Les exigences technologiques des vols spatiaux alimentent l’innovation et la croissance économique. Les biens situés dans l’espace extra-atmosphérique, comme les satellites, ont joué des rôles importants dans la vie quotidienne et numérique des Canadiens pendant des décennies, sans que la majorité s’en soit rendu compte. Le système de géolocalisation GPS que nous utilisons pour la navigation et les prévisions météorologiques, de même que les rapports sur la circulation routière que nous consultons pour planifier nos activités font tous appel à la technologie spatiale1. Les bienfaits que peut offrir la technologie spatiale aux soins de santé ne sont pas bien connus.
La santé et l’espace
La prestation de soins médicaux à des astronautes pose divers défis, notamment la nécessité de prodiguer des soins à très grande distance et dans un espace limité pour les outils diagnostiques et les autres objets à bord d’une navette spatiale compacte. Avec le temps, la médecine et la technologie de l’espace se sont adaptées pour mieux répondre aux besoins des missions, en améliorant, entre autres, l’utilisation des protocoles de la médecine à distance et le développement de technologies aisément transportées et utilisées dans l’espace extra-atmosphérique.
Non seulement les soins de santé jouent-ils un rôle vital dans les missions spatiales, mais les technologies utilisées dans l’espace ont aussi joué un rôle crucial dans le soutien aux soins de santé sur la Terre. Au nombre de ces innovations figure la télémédecine, qui fournit des soins médicaux dans les régions rurales ou d’autres lieux où les ressources sont limitées1,2-6.
Les adaptations aux défis de l’espace ont entraîné la mise au point novatrice d’appareils médicaux d’autobalayage portables, utilisés dans la prestation des soins de santé, le diagnostic et la prise en charge2-6.
De telles technologies, même si elles ont été élaborées pour être utilisées dans l’espace ou par les agences spatiales, peuvent avoir à leur tour des répercussions sur les soins de santé sur la Terre1,2,4,6. Parmi ces appareils, mentionnons le biomoniteur de l’Agence spatiale canadienne, qui assure une surveillance continue de la santé, et le bioanalyseur, qui effectue des analyses de sang et d’autres liquides corporels et fournit les résultats en quelques minutes. En étant portatifs, de tels dispositifs peuvent facilement être utilisés n’importe où, y compris dans les régions éloignées et durant des missions de secours2-4,6.
La surveillance de la santé environnementale et publique
Les données de télédétection (obtenues grâce à des satellites) ont diverses applications, notamment en médecine de catastrophe, car les données peuvent servir à évaluer les impacts de la situation d’urgence et à planifier les missions de secours et de sauvetage2-5. Les données de télédétection sont aussi utilisées durant des flambées de maladies, pour aider à cartographier le risque, à cerner et investiguer les facteurs de risque, à prévoir les maladies infectieuses et à planifier la livraison de vaccins2-5. De plus, les ressources spatiales ont exercé un rôle considérable dans la surveillance du changement climatique et de l’environnement5. Plusieurs satellites sont en mesure de faire le suivi des effets du changement climatique et des polluants comme le dioxyde de carbone, le méthane, le monoxyde de carbone, l’oxyde nitreux, l’ozone et le dioxyde de soufre5.
Expériences de médecins de famille astronautes
Au Canada, 4 médecins sont devenus astronautes. Trois sont médecins de famille, notamment les Drs Dave Williams, Robert Thirsk et David Saint-Jacques, dont l’un (D.W.) s’est surspécialisé en médecine d’urgence. La quatrième médecin, la première femme astronaute canadienne et la première neurologue dans l’espace, est la Dre Roberta Bondar, pour qui 2022 a marqué le 30e anniversaire de son historique vol spatial.
Être à la fois astronaute et médecin peut être synergique à divers niveaux, et les habiletés du médecin à travailler sous pression et à incarner les différents rôles CanMEDS (leader, collaborateur, communicateur et ainsi de suite) s’avèrent uiles7. Nos coauteurs médecins astronautes (D.W. et D.S.J.) font part ici de leur expérience de telles synergies dans leurs doubles professions.
Dr Dave Williams : En 2021, l’odyssée dans l’espace d’une ancienne pilote de 82 ans, Wally Funk, l’une des femmes dans le groupe de formation pour astronautes Mercury 13 dans les années 1960, et d’un acteur de 90 ans, William Shatner, a indiqué clairement que les critères médicaux de sélection pour participer à un vol spatial sont en pleine évolution8. Grâce au développement et à l’utilisation de technologies et de concepts opérationnels novateurs, les humains pourront voyager plus loin et séjourner plus longtemps dans l’espace. Au cours du présent millénaire, les humains deviendront une espèce spatiale. On dit que les leçons pour l’avenir sont écrites dans le passé, et à travers l’histoire, des médecins ont accompagné les explorateurs dans leurs périples.
Non seulement la formation comme astronaute et l’expérience du vol spatial dans son ensemble améliorent les compétences cliniques, mais elles offrent aussi une occasion unique d’apprécier la diversité de l’expérience humaine. En observant la Terre de l’espace, il n’y a pas de frontières visibles qui séparent les pays, et il est évident que ce qui se produit dans une partie du monde affecte notre planète tout entière. Le philosophe Marshall McLuhan a inventé l’expression village global pour faire référence aux interconnexions facilitées par les technologies médiatiques et à leur impact sur la société9. Alors que nous tentons de sortir de l’actuelle pandémie de la COVID-19, cette expression est plus pertinente que jamais. L’une des plus importantes leçons apprises du programme de la Station spatiale internationale se situe dans l’importance de la collaboration mondiale. De nombreux pays ont travaillé ensemble pour bâtir la Station spatiale internationale; similairement, la collaboration mondiale a été essentielle pour mieux comprendre la COVID-19 et développer des vaccins et des traitements contre ce coronavirus.
Les astronautes doivent collaborer efficacement en équipe dans des environnements où des décisions immédiates doivent être prises pour assurer la réussite opérationnelle et la sécurité de l’équipage. La préparation des équipes à bien travailler ensemble dans des milieux si exigeants se fonde sur la compréhension de la recherche sur les facteurs humains dans l’aviation et l’aérospatiale. De nombreux principes dégagés de cette recherche sont directement applicables à la pratique clinique; ces facteurs humains pourraient sans doute permettre d’atteindre des degrés plus élevés de sécurité et de qualité dans les soins de santé s’ils faisaient partie intégrante des futurs programmes de formation clinique. L’espace est un environnement intolérant à l’erreur et, pourtant, nous savons que « l’erreur est humaine ». Les astronautes sont formés pour travailler ensemble à contrôler les risques, à réduire la probabilité d’erreurs et à piéger les erreurs (les contenir et les corriger) avant qu’elles n’entraînent des conséquences pour la mission. L’intégration des mêmes principes dans l’éducation médicale et la présence d’environnements de formation simulés où l’échec offre une possibilité d’apprentissage sécuritaire représentent d’autres exemples encore de la façon dont l’exploration spatiale peut améliorer les soins de santé sur la Terre.
Dr David Saint-Jacques : Lorsque j’ai été recruté dans le programme des astronautes de l’Agence spatiale canadienne, je pratiquais la médecine générale dans des communautés inuites éloignées du Nord canadien. L’esprit d’aventure et d’exploration qui m’avait attiré vers le Nord était probablement le même que celui qui m’avait dirigé vers l’espace. Cependant, les parallèles ne s’arrêtent pas ici.
La profession médicale est une excellente préparation pour devenir astronaute. Elle demande le même agencement de rigueur scientifique et de bon sens pratique, et un même accent sur le travail en équipe, la réflexion critique, le jugement, l’attention aux détails et la concentration, même sous pression. L’admiration de notre planète vue de l’espace a renforcé mon sens du devoir de servir, de contribuer à un monde en santé, ce qui, dans le sens le plus large, est le but de la médecine.
Sur le plan pratique, il existe aussi des parallèles frappants entre les défis et les contraintes de la pratique de la médecine rurale et les soins médicaux à des astronautes en orbite : l’isolement, l’autosuffisance, l’équipement limité et l’évacuation médicale compliquée ou impossible. Des problèmes semblables ont souvent des solutions similaires; c’est pourquoi la technologie médicale conçue pour les équipages spatiaux est habituellement pertinente pour la médecine sur la Terre et vice versa.
Alors que nous envisageons de futures missions dans l’espace plus lointain, un retour sur la lune et plus loin vers Mars, les défis de maintenir les équipes d’astronautes en vie et en santé deviendront exponentiellement plus grands. Les exigences imposées par l’environnement impitoyable de l’espace fourniront un terrain fertile pour l’innovation dans les technologies diagnostiques médicales au point de service, les systèmes d’aide à la décision fondés sur l’intelligence artificielle, les outils de formation assistés par la réalité virtuelle et la thérapeutique personnalisée, engendrant, en définitive, des soins plus centrés sur le patient pour tous.
Dans un article d’opinion publié dans le Globe and Mail, un autre médecin de famille astronaute, le Dr Robert Thirsk, partage ce même sentiment que la formation des astronautes améliore nos habiletés à faire face aux crises10. Le Dr Thirsk écrit que nous avons besoin de formation, de planification d’urgence et d’exercices de simulation, ce que les astronautes intègrent rigoureusement dans leur travail, pour être mieux préparés en vue de la prochaine crise mondiale10.
Conclusion
Le Canada a joué un rôle important dans l’espace, et des médecins de famille y ont contribué. Les rigueurs de l’environnement spatial extra-atmosphérique imposent des contraintes qui repoussent encore plus loin les limites de la technologie. Alors que nous continuons simultanément à développer notre infrastructure satellitaire de surveillance sur la Terre et que nous nous aventurons plus avant dans les missions d’exploration de l’espace lointain, l’espace continuera aussi d’être une source de bienfaits techniques et novateurs pour les soins de santé.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 797.
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