Il va sans dire que la pandémie de la COVID-19 a fait subir un test de résistance au système de santé canadien; les rapports sur les longs temps d’attente pour une opération chirurgicale élective1, les retards dans le diagnostic et le traitement de cancers2 et les fermetures de services d’urgence continuent de se multiplier3.
La pandémie a aussi fait subir un test massif de résistance à la médecine familiale. La plupart des médecins de famille (MF) au Canada sont travailleurs autonomes et indépendants, et ils ont dû apporter rapidement des changements dans leur travail pour préserver leur sécurité et celle de leurs patients et de leurs employés.
Pour voir des patients en toute sécurité, les MF ont eu recours à l’équipement de protection individuelle (dont la quantité était limitée), à une meilleure aération, à un nettoyage plus rigoureux, au dépistage passif et actif des symptômes, à la distanciation physique dans les salles d’attente et à l’utilisation maximale des capacités de la clinique. Pour cette dernière, nous avons été appelés à nous adapter rapidement à une évaluation des patients par téléphone, vidéo ou courriel avant de les accueillir à la clinique.
En même temps, plusieurs d’entre nous avons connu une baisse dramatique des revenus de la clinique en raison du moins grand nombre de visites durant les premiers mois de la pandémie, lorsque les patients ont été avisés de reporter les soins non urgents. Les MF ont aussi été appelés à soutenir de multiples activités du système de santé en travaillant dans les centres d’évaluation de la COVID-19, en aidant dans les soins de longue durée, dans les services d’urgence et hospitaliers, et en prêtant main-forte dans les centres de vaccination.
Comment les MF ont-ils répondu à ces multiples demandes concurrentes? Les MF ont-ils été capables d’apporter tous ces changements considérables, d’exercer ces nombreux rôles, et ce, tout en essayant de s’occuper de leurs propres patients?
Une importante enquête transversale auprès des MF dans le Grand Toronto (avec un excellent taux de réponse de 85,7 %), publiée dans ce numéro (page 837) par Kiran et ses collègues, révèle que les MF ont remarquablement bien réussi à être accessibles à leurs patients et à les soigner durant la deuxième vague4.
Parmi les répondants, 99,7 % ont indiqué que leur clinique était ouverte en janvier 2021, 94,8 % voyaient leurs patients en personne et 30,8 % prodiguaient des soins en personne à des patients qui avaient des symptômes de la COVID-19. Les répondants estimaient avoir passé 58,2 % de leur temps en soins cliniques au téléphone, 5,8 % de plus en soins par vidéo et 7,5 % par courriel. Dans l’ensemble, 17,5 % prévoyaient fermer leur clinique actuelle au cours des 5 prochaines années. Il y avait une proportion plus élevée de médecins qui travaillaient en solo parmi ceux qui n’avaient pas vu leurs patients en personne (27,6 % non c. 12.4% oui, p<,01)4.
Même si la plupart des MF avaient gardé leur clinique ouverte, une deuxième étude publiée par les mêmes chercheurs plus tôt cet automne décrivait une tendance pandémique plus inquiétante5 qui a aussi été corroborée par la présente étude4.
Kiran et ses collègues ont constaté qu’environ 3 % des plus de 12 000 MF pratiquant en Ontario avaient arrêté de travailler durant les 6 premiers mois de la pandémie, soit 3 fois plus que durant la décennie précédente. Il était plus probable que les médecins qui avaient cessé de travailler soient âgés de 75 ans et plus, soient rémunérés à l’acte, comptent une liste de moins de 500 patients, aient moins travaillé que d’autres MF durant l’année précédente, des facteurs qui sont tous probablement corrélés et compatibles avec des MF se préparant à prendre leur retraite5.
Même si, dans cette étude, le nombre absolu des MF qui avaient arrêté de travailler était faible, les impacts sur les patients et les communautés seront probablement considérables. Environ la moitié des MF ayant cessé de travailler pratiquaient selon un modèle d’inscription des patients et étaient responsables des soins aux patients inscrits. En se fondant sur une liste d’en moyenne 788 patients inscrits, les auteurs ont estimé que ces MF s’occupaient d’environ 170 000 patients5.
Les auteurs n’ont pas été en mesure de démontrer une causalité en raison des méthodes de l’étude, mais ils ont émis l’hypothèse que de nombreux MF avaient devancé leurs plans de retraite durant la pandémie en raison d’inquiétudes à propos de leur propre santé, des coûts plus élevés de la pratique, des revenus à la baisse et de l’épuisement professionnel5.
La plupart des autres régions au Canada connaissent déjà des problèmes d’accès. Environ 10 % de la population de l’Ontario et 18 % de celle de la Colombie-Britannique n’ont pas de MF6. Si les tendances dans ces études se maintiennent, la situation s’aggravera.
L’une des terribles ironies de la crise des effectifs de MF est qu’il n’y a jamais eu autant de données probantes convaincantes étayant les bienfaits de la continuité des soins dispensés par un MF qui connaît son patient7. Nous devons régler le problème de la rétention des MF, et ce, dès maintenant.
Footnotes
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