Les médecins de famille voient souvent des patients atteints de delirium, surtout au service d’urgence, à l’hôpital et dans les établissements de soins de longue durée. La fragilité est un important facteur de prédisposition au delirium1 et, compte tenu de la progression du vieillissement de la population, le fardeau du delirium pour les soins de santé continuera d’augmenter et exigera une approche coordonnée à tous les échelons du système, y compris au niveau de chaque clinicien. Le delirium est potentiellement réversible; il nécessite une évaluation urgente en raison de ses conséquences défavorables graves comme la mortalité, la détresse du patient et des aidants, le risque de démence et l’institutionnalisation2,3.
Le référentiel DIMS-PLUS5
L’acronyme mnémotechnique DIMS, qui est formé des premières lettres de drogues, infection, métabolisme, structures et systèmes, est communément utilisé pour faciliter l’évaluation des déclencheurs du delirium. Bien que ce soit un outil concis, le référentiel DIMS ne couvre que les déclencheurs les plus évidents. Le delirium est souvent multifactoriel et fait intervenir une interaction complexe de prédispositions et de facteurs de déclenchement2,3. Par conséquent, pour prévenir, cerner et traiter tous les éléments provocateurs, nous proposons d’élargir le DIMS pour y inclure la douleur (pain), les liquides et les solides, l’urine et les intestins, et les 5 mots en « s », soit sens, sommeil, situation, stase et stress, pour en faire le référentiel DIMS-PLUS5 (Tableau 1).
Aperçu du référentiel DIMS-PLUS5
L’évaluation d’un patient atteint de delirium commence par une anamnèse rigoureuse (y compris les antécédents collatéraux et une revue du dossier) et un examen physique. Il est extrêmement important de passer en revue le bilan des médicaments et de vérifier les changements récents, l’adhésion, et l’utilisation ou la consommation abusive d’alcool, de substances ou de produits en vente libre. L’ajout de PLUS5 au DIMS assure qu’une évaluation exhaustive est effectuée et que l’attention porte à la fois sur le patient et sur les facteurs environnementaux. En outre, les personnes frêles peuvent développer un delirium à la suite de changements apparemment anodins qui sont souvent multifactoriels; la prise en compte des facteurs PLUS5 peut aider à dépister ces changements subtils, mais déclencheurs. Le recours à une approche d’évaluation structurée est bénéfique, parce que les maladies peuvent se manifester de manière atypique chez les personnes plus âgées, en particulier celles qui sont fragiles et ne présentent pas les signes, les symptômes et les résultats habituels3,4.
Ce référentiel aide aussi à décider des investigations appropriées, en tenant compte de l’évaluation clinique et des objectifs de soins du patient. L’Encadré 1 présente les tests indiqués chez la plupart des patients atteints de delirium, conformément aux lignes directrices nationales3.
Tests indiqués chez les patients atteints de delirium selon les lignes directrices nationales
Les tests suivants sont indiqués chez la plupart des patients3 :
hémogramme complet
profil métabolique complet (p. ex. analyses sanguines pour mesurer les taux d’albumine, d’azote uréique, de calcium, de créatinine, d’électrolytes, de glucose, d’enzymes hépatiques [y compris des tests de la fonction hépatique], de magnésium et de phosphate)
dosage de la thyrotropine
analyse des gaz du sang
hémoculture
analyse d’urine
radiographie thoracique
électrocardiogramme
Selon le scénario clinique, d’autres tests pourraient être justifiés (p. ex. neuro-imagerie, taux sanguin de médicaments, toxicologie, troponine, électroencéphalogramme, ponction lombaire et autres tests pertinents). Le U dans PLUS5 (urine et intestins) rappelle au clinicien d’envisager l’inclusion de la mesure de l’urine résiduelle post-miction et des rayons X abdominaux pour évaluer la rétention urinaire et la constipation. La mesure des déficiences en micronutriments, en particulier les carences en vitamine B12, est aussi avisée, comme le mettent en évidence « les liquides et les solides ». Une encéphalopathie de Wernicke (causée par une carence en thiamine) devrait être envisagée chez un patient atteint de delirium et en état de malnutrition, parce qu’elle se présente souvent en l’absence de toutes les caractéristiques habituelles et qu’elle se traite facilement5.
Les cliniciens savent bien reconnaître et prendre en charge les déclencheurs du delirium; par ailleurs, l’acronyme PLUS5 peut les aider à orienter le traitement et la prévention du delirium en faisant en sorte que tous les facteurs provocateurs soient pris en compte. Les lignes directrices nationales sur le delirium de la Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées (publiées initialement en 2006 et actualisées en 2014) sont résumées dans ce référentiel3,6. Elles recommandent les interventions suivantes : le contrôle de la douleur, idéalement selon les schémas posologiques réguliers les plus sécuritaires et accessibles (possibilité de douleur); l’hydratation et l’alimentation par voie orale pour assurer un apport suffisant en nutriments, et la possibilité d’ajouter des multivitamines ou des suppléments de thiamine chaque jour (liquides et solides); la régularisation des habitudes intestinales et urinaires, préférablement au moyen d’une sonde urinaire intermittente s’il s’agit d’une rétention urinaire (urine et intestins); la correction des déficiences visuelles, auditives et en communication en ayant recours à des lunettes, à des appareils auditifs et à des interprètes, au besoin (sens); l’amélioration des habitudes de sommeil, en mettant l’accent sur des mesures non pharmacologiques et sur la diminution des perturbations nocturnes (sommeil); l’utilisation de stratégies de réorientation, comme en évitant les changements de milieu inutiles, en prévoyant une chambre fenestrée et calme, et en encourageant la présence de la famille et les objets familiers (situation); l’appui à l’activité physique et l’évitement de mesures de contention (stase); et l’adoption de protocoles de désescalade et des stratégies de gestion du comportement (stress)3,6. Il a été démontré que les programmes inspirés par ces principes d’optimisation, comme le Hospital Elder Life Program, sont efficaces pour prévenir le delirium2,3.
Conclusion
Le delirium est un problème commun et sérieux, causé par de multiples prédispositions et facteurs déclencheurs; il nécessite une approche structurée et exhaustive. Le référentiel DIMS-PLUS5 proposé pourrait aider les médecins de famille à optimiser l’évaluation, la prise en charge et la prévention du delirium d’une manière pratique et cliniquement sensée. En outre, il aide à souligner l’importance des soins multidisciplinaires en dégageant des rôles précis pour nos collègues des sciences infirmières, de la pharmacologie, de la physiothérapie, de l’ergothérapie, de la diététique et de l’orthophonie, entre autres.
Notes
Nous encourageons les lecteurs à nous faire connaître certaines de leurs expériences vécues dans la pratique : ces trucs simples qui permettent de résoudre des situations cliniques difficiles. Vous pouvez proposer en ligne des articles dans Praxis à http://mc.manuscriptcentral.com/cfp ou par l’intermédiaire du site web du MFC à https://www.cfp.ca sous « Authors and Reviewers ».
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, allez à https://www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro+.
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the December 2022 issue on page 897.
- Copyright © 2022 the College of Family Physicians of Canada