La curiosité d’un médecin est fondamentale pour comprendre l’expérience unique de la maladie de chaque patient, établir des relations respectueuses avec les patients, approfondir la conscience de soi, soutenir le raisonnement clinique, éviter la conclusion prématurée du diagnostic et encourager l’apprentissage continu.1 Dans la préparation des apprenants à la pratique de médecine de famille, l’une des tâches tacites du superviseur clinique est de stimuler la curiosité, mais comment y arriver concrètement et quels en sont les défis?
Menaces à la curiosité
La détresse psychologique est plus répandue chez les résidents que ce qu’en perçoivent les superviseurs cliniques.2 Même avant la pandémie de COVID-19, les sources de stress et les charges cognitives concurrentes, comme l’arrivée des dossiers médicaux électroniques avancés, les multiples directives cliniques complexes et le nombre accru d’évaluations de rendement, pouvaient entraver la curiosité des résidents pendant les rencontres cliniques. À l’ère de l’anxiété et de la distraction, il n’a jamais été aussi important de reconnaître ces menaces pour notre attention et notre bien-être tout en encourageant la curiosité. De nombreuses études lient la satisfaction au travail à l’épuisement professionnel; ainsi, la formation de cliniciens engagés et curieux est essentielle à la viabilité future du système.3,4
L’hygiène du travail contre la motivation
Bien que les conditions de travail, mieux connues sous le nom de facteurs d’hygiène dans la théorie des deux facteurs de Frederick Herzberg, psychologue du travail, soient importantes pour la satisfaction professionnelle, les facteurs de motivation, moins tangibles, sont tout aussi importants.5 En soutenant les facteurs de motivation, comme le fait de reconnaître la complexité de la rencontre clinique, nous offrons une double occasion d’améliorer non seulement les résultats cliniques des patients, mais aussi le bien-être des apprenants. En tentant de réduire l’insatisfaction des apprenants quant aux conditions de travail et de rehausser la satisfaction des apprenants quant aux facteurs de motivation (comme la curiosité), nous contribuons à équilibrer certains des défis hygiéniques inhérents à la résidence contemporaine qui ont été mentionnés précédemment. Par exemple, les progrès de la technologie et les critères en matière de sécurité des patients signifient que les apprenants passent probablement plus de temps sur les ordinateurs et moins de temps avec les mentors et les patients. Par conséquent, les apprenants pourraient avoir moins d’occasions pour les contacts humains, d’être autonomes et de se voir confier des activités professionnelles, ce qui pourrait diminuer leur satisfaction. Tenter d’aborder la motivation en stimulant la curiosité est un moyen potentiel d’améliorer la satisfaction professionnelle lorsqu’on est confronté à des facteurs d’hygiène négatifs qui ne peuvent être éliminés facilement.
Des stratégies concrètes
Bien que la curiosité soit innée6 et que les stagiaires soient admis en médecine avec des degrés variables d’ouverture à la nouveauté, il existe des moyens pratiques de favoriser ou de stimuler la curiosité des apprenants (Tableau 1).
Trois démarches pour favoriser la curiosité en supervision clinique
Modéliser l’invitation à l’incertitude agréable ou au « questionnement ». La recherche de la certitude est une motivation naturelle pour beaucoup, mais des soins primaires efficaces et astucieux signifient souvent d’accepter l’incertitude.7 Lors de l’examen d’un cas, l’énoncé « Je m’interroge sur …. Qu’en pensez-vous? » modélise la curiosité et exerce une pression sociale tacite ou subtile pour stimuler la curiosité des apprenants.
Montrer son enthousiasme pour les cas courants en s’emballant pour la complexité du quotidien. S’enthousiasmer pour chaque cas ne fera pas authentique, ou même si c’est le cas, cette attitude réduira la réceptivité des apprenants à cette approche au fil du temps. Toutefois, choisir un cas par clinique et montrer comment la transformation de l’ordinaire en extraordinaire peut s’avérer un outil puissant pour montrer l’art de la médecine. Certains des troubles les plus courants, comme l’hypertension, la dépression et la pharyngite, comportent de nombreuses nuances qui ne sont pas toujours évidentes pour les apprenants. Plutôt que de rechercher l’incapacité des apprenants à reconnaître ces nuances, nous pouvons en tant que superviseurs nous concentrer sur la transmission de notre propre reconnaissance de la complexité du cas : « Ce que ce cas recèle d’intéressant est… » comme pour « s’interroger », cette approche exerce une légère pression sociale sur le résident pour qu’il apprécie la complexité clinique d’un bon œil.
Modéliser le fait de « voir » ou de partager ce que vous avez vu et en quoi l’entretien a changé. Le but de cette approche est de promouvoir le fait d’avoir une « vision narrative » plutôt que de se contenter d’étayer des données.8 Il est difficile pour un auteur d’écrire tout en saisissant des données. Il en est de même pour les médecins qui s’entretiennent avec un patient. Les récits des patients sont uniques et pleins de rebondissements. En montrant aux apprenants ce que vous avez perçu en tant que superviseur en observant le patient, et comment cela a changé le récit, vous les aidez à apprécier la complexité dynamique de la rencontre avec le patient. « Quand le patient a dit … le regard du patient et le ton de sa voix m’ont donné envie de savoir … » « L’hésitation dans la voix du patient lorsqu’il a répondu … m’a rendu curieux à propos de … » L’objectif est de montrer comment le pouvoir d’observation d’une personne influence le récit qu’elle construit. Contrairement aux stratégies qui consistent à interroger et à être intrigué par la complexité, avoir cette vision narrative exige une supervision directe des apprenants ou que les apprenants soient jumelés à des superviseurs; elle est donc plus exigeante en ressources, mais probablement beaucoup plus puissante.
Conclusion
De nombreux obstacles se dressent contre la curiosité de l’apprenant dans la formation médicale moderne. Mais, il existe des moyens brefs que les superviseurs cliniques peuvent utiliser pour promouvoir la curiosité au cours de la supervision quotidienne par la modélisation et le partage de certaines techniques, voire le questionnement, l’appréciation de la complexité et la vision narrative.
Notes
Conseils pour les enseignants
▸ Les conditions de travail négatives, telles que les sources de stress et les charges cognitives concurrentes, sont souvent difficiles à éliminer pour les superviseurs cliniques, et peuvent menacer l’attention et le bien-être des apprenants. À l’inverse, les facteurs de motivation, comme la curiosité, peuvent être stimulés par les superviseurs cliniques grâce à quelques stratégies concrètes et efficaces en temps.
▸ Des soins primaires efficaces et astucieux impliquent souvent l’acceptation de l’incertitude. En modélisant la curiosité par des énoncés comme « Je me demande … », on exerce une pression sociale subtile sur les apprenants pour qu’ils se connectent à leur propre curiosité.
▸ Choisir un cas par clinique et montrer comment la transformation de l’ordinaire en extraordinaire peut stimuler la curiosité et constituer un outil puissant pour montrer l’art de la médecine.
▸ Les superviseurs peuvent promouvoir la « vision narrative » plutôt que de se contenter d’étayer les données; bien que cette approche exige plus de ressources, de supervision ou que l’apprenant soit jumelé au superviseur, elle peut aussi être plus puissante.
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC). La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en mettant l’accent sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Viola Antao, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à viola.antao{at}utoronto.ca
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the October 2022 issue on page 783.
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