideurs de la santé ne semblent pas être au courant. La maladie aiguë et l’hospitalisation sont des circonstances difficiles pour les personnes atteintes de démence, car les hôpitaux ne sont pas structurés pour leur dispenser des soins optimaux, ce qui entraîne des résultats négatifs chez ces patients et se répercute sur la capacité limitée de nos hôpitaux.
Données probantes
Parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, le Canada compte le nombre le plus faible de lits d’hôpitaux par habitant1.
Les aînés atteints de démence ont 1,5 fois plus de chance de subir un préjudice à l’hôpital, et la durée de leur hospitalisation est deux fois plus longue que celle des autres aînés2.
Près de la moitié des jours d’autres niveaux de soins (ANS) au Canada sont désormais liés à la démence2.
Approche
Puisque le nombre de lits d’hôpitaux est si faible, nous devons utiliser ces précieuses ressources efficacement; pourtant, les statistiques de l’Institut canadien d’information sur la santé montrent que nous sommes inefficients (et inefficaces) en matière de soins aux personnes hospitalisées atteintes de démence2. Peu d’organismes ayant le mandat de réduire le taux d’ANS reconnaissent officiellement la démence comme un facteur déterminant, et encore moins placent-ils l’amélioration des soins aux personnes atteintes de démence au centre de la stratégie de réduction des ANS. Et encore beaucoup plus rares sont les hôpitaux de soins aigus du Canada qui se sont dotés d’une stratégie institutionnelle en matière de démence prévoyant une hausse vertigineuse du nombre de personnes atteintes de démence, ce qui, à son tour, multiplie les jours d’ANS et prolonge la durée des hospitalisations. Les personnes atteintes de démence, leur famille et les hôpitaux eux-mêmes paient au prix fort la marginalisation des soins aux personnes atteintes de démence.
Les médecins de famille peuvent jouer un rôle critique pour sortir de l’ombre les soins des personnes hospitalisées atteintes de démence en aidant les hôpitaux à reconnaître que les soins aux personnes atteintes de démence sont essentiels à leurs activités de fonctionnement et en imposant l’adoption de stratégies de soins aigus aux personnes atteintes de démence.
De telles stratégies ont été mises en place dans plusieurs pays3-5 et contiennent les éléments de base suivants (examinés de façon plus détaillée dans un éditorial de la revue Canadian Geriatrics Society Journal of CME qu’on peut lire à www.hospitaldementiacare.ca)6.
Données d’hôpital. Nous devons à tout le moins identifier et quantifier avec précision les personnes hospitalisées atteintes de démence, et ce, en tout temps, ce qui nous permet de mesurer l’impact de la démence sur journées d’hospitalisation et d’ANS, ainsi que sur l’efficacité des interventions auprès des personnes hospitalisées atteintes de démence.
Leadership et engagement institutionnel solides. Pour mobiliser les ressources, il faut le soutien et l’engagement résolus de l’équipe de direction et du conseil d’administration. À cela doit s’ajouter une équipe interdisciplinaire efficace d’amélioration de la qualité des soins aux personnes atteintes de démence.
Dépistage et documentation. Le dépistage du déficit cognitif (causé par la démence, le délire, etc.) doit commencer au service d’urgence pour tous les patients de 65 ans et plus. Un diagnostic de démence doit être signalé dans les dossiers médicaux électroniques de manière à ce que le personnel en soit informé et envisage un aiguillage vers des services expérimentés dans les soins aux personnes atteintes de démence.
Membres de la famille, partenaires de soins essentiels. La pandémie de maladie à coronavirus 2019 nous a montré les conséquences du retrait des aidants familiaux des soins aux personnes hospitalisées. Nous devons valoriser et appuyer les membres de la famille à titre de fournisseurs de soins essentiels, surtout aux personnes atteintes de démence, qui sont parfois incapables d’exprimer leurs besoins ou de défendre leurs droits.
Soins ponctuels et axés sur la personne qui répondent aux besoins physiques de base que les personnes atteintes de démence sont parfois incapables d’exprimer. Il doit y avoir des plans de soins pratiques afin de répondre activement aux besoins des personnes atteintes de démence dans tous les aspects de l’hospitalisation, de l’arrivée à l’urgence au suivi, en passant par les soins à l’étage et le congé.
Éducation, formation continue et aide au personnel. Pour empêcher un sentiment d’usure compassionnelle et l’épuisement professionnel, les membres du personnel ont besoin d’aide pour accéder de façon ponctuelle à la formation et à l’encadrement de première ligne en temps réel. Ils ont également besoin d’aide pour composer avec l’impact émotionnel lié aux soins aux personnes atteintes de démence.
Expertise dans les soins aux personnes atteintes de démence. Des services qui ont l’expertise dans les soins aux personnes atteintes de démence (p. ex. médecine gériatrique, soins aux aînés, psychiatrie gériatrique) doivent être offerts à l’urgence et partout dans l’hôpital. Ces spécialistes contribuent également à la formation du personnel et à l’encadrement de première ligne. Il faut élaborer des stratégies relatives aux conversations sur les maladies graves et aux approches des soins palliatifs, particulièrement pour les personnes atteintes de démence.
Prévention non pharmacologique et gestion des comportements sensibles. Pour favoriser la gestion non pharmacologique des comportements réactifs, les médecins doivent s’appuyer sur les parcours, les protocoles, les politiques (y compris la restriction minime), l’éducation et la formation basés sur les soins aux personnes atteintes de démence.
Planification individualisée et active du congé. Inclut la planification précoce du congé, la prise en compte des besoins du patient et de l’aidant ou du partenaire de soins, l’engagement des organismes communautaires clés, l’aide et les ressources aux aidants, et la clarification des objectifs et des limites des soins.
Environnements physiques adaptés. De petites modifications à l’environnement physique de l’hôpital, par exemple réduire la surstimulation et faciliter les mouvements, auront un impact positif7. Des conseils pratiques se trouvent, en anglais, sur le site du Dementia Enabling Environment Virtual Information Centre (http://www.enablingenvironments.com.au).
Mise en application
Il est essentiel d’obtenir des données d’hôpital afin d’identifier et de quantifier avec précision les personnes hospitalisées atteintes de démence (élément 1). Si les hôpitaux pouvaient mesurer l’impact de la démence au quotidien, les équipes de direction de l’hôpital reconnaîtraient qu’il est essentiel de prioriser les stratégies de soins aigus aux personnes atteintes de démence afin d’améliorer le roulement des patients, et de réduire les jours d’ANS et l’encombrement des hôpitaux. Le principe selon lequel « on ne peut gérer ce qu’on ne peut mesurer » en est le fondement. Une mesure exacte orienterait les priorités et les politiques. Pour obtenir un point de vue de la médecine d’urgence, lire l’article Healthy Debate par Melady et Molnar8.
Pour prioriser les soins aux personnes hospitalisées atteintes de démence, il faut une vision, une volonté et des compétences en leadership de la part des directeurs et des conseils d’administration des hôpitaux, ainsi que des ministères de la Santé des provinces et des territoires afin de pouvoir mobiliser les ressources et l’expertise nécessaires (élément 2). Il faut également une force de poussée créée par la prise de position des médecins, y compris des lecteurs de Médecin de famille canadien.
Si on omet de reconnaître que l’amélioration des soins aux personnes atteintes de démence est essentielle à la réduction des ANS, ceux-ci augmenteront, de même que l’encombrement des hôpitaux, et le retour aux niveaux d’avant la pandémie sera gravement compromis, ce qui se répercutera sur les Canadiens de tous âges. Il est temps de se faire entendre.
Notes
Les Perles gériatriques sont produites de concert avec le Canadian Geriatrics Society Journal of CME, une revue révisée par des pairs publiée par la Société canadienne de gériatrie (http://www.geriatricsjournal.ca). Les articles font la synthèse des données probantes tirées des articles publiés dans la revue Canadian Geriatrics Society Journal of CME et présentent des approches pratiques à l’intention des médecins de famille qui soignent des patients âgés.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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This article is also in English on page 25.
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