Question clinique
Comment puis-je reconnaître la maltraitance des personnes âgées (MPA) dans ma pratique clinique surchargée?
Résultats
La maltraitance des personnes âgées se présente de manière hétérogène et passe souvent inaperçue, parce que les personnes âgées ne signalent pas toujours volontairement qu’elles en sont victimes. En raison des risques de faux positifs, les recommandations américaines et canadiennes ne proposent pas de dépistage universel, mais suggèrent aux médecins d’être à l’affût d’indices de MPA durant toutes les interactions cliniques1,2. Les médecins de famille sont bien placés pour détecter la MPA, mais pourraient ne pas avoir la formation et les connaissances suffisantes pour leur permettre d’intervenir dès les premières manifestations de maltraitance. Pour perfectionner de telles compétences, nous avons résumé les principaux éléments d’un article paru dans le Canadian Geriatrics Society Journal of CME2.
Données probantes
La prévalence de la MPA au Canada varie de 4 à 10 %, mais il s’agit probablement d’une sous-estimation, la maltraitance étant rarement signalée3.
Les 5 principaux types de MPA sont la négligence, la violence physique, psychologique ou sexuelle et l’abus financier4. Cet article ne se penche pas sur l’abus financier.
Approche
Les médecins peuvent raffiner leurs habiletés à aborder la MPA en se renseignant sur ses facteurs de risque, ses déclencheurs et ses signes possibles, et en intégrant dans leur pratique un outil de dépistage (p. ex. l’Évidence d’abus selon des indicateurs5) pour les aider à détecter la MPA. Ils devraient aussi s’informer concernant les lois et les exigences de signalement liées à la MPA dans leur province ou territoire, et connaître les ressources accessibles dans leur région pour pouvoir déployer des interventions auprès des patients victimes de MPA.
Mise en application
Dans l’anamnèse d’un patient, parmi les indices susceptibles de laisser présager une possible MAP figurent des blessures inexpliquées, des antécédents de blessures répétées, la description du patient comme étant sujet aux accidents, des retards entre l’apparition de la maladie ou de la blessure et la demande d’attention médicale, ainsi que des visites récurrentes au département d’urgence pour des blessures semblables6.
Lorsque vous faites le bilan familial et social, questionnez le patient à propos de comportements abusifs antérieurs, d’une consommation excessive de drogues ou d’alcool, de récents événements stressants et de problèmes relationnels avec l’aidant. Les questions peuvent être structurées autour des 5 principaux types de MPA6.
Durant l’examen physique, soyez aux aguets des signes de découragement, des craintes ou des contacts visuels fuyants. Observez aussi l’aspect physique et l’hygiène du patient, notamment l’état des ongles, de la peau et de l’apparence générale. Si des blessures sont apparentes, examinez le stade de guérison, la taille des ecchymoses et la conformité de la blessure avec le mécanisme rapporté, et évaluez de possibles subterfuges. Les médecins devraient essayer de documenter les constatations cliniques qui font soupçonner de la violence à l’aide de schémas du corps et de photographies cliniques. La documentation devrait aussi inclure des citations directes et de la rétroaction de sources multiples, de même que des commentaires à propos des incohérences dans les récits et de la fiabilité des sources. Il faudrait aussi documenter les interactions entre la personne âgée et ses aidants7. Dans la mesure du possible, un deuxième membre du personnel, préférablement du même sexe que le patient, devrait être présent durant l’examen physique.
Des résultats de laboratoire révélant une déshydratation, une malnutrition, une rhabdomyolyse inexpliquée et de faibles concentrations sériques de médicaments d’ordonnance (si ces mesures sont disponibles) devraient élever le degré de suspicion de négligence6. Des preuves radiographiques de blessures portant à croire à des mécanismes à fort impact alors que les rapports mentionnent des mécanismes à faible impact devraient faire soupçonner de la violence physique6. Par exemple, une fracture de la diaphyse cubitale est rare dans les blessures accidentelles et plus caractéristique d’un traumatisme à un avant-bras levé en autodéfense. Des blessures à divers stades de guérison, en particulier dans la région maxillofaciale et aux membres supérieurs, sont aussi indicatives de violence physique8.
L’Évidence d’abus selon des indicateurs (Encadré 1)5,9 est un outil canadien dont l’utilisation a été validée pour le dépistage auprès de patients cognitivement aptes en milieu de soins primaires lorsqu’un abus est suspecté. Il s’agit d’un questionnaire à 6 éléments, dont 5 questions s’adressent au patient et l’autre, au médecin, et il faut environ 2 minutes pour l’administrer. Une ou plusieurs réponses par l’affirmative aux questions 2 à 6 ont une sensibilité de 47 % et une spécificité de 75 % pour identifier les patients à risque d’abus et justifieraient une évaluation plus approfondie10.
Évidence d’abus selon des indicateurs
Les questions 1 à 5 s’adressent au patient qui peut répondre par oui, non ou n’a pas répondu. Le médecin répond à la question 6 par oui, non ou incertain. Une réponse ou plus par l’affirmative aux questions 2 à 6 peut laisser présager un abus envers un aîné*.
Au cours des 12 derniers mois :
Avez-vous dépendu de quelqu’un pour une des activités suivantes : prendre un bain ou une douche, vous habiller, faire vos commissions, vos transactions bancaires ou vos repas?
Est-ce que quelqu’un vous a empêché(e) de vous procurer de la nourriture, des vêtements, des médicaments, des lunettes, des appareils auditifs, de l’aide médicale, ou de rencontrer des gens que vous vouliez voir?
Avez-vous été dérangé par les paroles de quelqu’un, qui vous ont fait sentir honteux(se) ou menacé(e)?
Quelqu’un a-t-il essayé de vous forcer à signer des papiers ou à utiliser votre argent contre votre volonté?
Est-ce que quelqu’un vous a fait peur, vous a touché(e) d’une manière que vous ne vouliez pas ou vous a fait mal physiquement?
Médecin : l’abus envers une personne âgée peut être associé à des manifestations telles que : de la difficulté à maintenir un contact visuel, une nature retirée, de la malnutrition, des problèmes d’hygiène, des coupures, des ecchymoses, des vêtements inappropriés ou des problèmes d’adhésion aux ordonnances. Avez-vous remarqué de telles manifestations aujourd’hui ou au cours des 12 derniers mois?
*Remarque : L’outil Évidence d’abus selon des indicateurs5 a été validé pour être administré par des médecins de famille lors de rencontres avec des personnes âgées qui ont obtenu des résultats de ≥24 à l’examen de l’état mental de Folstein (MMSE)9, et ce, en consultations externes.
Reproduit avec l’autorisation du Dr Mark J. Yaffe (mark.yaffe{at}mcgill.ca).5
Il existe d’autres outils d’évaluation accessibles pour usage dans la communauté, mais il faudrait de meilleures mesures des résultats des interventions pour guider leur utilisation11.
Au Canada, il n’y a pas de lois fédérales portant précisément sur la MPA, mais certaines lois s’appliquent à divers types d’abus. Le Code criminel couvre les délits comme le vol, la fraude, l’extorsion, l’usage abusif de la délégation de pouvoir, les voies de fait et les délits sexuels, de même que la négligence criminelle et le défaut de pourvoir aux premières nécessités de la vie12. Les provinces et les territoires adoptent une approche qui leur est propre, notamment des lois qui rendent obligatoire le signalement d’abus dans certains milieux (p. ex. soins de longue durée), tandis que d’autres le rendent obligatoire dans tout milieu. Le Canadian Centre for Elder Law a produit un guide pratique concernant la MPA, qui présente les lois provinciales et territoriales sur la MPA et la négligence au Canada13. Il importe d’évaluer et de prendre en compte la capacité des aînés, car leur aptitude influera sur les approches de prise en charge.
Pour obtenir plus de renseignements sur le dépistage, l’évaluation et les interventions, veuillez consulter la recherche documentaire publiée dans le Canadian Geriatrics Society Journal of CME en 20222.
Notes
Les Perles gériatriques sont produites de concert avec le Canadian Geriatrics Society Journal of CME, une revue révisée par des pairs publiée par la Société canadienne de gériatrie (http://www.geriatricsjournal.ca). Les articles font la synthèse des données probantes tirées des articles publiés dans la revue Canadian Geriatrics Society Journal of CME et présentent des approches pratiques à l’intention des médecins de famille qui soignent des patients âgés.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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This article is also in English on page 746.
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