Abstract
Problème à l’étude Bien que le modèle de prestation de soins primaires à domicile puisse être avantageux tant pour les patients que pour le système, la mise sur pied d’équipes interprofessionnelles offrant ce type de soins n’est pas répandue. Dans le cadre de la prestation des soins aux patients confinés à domicile, les médecins de famille ne font pas souvent partie, que ce soit de façon régulière ou ponctuelle, de l’équipe qui coordonne et planifie la plupart des soins destinés à ces patients.
Objectif du programme Décrire quelques modèles de prestation de soins primaires à domicile et déterminer les obstacles et les facilitateurs relativement à la mise sur pied et à la viabilité de ces modèles dans le système de santé public.
Description du programme Cinq cabinets de prestation de soins primaires à domicile ont fait l’objet d’un examen : 2 en Colombie-Britannique, soit à Victoria et Vancouver; 1 à Winnipeg au Manitoba; et 2 à Toronto en Ontario. L’équipe de recherche a mené à ces 5 sites des entrevues d’équipe semi-structurées, des entretiens avec les médecins dirigeants, de même que des séances d’observation informelles sur les aspects de la planification des soins en équipe. L’information ainsi recueillie a permis d’élaborer une description de chaque cabinet en fonction de l’historique, du contexte et des facteurs déclencheurs liés au modèle; les objectifs et la gestion de la performance; et les éléments conceptuels du cabinet, notamment la population cible, les sources de l’aiguillage et la composition de l’équipe. Une analyse thématique qualitative du contenu a servi à extraire et recenser les obstacles et les facilitateurs de la mise en œuvre à l’échelle des 5 cabinets. Les membres de chaque équipe ont validé l’interprétation de l’information thématique. Une importante hétérogénéité a été observée dans la composition des équipes interprofessionnelles. Le facteur déclencheur déterminant de la prestation des soins à domicile pour chacun des cabinets peut se résumer par la reconnaissance d’un besoin communautaire non comblé. Les principaux facilitateurs étaient le leadership médical, les modèles de financement novateurs, la camaraderie au sein de l’équipe de même que les partenariats communautaires. Les principaux obstacles comprenaient le mince soutien venant du système de santé, l’aspect géographique et l’absence de modèles actuels pour ce type de soins.
Conclusion La mise en œuvre élargie des soins primaires à domicile continue de faire face à des obstacles significatifs. L’examen des pratiques en cours permet de relever l’importance du leadership des médecins et de répondre aux besoins de la communauté.
Le Canada est confronté au vieillissement de sa population et, par conséquent, à une demande croissante de la prestation des soins en milieu communautaire et à domicile1. La proportion des 65 ans et plus et celle des 80 ans et plus sont à la hausse. Bon nombre des personnes de ces groupes d’âge sont atteintes de comorbidités chroniques et complexes2. De plus, on estime qu’environ 8 % à 10 % des personnes de 65 ans et plus qui résident dans la communauté sont confinées (p. ex. elles ne sortent pas de leur domicile au moins une fois par semaine) en raison de difficultés physiques, psychiatriques ou sociales3. Si l’accès aux soins primaires demeure difficile pour la population générale4, il constitue un défi encore plus grand pour les personnes confinées5.
En soins primaires, le concept de « centre de médecine de famille » représente des soins accessibles, coordonnés, interreliés, dispensés par une équipe et dirigés par des médecins de famille6. De façon générale, ce modèle fonctionne. Mais qu’en est-il des patients confinés qui ne peuvent se rendre au cabinet de leur médecin? Pour répondre aux besoins des adultes âgés en état de fragilité, il est nécessaire d’adopter un modèle de soins primaires à domicile, c’est-à-dire des soins complets, globaux et continus, axés sur le patient et dispensés par une équipe interdisciplinaire au domicile du patient7,8.
Les données de recherche sont insuffisantes en ce qui a trait à l’incidence des soins primaires à domicile sur les résultats pour le patient, les prestataires de soins et le système de santé. Ces données sont de plus embrouillées par la variation observée dans les éléments du modèle de soins à domicile (p. ex. durée et continuité du service, composition des équipes interdisciplinaires) ainsi que par les divergences quant à la façon de bien définir l’efficacité et l’incidence des soins primaires à domicile (p. ex. évitement des soins de courte durée, expérience du patient, rapport coût-efficacité, satisfaction des aidants naturels). Les travaux de Dhalla et coll. ont démontré que les services de courte durée dispensés à domicile à la sortie du patient de l’hôpital ne permettent pas de réduire efficacement les visites au service d’urgence s’il y a un manque de continuité dans les services fournis9. Cependant, un examen systématique réalisé par Stall et coll. sur les soins continus dispensés à long terme à domicile a permis de mettre en évidence l’amélioration de la qualité de vie des patient, la satisfaction des aidants naturels et la réduction des visites au service d’urgence, des hospitalisations, des réadmissions et des séjours en soins de longue durée7,8. Rosenberg en arrive à des résultats similaires quant aux bénéfices découlant des services mobiles fournis aux Canadiens âgés confinés à domicile10. Sinha appuie également la hausse des visites à domicile comme un modèle qui a clairement démontré qu’il permet « d’assurer l’amélioration de la satisfaction des patients, de la qualité de vie et des résultats pour les patients »4. La pandémie de COVID-19 a amplifié la nécessité de prendre en charge les problèmes de santé des aînés à leur domicile dans la mesure du possible11.
Bien que le modèle de soins primaires à domicile puisse être avantageux tant pour les patients que pour le système12,13, la mise sur pied d’équipes interdisciplinaires offrant ce type de soins n’est pas répandue. Une amélioration des codes de facturation a contribué au climat favorable entourant les visites à domicile en Ontario14, mais cette solution n’a pas été adoptée dans d’autres provinces.
Une analyse de la littérature récente a permis de décrire un petit nombre d’équipes de soins primaires qui s’efforcent de répondre, au moins partiellement, aux besoins non comblés des adultes âgés, fragiles et confinés15. Les médecins de famille ne sont toutefois pas souvent inclus à titre de participants réguliers dans les équipes qui coordonnent et planifient la plupart des soins dispensés aux patients confinés à la maison16.
Dans la présente étude, nous décrivons 5 cabinets canadiens de soins primaires qui visent à desservir les patients confinés grâce à une équipe interprofessionnelle qui fait des visites à domicile. En décrivant ces cabinets, nous cherchons à éclairer le développement futur et la mise en œuvre élargie de services similaires.
Objectif du programme
L’étude repose sur 2 objectifs, soit décrire des cabinets sélectionnés de soins primaires à domicile au Canada et explorer les obstacles et les facilitateurs qui ont permis, à différents niveaux, l’adoption et la viabilité d’un tel modèle de prestation au sein du système de santé public. Le comité d’éthique pour la recherche de l’Université du Manitoba à Winnipeg a fourni l’approbation déontologique aux fins de l’étude.
Description du programme
En nous appuyant sur les travaux de Stall et coll.7, nous avons retenus les critères suivants pour définir un cabinet de soins primaires à domicile : relation de soins primaires longitudinale où les soins sont dispensés à domicile; prise en charge des affections chroniques et des problèmes d’ordre social; équipes interprofessionnelles dirigées par un dispensateur de soins primaires; partenariat avec des services de santé à domicile établis; et pratique dont les objectifs comprennent l’amélioration de l’accès aux soins primaires et la diminution de l’utilisation épisodique des soins de courte durée.
À l’aide de notre réseau professionnel, nous avons identifié 5 cabinets en milieu urbain qui répondaient à ces critères : 1 chacun à Victoria et Vancouver (C.-B.); 1 à Winnipeg (Manitoba); et 2 à Toronto (Ont). Par courriel, nous avons invité ces cabinets à accompagner les chercheurs dans une visite de leur site. Nous avons visité 4 sites en personne et 1 site par vidéoconférence. Ces visites consistaient en un entretien avec le ou les chefs d’équipe, une entrevue en équipe et une observation informelle des éléments de la planification des soins en équipe (lorsque c’était possible). Les entrevues reposaient sur un format semi-structuré comportant des séries de questions à propos de l’historique, du contexte et des facteurs déclencheurs liés à la pratique du cabinet; des objectifs et de la gestion de la performance; des aspects conceptuels du cabinet (dont la population cible, les sources d’aiguillage et la composition de l’équipe); et des obstacles et facilitateurs liés à sa mise en œuvre. Les entrevues d’équipes ont été enregistrées (avec consentement) et transcrites. Enfin, des notes ont été prises pendant l’observation de la planification des soins en équipe. La transcription des entrevues et les notes des chercheurs ont constitué la base du sommaire descriptif et de l’analyse thématique du contenu.
Nos résultats sont présentés sous forme d’un sommaire descriptif des réponses aux 3 premières séries de questions susmentionnées et mettent en lumière les principales similitudes et différences d’un cabinet à l’autre. Pour les questions portant sur les obstacles et les facilitateurs de la mise en œuvre, nous avons réalisé une analyse thématique qualitative du contenu17,18 afin de relever et de décrire les thèmes tant pour obstacles que pour les facilitateurs. Deux chercheuses (A.C., T.S.) ont lu les transcriptions et les notes, en consignant leurs impressions et les thèmes possibles. Les chercheuses (A.C., T.S.) ont chacune attribué des codes, puis se sont rencontrées à plusieurs occasions pour discuter de l’évolution du schéma de codification. Une fois le schéma établi, tout le contenu s’appliquant aux obstacles et aux facilitateurs a pu être extrait et codifié séparément; toute divergence a été résolue par consensus. L’ensemble de l’équipe de recherche a discuté des interprétations à mesure que des thèmes liés aux obstacles et aux facilitateurs émergeaient. Les données ont été organisées selon une matrice de thèmes par cabinet pour faciliter la synthèse de l’examen au sein d’un cabinet (analyse de cas) de même que la comparaison des thèmes entre les cabinets (analyse transversale). Les membres de chaque cabinet ont validé l’interprétation de l’information thématique.
Résultats
Description du cabinet. Nos résultats font ressortir les principales similitudes et différences d’un cabinet à l’autre en ce qui a trait à l’historique, au contexte et aux facteurs déclencheurs; aux objectifs et à la gestion de la performance; ainsi qu’aux aspects conceptuels du cabinet, notamment la population cible, les sources de l’aiguillage et la composition de l’équipe. Le Tableau 1 résume chacun des éléments pour chaque cabinet, ce qui facilite la comparaison entre les cabinets.
Historique, contexte et facteurs déclencheurs : Les visites à domicile pour la prestation de soins primaires sont relativement récentes dans chacun des 5 cabinets et la première génération de prestataires était toujours de service. Les chefs d’équipe ont indiqué que le fait de cerner un besoin communautaire et d’y répondre a mené à la création de l’aspect soins à domicile dans le cadre de leur pratique. Parmi les facteurs déclencheurs, notons la réponse face aux compressions budgétaires dans les évaluations gériatriques; la pénurie anticipée en raison du départ à la retraite d’un médecin communautaire dont la pratique est principalement à domicile; et la volonté de relever les défis découlant des cas complexes à la sortie de l’hôpital. Toutes les équipes ont indiqué que la difficulté pour les patients d’avoir accès aux soins primaires à domicile était la principale source de motivation de leur travail. Dans chaque province, les équipes n’étaient au courant que de 2 ou 3 autres médecins de famille offrant des visites à domicile.
Le niveau de prestation des soins primaires à domicile variait selon le cabinet. Les sites 1, 4, et 5 axaient principalement leur pratique sur les soins primaires à domicile et n’offraient pas de soins en cabinet. Les sites 2 et 3 offraient des soins primaires à domicile, mais dispensaient surtout des services en milieu clinique et hospitalier. C’est pourquoi les sites 2 et 3 comptaient des groupes de patients à domicile significativement plus petits. De plus, les sites 2 et 3 avaient une vocation d’enseignement à temps plein pour les résidents en médecine familiale.
Objectifs et mesures des résultats : La mesure de la qualité et de l’efficacité variait selon le cabinet. Les taux de visites au service d’urgence, les taux d’admission à l’hôpital et la durée des séjours à l’hôpital ont pu être mesurés pour 4 des 5 cabinets. Les taux ont été comparés avant la mise en œuvre de la pratique (généralement de 6 mois à 1 an) par rapport à une même période suivant la mise en œuvre. Les autres indicateurs comprennent le taux de réadmission à l’hôpital (1 équipe sur 5), le stress de l’aidant (1 équipe sur 5), les décès à domicile (1 équipe sur 5), l’état fonctionnel du patient (1 équipe sur 5) et l’état de santé autodéclaré du patient (1 équipe sur 5).
La capacité à mesurer les résultats variait d’un cabinet à l’autre. L’un des cabinets employait un adjoint à la recherche qui fournissait un soutien continu et la plupart des autres équipes ont décrit le processus continu de la collecte des données comme un défi de taille. La mesure des résultats était perçue comme une priorité au cours des premiers stades de la mise en place des équipes. Elle a toutefois été mise de côté lorsque les équipes étaient opérationnelles.
Éléments conceptuels : Les cabinets présentaient des différences en ce qui a trait à la population de patients desservie, aux sources de l’aiguillage et à la composition de l’équipe.
En ce qui concerne la population cible, 3 cabinets ont établi un âge minimum et l’état de confinement comme critère d’admissibilité aux services; et 2 cabinets visaient spécifiquement les grands utilisateurs des services hospitaliers. Chaque cabinet a établi des limites géographiques précises, soit l’ensemble de la municipalité ou une portion de celle-ci.
Les sources de l’aiguillage variaient également, mais les demandes provenant d’organismes de services à domicile et d’hôpitaux locaux constituaient un point commun. L’un des cabinets acceptait l’auto-aiguillage. L’aiguillage provenant d’autres fournisseurs de soins primaires en milieu communautaire n’était pas courant à l’échelle des équipes.
Une disparité significative a été observée au sein des équipes quant à la taille et à la composition des équipes (voir le Tableau 2). Des médecins et des infirmières faisaient partie de chaque équipe. Quatre des 5 équipes comptaient des infirmières praticiennes; leur travail était décrit dans des termes cliniques semblables au travail des médecins. Le temps consacré par les médecins à l’aspect clinique variait d’un cabinet à l’autre, mais ils assumaient invariablement le rôle de chef d’équipe et avaient pris part à la mise sur pied de l’équipe, à l’obtention du financement et au leadership. Certains rôles uniques ont aussi été énumérés : ludothérapeute, auxiliaire médical, conseiller en santé mentale, coordonnateur à la recherche et travailleur polyvalent (lequel effectue diverses tâches comme les visites de contrôle, l’épicerie et le transport du patient).
Tous les cabinets ont mentionné avoir des partenariats avec d’autres programmes, plus particulièrement les programmes régionaux de soins à domicile. L’importance du partenariat variait : 2 des cabinets comptaient des membres du personnel de soins à domicile dans son équipe. La plupart du temps, les partenariats avec les programmes de services de santé à domicile ont donné lieu à l’aiguillage, à la collaboration pour les plans de soins, à des visites à domicile conjointes et à la consultation relativement aux cas. D’autres partenariats énumérés comprennent des programmes de santé mentale, des services d’aide au revenu, des foyers de soins de longue durée et des hôpitaux locaux.
Obstacles et facilitateurs liés à la mise en œuvre. Obstacles : L’analyse du contenu a permis de cerner 13 obstacles (voir le Tableau 3). Les 2 principaux obstacles relevés par l’ensemble des cabinets étaient l’aspect géographique et le leadership. Au chapitre de la géographie, les équipes ont signalé l’incidence négative sur l’organisation du travail et la productivité des longs déplacements pour se rendre à certains domiciles. De plus, les limites géographiques (parfois arbitraires) restreignaient l’admission au service, créant ainsi une iniquité en matière d’accès.
Les équipes ont souvent mentionné le contexte de leadership externe comme une entrave lorsqu’il était question de discuter du soutien pour leur travail au sein du système de santé. Les équipes ont évoqué le haut niveau de supervision, parfois décrite comme de la bureaucratie, affirmant que cette surveillance avait nui à l’engagement du médecin et au fonctionnement de l’équipe. Par exemple, les réunions d’équipe étaient jugées à l’interne comme l’occasion de discuter et de collaborer entre professionnels de différents secteurs, mais l’administration (leadership externe) estimait plutôt que ces réunions nécessitent beaucoup de ressources et remettait en question son efficience (rapport coût-rendement) :
Nous estimons les réunions d’équipe utiles à plusieurs égards, car elles permettent aux membres de se concerter, mais nous les espaçons maintenant. Nous ne nous réunissons que deux fois, voire qu’une fois par mois, parce qu’on nous demande de réduire les réunions. (Site 3)
Quatre des 5 équipes ont signalé la présence d’une tension entre les politiques en vigueur et la nécessité de fournir des soins à domicile personnalisés. Plus particulièrement, lorsque les équipes ont cerné les besoins complexes de leurs patients, ils ont jugé nécessaire d’adapter leur approche afin de répondre à ces besoins. Cette prestation flexible et axée sur le patient ne cadrait pas avec les politiques en place qui, de manière générale, tendaient à favoriser une prestation plus uniforme des services. Cette divergence constituait un élément de frustration chez les prestataires de soins.
Facilitateurs : L’analyse du contenu a permis de cerner 11 facteurs favorisant le modèle de soins, décrits comme essentiels à la réussite et à la viabilité de la pratique (voir le Tableau 3). Parmi ces 11 facteurs, 4 facilitateurs ont été jugés critiques par les 5 équipes, soit le leadership médical au sein de l’équipe; le partenariat avec d’autres organismes, les outils et processus qui favorisent la communication entre les membres de l’équipe, et l’établissement d’une relation entre le dispensateur et le patient.
Le leadership médical a été présenté par l’ensemble des équipes, à 3 différents niveaux, comme un élément intégral tant à la mise en œuvre initiale du programme qu’à son maintien à long terme. Selon les équipes, le rôle des médecins à l’échelle du système est l’élément central non seulement pour le lancement des services de chaque site, mais aussi pour mobiliser les différents membres de l’équipe et établir des liens entre les programmes (c.-à-d. des services hospitaliers aux soins communautaires et des soins primaires aux soins à domicile). Par exemple :
Nous voulions offrir le même niveau de service, c’est pourquoi j’ai insisté pour que l’hôpital offre des services équivalents et j’ai obtenu le financement pour l’auxiliaire médical affecté au programme. Je leur ai ensuite dit de faire de même avec un auxiliaire médical ou une infirmière chevronnée. (Site 3)
Les médecins continuaient de fournir un leadership d’ordre administratif au quotidien (p. ex. présider les réunions d’équipe). Outre la prestation de services cliniques, les médecins fournissaient un leadership clinique et épaulaient les membres de l’équipe dans leur travail :
Je suis auxiliaire médical et ce programme compte actuellement 4 médecins. Je visite le patient à domicile et, si j’ai besoin d’aide, j’appelle les médecins ou je leur envoie un message s’ils sont occupés. Ils sont tous les 4 très rapides à répondre à mes messages et à prendre mes appels. (Site 3)
Bien que 4 sites étaient dotés d’infirmières praticiennes et que l’un des sites comptait un auxiliaire médical, les médecins demeuraient les dispensateurs principaux pour l’ensemble ou la majeure partie des patients de chaque site.
L’intégration au sein du système de santé élargi s’est effectuée progressivement — d’une équipe autonome à une équipe dont les activités sont directement interreliées aux hôpitaux locaux. En plus des hôpitaux et des services de soins de courte durée, les équipes travaillaient de pair avec des programmes de soins à domicile, des services d’aide au logement, des services de soins en toxicomanie et des programmes de soins palliatifs.
Les outils et les processus à l’appui de la communication ont également été mentionnés par l’ensemble des équipes comme un élément important et comprenaient les réunions régulières, les appels téléphoniques entre les membres de l’équipe, l’échange de courriels ou de messages texte, et la documentation communiquée au moyen d’un dossier partagé.
Enfin, toutes les équipes ont fait état de l’importance d’établir une relation prestataire-patient. Une approche qui tient compte des traumatismes a été décrite comme cruciale au travail effectué auprès des patients confinés; il a été mentionné que, sans l’établissement de liens de confiance, il ne serait pas possible de fournir des soins de grande qualité à cette population de patients.
Parmi les facilitateurs, 2 ont été relevés par 4 équipes : la camaraderie au sein de l’équipe et les solutions créatives en matière de financement. Les équipes ont indiqué que les bonnes relations entre les membres de l’équipe étaient essentielles à la prestation des soins aux patients selon ce modèle et qu’il était impératif de vouer du temps à la consultation en équipe. Les solutions créatives en matière de financement étaient dépeintes comme nécessaires pour ces modèles de prestation de soins primaires à domicile. Aux sites 1 et 4, les médecins étaient rémunérés à l’acte. Aux sites 2 et 3, la rémunération des médecins reposait sur des contrats à taux horaire. Les visites à domicile ne représentaient qu’une portion de leur pratique. Au site 5, la rémunération de certains médecins reposait sur le paiement à l’acte, alors que d’autres avaient des contrats à taux horaire. Le financement pour les professionnels autres que les médecins était lui aussi diversifié :
Trois organismes communautaires ont fourni des ressources humaines — infirmière, ergothérapeute, travailleur social — pour travailler 2 jours par semaine. (Site 5)
Au site 1, les services autres que médicaux constituaient des frais assumés directement par les patients. Aux sites 2 et 4, la rémunération du personnel non médical était financée par un programme gouvernemental de leur province. Aux sites 3 et 5, les équipes se sont progressivement établies à partir de fonds accordés par différents partenaires communautaires. Au moment de l’étude, la majorité du financement de chaque équipe avait été fourni par des programmes gouvernementaux, mais certaines contributions provenaient d’organismes provinciaux de soins communautaires et de soins à domicile. Chaque site a indiqué que la volonté de former l’équipe était celle de ses membres et que le leadership des médecins faisait partie intégrante de ce cheminement.
Discussion
La présente étude se penche sur 5 cabinets novateurs dans la prestation des soins primaires en milieu urbain au Canada. Ces cabinets dispensent des soins primaires globaux à domicile au moyen d’équipes interprofessionnelles. Nos constatations suggèrent qu’au pays, les soins primaires visant les patients confinés à la maison ne bénéficient pas d’un grand soutien du système de santé, ce qui rend difficile de mener à bien la mise en œuvre, d’évaluer efficacement et de maintenir les modèles de soins destinés aux patients confinés. La motivation personnelle du médecin semble être un élément clé de la mise en place et du maintien de ce type de modèles.
Un message uniforme s’est dégagé de l’ensemble des 5 cabinets, à savoir que même si les équipes visent à répondre aux besoins uniques de chaque patient, le travail est souvent effectué dans un contexte plus large où les politiques en cours ne cadrent pas totalement avec les soins axés sur le patient. La prestation des soins primaires à domicile nécessite un investissement majeur en fait de structure d’équipes et de processus ainsi que le soutien pour la résolution créative des problèmes et l’établissement de partenariats à l’échelle des secteurs. La nature intense du travail exige des groupes de patients restreints et la priorisation de la relation prestataire-patient. L’établissement d’une relation et de la confiance est non seulement essentiel à la prestation des soins au patient, mais aussi à la dynamique de l’équipe. Il faut par conséquent allouer du temps pour tenir compte de cet aspect dans les modèles de soins primaires à domicile. En outre, il importe d’établir des modèles de financement viables pour la rémunération tant des médecins que des autres membres de l’équipe de soins ainsi que de fournir des outils à l’appui de la communication entre les membres de l’équipe.
Malgré le fait que des thèmes se recoupent à l’échelle des cabinets, il n’y a de toute évidence aucun modèle universel pour la prestation des soins qui répondent aux besoins des patients confinés. L’étude descriptive constituait la première étape permettant de relever les éléments conceptuels des cabinets de soins à domicile au Canada. Il importe de mentionner que les soins primaires à domicile sont dispensés selon différents modèles de soins en milieu urbain. Les équipes à l’étude avaient recours à différents modèles de financement, elles intégraient des pratiques d’enseignement ou étaient sans vocation d’enseignement, certaines concentraient leur pratique sur les soins à domicile seulement alors que d’autres incluaient ces soins à une pratique plus élargie.
Il faut souligner que les équipes interviewées dans le cadre de ce projet ont été retenues parmi un réseau académique connu d’équipes en milieu urbain et qu’on ne peut donc pas généraliser les constatations à l’ensemble de la pratique. Le fait qu’un médecin engagé à l’échelle nationale était à la tête de chacune des équipes constituait un facteur favorisant le modèle de soins. Nous n’avons toutefois pas d’information suffisante sur les autres provinces et territoires qui ne sont pas dotés d’un leadership médical similaire, et il peut donc s’avérer difficile de reproduire ces résultats dans ces autorités compétentes. De plus, comme nos données proviennent des équipes choisies, notre analyse n’a pu bénéficier de l’information complémentaire que nous aurions certainement obtenue en consultant des administrateurs du système, des équipes œuvrant en milieu rural, des patients et aidants naturels.
Conclusion
À l’instar de la population qu’ils desservent, les modèles de soins primaires destinés aux patients confinés à la maison ne sont souvent pas une priorité dans le système de santé. Il est essentiel pour la viabilité à long terme de notre système de santé d’adapter les modèles de soins qui soutiennent les patients dans la communauté; de même, des équipes interprofessionnelles sont requises afin que des soins globaux soient disponibles pour ces patients et leurs aidants naturels à leur domicile. La prospérité de ces nouveaux modèles de soins repose sur la participation des médecins et d’autres professionnels de la santé dans le développement et la viabilité des modèles. La réussite dépendra également de la présence du leadership à l’appui des éléments cliniques et non cliniques du travail et d’une volonté de faciliter la rémunération adéquate et de favoriser l’adaptabilité nécessaire à la prestation de soins appropriés axés sur le patient. Les prochains travaux réalisés dans ce domaine devront venir appuyer l’élaboration de politiques visant à assurer l’établissement de partenariats et la collaboration entre les secteurs pour prioriser les soins dispensés aux patients confinés qui requièrent des soins complexes et à leurs aidants naturels.
Notes
Points de repère du rédacteur
▸ Au fil du vieillissement de la population canadienne, on s’attend à ce que la demande pour des soins dispensés dans la collectivité et à domicile augmente. La mise en œuvre élargie de ces types de soins connait toutefois des obstacles importants.
▸ Un examen de 5 cabinets de soins primaires dispensant des soins aux patients confinés à domicile au Canada a permis de relever les obstacles courants à l’adoption et à la viabilité de ces modèles de soins au sein du système de santé public. Ces obstacles comprennent les caractéristiques géographiques, une forte surveillance administrative et des politiques rigides. Les principaux facilitateurs relevés sont notamment le leadership médical au sein de l’équipe, les partenariats avec d’autres organismes, les outils et processus favorisant la communication entre les membres de l’équipe et l’établissement de relations entre fournisseurs et patients.
▸ La prestation de soins primaires à domicile nécessite un investissement majeur en fait de structure d’équipes et de processus ainsi que la reconnaissance de la résolution de problème novatrice. La nature intense du travail exige des groupes de patients restreints et la mise de l’avant de la relation dispensateur-patient. Des modèles de financement viables et des outils qui favorisent la communication entre les membres de l’équipe sont essentiels pour appuyer ces services et étendre la prestation des soins à domicile.
Footnotes
Collaborateurs
Les Drs Amanda Condon et Paul Sawchuk ont mené 4 interviews et la Dre Tara Stewart a mené le cinquième. Les Drs Condon et Stewart ont réalisé l’analyse thématique du contenu. Les trois auteurs ont participé à la préparation du manuscrit.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the November 2022 issue on page 829.
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