La pandémie de la COVID-19 a exposé les faiblesses dans notre système de santé. Nous devons à nos patients de réfléchir à ce que nous avons appris pour déterminer ce qu’il faut faire dorénavant.
Les taux de dépistage du cancer ont considérablement baissé durant la pandémie1. Nos réflexions sur les retards dans le dépistage doivent tenter de répondre aux questions suivantes : dans quelle mesure est-ce un problème et comment devrions-nous l’aborder?
« Le plus tôt possible » est certainement une réponse attrayante, et il peut sembler paradoxal de penser autrement. Cependant, pour que ce soit la bonne réponse, nous avons besoin d’un dépistage efficace. En tant que médecins, nous savons que même si nous avons les moyens de dépister un problème, cela ne veut pas nécessairement dire que le dépistage fait plus de bien que de tort.
Utiliser les données probantes pour guider la décision
Même s’il a été démontré qu’un certain type de dépistage peut être bénéfique, nous devons rechercher des renseignements sur l’ampleur de ces bienfaits afin de mieux communiquer cette information aux patients. Il a été prouvé maintes fois que tant les patients que les médecins ont tendance à penser que les bienfaits sont plus nombreux et les préjudices moins fréquents qu’ils le sont en réalité2,3.
Le dépistage est une option, et non pas une obligation. Les personnes peuvent décider de choisir de se faire dépister ou non lorsqu’elles connaissent les données au sujet des bienfaits et des préjudices potentiels. Elles obtiennent habituellement cette information par une prise de décision partagée avec un professionnel de la santé. La décision d’aller de l’avant avec un dépistage ne devrait pas être considérée comme l’unique choix acceptable.
Si les taux plus faibles de dépistage que nous observons maintenant étaient tributaires de patients mieux informés, cette situation serait acceptable. Malheureusement, ces taux plus bas sont fort probablement le résultat des problèmes d’accès aux soins ou de l’hésitation des patients à accéder aux soins, surtout durant les premières vagues de la pandémie4. Quoi qu’il en soit, notre objectif devrait être de mieux informer les patients, plutôt que de simplement essayer de rattraper les retards dans les interventions de dépistage.
Même s’il n’a jamais été démontré que le dépistage réduisait la mortalité totale5, le nombre de décès par cancer évités varie d’environ 1 personne sur 1000 dépistées (femmes de 50 à 59 ans dépistées pour le cancer du sein sur une période de 7 ans)6 à environ 3 personnes sur 1000 (dépistage du cancer du poumon pendant une décennie)7. L’ampleur des préjudices varie selon le type de dépistage, mais les faux positifs et le surdiagnostic sont toujours présents.
Les fortes recommandations fortes en faveur du dépistage du cancer émises par le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs sont peu nombreuses et se limitent au dépistage du cancer du côlon et du col dans des groupes d’âge précis8,9. Lorsque le dépistage est recommandé de façon conditionnelle, c’est souvent parce que les bienfaits et les préjudices sont à peu près équivalents et qu’il est donc essentiel de prendre une décision conjointement avec le patient. Ce type de recommandation est de plus en plus étayé par des revues de la littérature scientifique sur les valeurs et les préférences des patients, et non seulement par des opinions de groupes d’experts.
Pour procéder à une véritable prise de décision partagée, nous devons reconnaître qu’il y a une décision à prendre, communiquer le pour et le contre de chaque option et soutenir les patients dans leurs décisions10. Cependant, les programmes de dépistage existants ne sont pas conçus dans cette optique. Parmi les façons judicieuses d’aborder les retards dans le dépistage, mentionnons le recours à des outils d’aide à la décision fiables dans nos trajectoires de dépistage et nos conversations avec les patients. Nous devons renoncer à compter le nombre de dépistages effectués et nous concentrer sur ce qui importe vraiment11. Le fait de faire passer un test de dépistage à un patient s’il n’a pas été informé de manière appropriée de ses bienfaits et préjudices potentiels, ou en l’absence de données probantes de grande qualité en faveur de ce dépistage, représente en réalité un dépistage excessif.
Résister au dépistage excessif
Il faut aussi prendre en considération les situations où les personnes passent un test de dépistage du cancer même s’il est improbable qu’elles en bénéficient, comme celles qui ne font pas partie des groupes d’âge pour lesquels le dépistage est recommandé. Dans les groupes d’âge plus jeunes, les bienfaits sont improbables et, chez les plus âgés, les risques de préjudices augmentent. Pour bénéficier du dépistage, il faut une espérance de vie d’au moins 5 à 10 ans, selon le cancer à dépister. C’est pourquoi il faut discuter des objectifs de vie avec les patients des groupes plus âgés lors des conversations sur le dépistage12.
Une revue réalisée par Royce et ses collègues en 2014 a fait valoir qu’entre 30 et 50 % des personnes ayant des taux de mortalité estimés élevés passaient encore des tests de dépistage, même pour des cancers pour lesquels le dépistage n’est pas recommandé, comme le cancer de la prostate13. Il est déplorable de constater qu’au Canada, cette tendance au dépistage excessif semble continuer14 et, si nous ne sommes pas vigilants, elle persistera probablement.
Nous devons saisir cette occasion et ne pas considérer les dépistages en retard comme étant un problème dont la seule solution est d’en faire un plus grand nombre. Si nous comprenons vraiment comment fonctionne le dépistage, nous savons que même si un test est réalisé un peu plus tard, il n’aura pas d’impacts désastreux15. Ce qui est plus difficile à comprendre, c’est que lorsque le nombre de diagnostics baisse, cette tendance représente aussi, en partie, des préjudices moins nombreux, parce qu’il se produit moins de surdiagnostics. L’utilisation de statistiques trompeuses par les médias, et parfois par la communauté scientifique, gonfle les bienfaits perçus du dépistage16, ce qui peut exercer sur nous une pression indue dans notre approche des soins.
Différentes sources ont signalé un plus grand nombre de cas de cancers avancés durant la pandémie; malheureusement, ces cas concernent probablement des personnes symptomatiques qui ont choisi de ne pas consulter leur médecin ou n’ont pas pu avoir accès en temps opportun à des tests diagnostiques en raison des perturbations dans les soins dues à la pandémie de la COVID-1917. Il faudrait un plus grand laps de temps pour pouvoir observer un tel impact sur la population qui soit attribuable à une réduction des dépistages.
La plupart des interventions dans la pratique médicale engendrent des améliorations cliniques allant de faibles à modestes, y compris le dépistage du cancer18. Par conséquent, il ne faudrait pas accorder la priorité au dépistage au détriment des soins aux patients symptomatiques ou à ceux dont la maladie est instable. En outre, lorsque nous nous attaquons aux retards dans le dépistage, nous devrions probablement commencer par les dépistages qui réduisent l’incidence du cancer, comme le dépistage du cancer du côlon et du col, et limiter le dépistage aux tests et aux interventions dont l’efficacité a été démontrée. Cette approche pourrait atténuer certaines des pressions exercées sur les médecins de famille durant cette période sans précédent.
L’objectif serait de communiquer aux patients les meilleures données que nous ayons de manière à ce qu’ils puissent les comprendre. Pour ce faire, il faut adopter le principe de la prise de décision partagée, comme le préconisent de nombreuses recommandations en matière de dépistage. Reprendre les activités de dépistages comme elles étaient souvent effectuées avant la pandémie de la COVID-19 et les considérer comme la seule option raisonnable sont des erreurs que nous devrions éviter19.
Conclusion
Le fait que les personnes à risque élevé n’aient pas eu accès à des soins appropriés est évidemment préoccupant, mais la baisse du nombre de dépistages chez les personnes à risque moyen pourrait ne pas représenter d’aussi mauvaises nouvelles que les rapports médiatiques l’ont initialement laissé entendre. La prise de décision partagée pourrait réduire les dépistages peu utiles chez les patients pour qui les préjudices sont supérieurs aux bienfaits, que ce soit en raison de leur état de santé ou de leurs valeurs et préférences personnelles. Nous devons faciliter les choix éclairés et respecter les décisions individuelles.
Les retards actuels dans le dépistage représentent une occasion d’établir des priorités plus claires dans notre système de santé. Nous devons accorder la priorité aux patients symptomatiques et aux maladies chroniques instables. Nous devons aussi encourager l’intégration de la prise de décision partagée dans nos pratiques et, idéalement, dans les programmes de dépistage eux-mêmes. Pour y arriver, nous avons besoin d’une approche différente.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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