La continuité est au cœur de la médecine de famille, et ses bienfaits sont nombreux : plus grande efficacité, meilleurs résultats cliniques, plus de confiance et meilleure satisfaction tant pour le patient que pour le médecin.1-8 La continuité est aussi un pilier du modèle du Centre de médecine de famille (CMF) du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC), par contre elle peut être difficile à réaliser dans les milieux d’enseignement universitaires.9-11
La continuité est un élément central du cursus Triple C du CMFC.12 La transition vers la formation médicale par compétences, avec ses systèmes de supervision progressive, met davantage l’accent sur la relation longitudinale entre le résident et le superviseur. Les programmes de résidence de tout le Canada doivent respecter cette norme, mais le parcours vers l’application de la continuité pédagogique est parsemé d’embuches pratiques. De nombreux auteurs ont tenté de définir la continuité et de trouver des solutions à ses obstacles, mais nous n’avons pas encore trouvé de consensus sur sa signification, sur ce à quoi elle devrait ressembler ou comment la mettre en pratique.13,14
Dans le présent commentaire, nous passons en revue les concepts de la continuité des soins aux patients et de la continuité pédagogique, ainsi que les obstacles à leur mise en œuvre dans un contexte universitaire. Nous discuterons des occasions, au sein et à l’extérieur du modèle du CMF, ainsi que du défi qu’il faut envisager pour réunir la continuité des soins aux patients et la continuité pédagogique.
La continuité des soins en milieu clinique
Bien que la continuité ait toujours été perçue comme le suivi des patients au fil du temps, dans différents contextes, d’établir des relations avec le patient et d’assumer la responsabilité des soins, la continuité en tant que concept est multidimensionnelle. Selon une définition largement acceptée de la Fondation canadienne pour l’amélioration des services de santé (anciennement Fondation canadienne de la recherche sur les services de santé), on recense trois types de continuité des soins de santé : continuité informationnelle, continuité de la prise en charge et continuité relationnelle15 :
La continuité informationnelle des soins cliniques porte sur la circulation fluide de l’information reliant les soins d’un fournisseur à un autre dans les milieux de soins.
La continuité de la prise en charge des soins cliniques est définie comme étant la prise en charge cohérente, axée sur le patient, des conditions de santé dans tous les milieux de soins. La continuité de la prise en charge est présente lorsque les services sont fournis de façon harmonieuse et ponctuelle, et lorsque les plans de prise en charge sont communiqués entre les différentes équipes pour assurer une certaine cohérence aux patients.
La continuité relationnelle des soins cliniques s’entend du maintien de relations thérapeutiques continues entre un patient et un ou plusieurs fournisseurs de soins dans différents contextes. Il s’agit de l’un des plus grands dénominateurs de la satisfaction des médecins et des résultats positifs pour les patients.2-4,7
La continuité en milieu pédagogique
Reconnaissant que la continuité dans un contexte d’apprentissage présente également de multiples facettes, Bowen et coll. soutiennent que ses dimensions peuvent être envisagées de façon analogue à celles de la continuité des soins cliniques11 :
La continuité informationnelle de l’apprentissage met en cause la nécessité pour les apprenants de tenir compte de l’apprentissage à partir de leurs interventions avec les patients dans une variété de milieux de soins, idéalement à l’aide d’un portfolio électronique. La capacité des résidents et de leurs accompagnateurs pédagogiques à accéder à divers renseignements (feuilles de route, ou notes sur le terrain, évaluations en cours de formation, registres de procédures ou d’actes médicaux, etc.) simplifie la planification pédagogique et soutient l’autonomie progressive des apprenants.
La continuité de la prise en charge de l’apprentissage porte sur l’élaboration et la mise à jour périodique d’un plan d’apprentissage longitudinal pour les apprenants.
La continuité relationnelle de l’apprentissage met l’accent sur les relations longitudinales entre les résidents et leurs superviseurs, qui sont essentielles à l’expérience d’apprentissage.16,17 La continuité relationnelle de l’apprentissage, qui comprend l’enseignement et l’évaluation, est atteinte en attribuant un superviseur principal (ou accompagnateur pédagogique) et un petit groupe de superviseurs en médecine de famille membres de la faculté, qui suivent l’apprenant pendant toute sa résidence. En plus de faciliter les observations fréquentes nécessaires pour appuyer la formation médicale par compétences, la continuité relationnelle permet aux enseignants qui assument un rôle de supervision de mieux adapter leurs stratégies dans le contexte des besoins et des objectifs personnels des résidents.18,19
La continuité relationnelle de l’apprentissage s’étend aussi au contexte d’apprentissage clinique. En limitant le nombre et la fréquence des changements de sites d’enseignement, on accorde aux résidents plus de temps pour l’apprentissage plutôt que pour l’orientation dans de nouveaux milieux à chaque stage.12,18 La continuité du contexte d’apprentissage clinique donne aux résidents l’occasion d’établir des relations avec d’autres professionnels ce qui favorisent l’apprentissage et la pratique interprofessionnels.12,18
Les embuches à la continuité dans le contexte universitaire de la médecine de famille
De nombreux facteurs influencent la continuité des soins cliniques et la continuité pédagogique dans le contexte universitaire en médecine de famille, notamment les préférences des patients, l’évolution des modèles de soins, les processus de planification des horaires et l’administration, ainsi que les formats des programmes pédagogiques.
Bien que les patients préfèrent consulter leur fournisseur de soins habituel, ils sacrifient souvent la continuité pour l’accès rapide aux soins primaires.20,21 Dans une étude récente comparant plusieurs attributs de l’accès clinique aux soins primaires, des chercheurs ont constaté que les choix des patients pour la prise de rendez-vous étaient principalement influencés par la rapidité d’obtention du rendez-vous (accès), suivie par le rôle professionnel du fournisseur (médecin de famille, résident, personnel infirmier, ou infirmière/infirmier praticien), et la familiarité du patient avec le fournisseur (continuité).21
Les nouveaux modèles de soins ont favorisé les approches axées sur le travail d’équipe afin d’assouplir l’accès aux soins et d’accroître l’efficacité en permettant à d’autres professionnels de la santé de travailler dans leur plein champ d’exercice. Comme Bowen et coll. l’ont déjà fait remarquer,11 les patients ne voient pas toujours leur médecin de famille habituel (ou résident en médecine de famille) dans le cadre de ces modèles, mais ils interagissent avec d’autres membres de l’équipe. Dans ces nouveaux modèles, les médecins de famille, les résidents et leurs équipes doivent savoir optimiser les autres dimensions de la continuité (la continuité informationnelle des soins cliniques et la continuité de la prise en charge des soins cliniques).
Pour plusieurs raisons, dont la nécessité de préserver leur bien-être personnel, les médecins de famille tendent davantage vers le travail à temps partiel. Ceux qui travaillent dans des milieux universitaires doivent en outre répartir leur temps entre le travail clinique et la gamme d’activités universitaires nécessaires pour maintenir et faire progresser la discipline. En plus de réduire la disponibilité de ces médecins de famille aux patients, la pratique clinique à temps partiel limite le temps dont ils disposent pour superviser les résidents.
L’horaire des résidents dans un programme de résidence en médecine de famille de deux ans engendre aussi des difficultés quant à la continuité des soins.18,22 Pour vraiment apprécier la valeur de la continuité relationnelle des soins cliniques, il est nécessaire de multiplier les rencontres entre le patient et le médecin sur une période prolongée. Au Canada, de nombreux programmes de résidence fonctionnent « en bloc », où les apprenants changent de domaine de spécialité, de lieu et de superviseur aussi souvent qu’une fois par mois. Les programmes de résidence ont tenté d’atténuer les problèmes liés à la présence en clinique à temps partiel de plusieurs façons. Certains ont créé les « demijournées de retour en clinique » pour permettre aux apprenants de revenir en clinique de médecine de famille chaque semaine pendant qu’ils effectuent des stages dans d’autres disciplines particulières. Cette stratégie comporte plusieurs obstacles logistiques et produit des résultats mitigés quant à la continuité.12 D’autres ont adopté le système de « mini-blocs », comportant des intervalles planifiés aux deux semaines.23 Ou encore, d’autres ont opté pour des expériences horizontales, où un résident passe la moitié de la journée à l’hôpital et l’autre moitié en clinique,24 ou ont « optimisé » le temps clinique en médecine de famille pendant 12 mois consécutifs.22,24 Malheureusement, on ne sait pas exactement quel est le format le plus favorable à la continuité, et il est probable que des programmes de résidence individuels tendent vers un format particulier plutôt qu’un autre en raison de nombreux facteurs qui leur sont propres.
Surmonter les difficultés et explorer de nouvelles possibilités
Le réaménagement des pratiques de soins primaires vers le modèle de CMF modifie nos milieux d’apprentissage. Vous trouverez ci-dessous nos quatre recommandations visant à maximiser la possibilité pour les CMF universitaires de soutenir toutes les dimensions de la continuité clinique et pédagogique.
Veiller à ce que les résidents comprennent et valorisent la continuité dans le modèle du CMF. Bien que la continuité soit une valeur fondamentale, l’enseignement de la façon d’optimiser la continuité dans un contexte clinique (tant pour les stages en médecine de famille que pour les stages hors service) ne fait pas partie du programme d’enseignement officiel. L’enseignement et la mise en œuvre de stratégies visant à optimiser la continuité informationnelle, de la prise en charge et relationnelle devraient être intégrés au programme de résidence, idéalement comme composante d’un programme de résidence plus vaste sur le CMF.
Veiller à ce que les besoins des patients soient au cœur de la pratique. Les établissements universitaires de soins primaires devraient adopter le modèle de CMF comme moyen de permettre et de favoriser les relations à long terme entre les patients et l’équipe soignante (qui comprend le résident en médecine de famille), assurant ainsi des soins continus pendant tout le cycle de vie des patients. En optant pour la continuité informationnelle et la continuité de la prise en charge, le site d’enseignement assure son rôle de coordination de tous les services médicaux prodigués aux patients dans l’ensemble de la communauté médicale. Quant à la continuité relationnelle, les pratiques médicales doivent garantir que les processus de planification et d’administration optimisent non seulement l’accès des patients, mais aussi la continuité de leur fournisseur principal et de l’équipe de ce dernier.
Les équipes universitaires du CMF devraient, autant que possible, s’efforcer d’assurer la continuité des soins à leurs patients dans différents milieux, y compris en clinique, à l’hôpital, dans les établissements de soins de longue durée et au domicile du patient. Ceci devrait comprendre l’utilisation judicieuse des technologies de soins virtuels pour soutenir la continuité.
Adopter le modèle interprofessionnel pour la continuité clinique et pédagogique. La relation individuelle entre le patient et le médecin est depuis longtemps au cœur des mesures de la continuité, mais il est temps de s’intéresser également à la mesure de la continuité du patient avec l’équipe, afin de mieux faire état de l’importance croissante de la pratique concertée interprofessionnelle dans le modèle du CMF. Les microéquipes, soit de petites équipes interprofessionnelles responsables des soins d’un groupe commun de patients, sont un modèle prometteur pour renforcer la continuité relationnelle, informationnelle et de la prise en charge des soins, ainsi que la continuité pédagogique.22,24,25 Idéalement, les résidents bénéficieraient de la continuité longitudinale auprès d’une équipe interprofessionnelle principale de soins primaires qui comprendrait un groupe central d’enseignants dans un rôle de supervision. Les résidents devraient faire partie intégrante de l’équipe et s’occuper du groupe de patients de l’équipe, qu’ils considéreraient comme « les leurs ».
Optimiser l’horaire des résidents pour améliorer la continuité. En fonction de leur contexte de pratique, les programmes de résidence devraient réexaminer avec soin leur façon d’établir les horaires, afin de trouver des possibilités d’optimisation de la continuité en réduisant le nombre de transitions entre les différents contextes et équipes, si possible. Lorsqu’il est possible, les programmes devraient intégrer des expériences cliniques horizontales, idéalement avec les mêmes équipes cliniques et de supervision.
Conclusion
La continuité est une valeur clinique et pédagogique fondamentale en médecine de famille, mais de nombreux facteurs rendent difficile son application dans des contextes pédagogiques universitaires. En favorisant les modèles de CMF et en apportant des changements réfléchis dans le programme d’enseignement, nous aurons l’occasion d’optimiser les soins aux patients tout en veillant à ce que les résidents acquièrent des compétences en continuité des soins et y trouvent de la satisfaction.
Notes
Conseils pour les enseignants
▸ La continuité est un pilier du Centre de médecine de famille (CMF) et du cursus Triple C axé sur les compétences et offre de multiples avantages. Cependant, elle est difficile à atteindre dans les contextes pédagogiques universitaires en raison de nombreux facteurs.
▸ Les dimensions de la continuité dans le contexte d’apprentissage universitaire sont semblables à celles de la continuité des soins cliniques, mettant en cause la continuité informationnelle, de la prise en charge et relationnelle en apprentissage. La continuité relationnelle en apprentissage s’étend aussi au contexte d’apprentissage clinique.
▸ Le réaménagement de pratiques de soins primaires en modèles de CMF modifie le contexte d’apprentissage. Les préférences des patients, les processus d’établissement des horaires et l’administration, les formats des programmes pédagogiques et d’autres facteurs jouent un rôle dans la réalisation de la continuité des soins dans le contexte d’apprentissage.
▸ Les établissements universitaires de soins primaires peuvent optimiser les occasions de soutenir toutes les dimensions de la continuité clinique et pédagogique en s’assurant que les résidents comprennent et valorisent la continuité, en adoptant le modèle du CMF et en s’assurant que les besoins des patients sont au cœur des soins, en adoptant la collaboration interprofessionnelle et en optimisant les horaires des résidents pour favoriser la continuité. Des changements réfléchis aux programmes d’études pourraient donner aux programmes l’occasion d’optimiser les soins aux patients et de veiller à ce que tous les résidents acquièrent des compétences en continuité des soins et y trouvent de la satisfaction.
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC). La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en mettant l’accent sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Viola Antao, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à viola.antao{at}utoronto.ca
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the January 2022 issue on page 74.
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