Abstract
Question Plusieurs parents m’ont récemment demandé si l’ocytocine serait utile pour traiter leur enfant atteint du trouble du spectre de l’autisme (TSA). Que savons-nous sur l’ocytocine pour le traitement des enfants atteints du TSA?
Réponse Le trouble du spectre de l’autisme est fréquent chez les enfants canadiens, et la plupart des enfants atteints éprouvent des difficultés à fonctionner socialement. Les interventions comportementales et éducatives sont les traitements de première intention pour les enfants atteints du TSA. De nombreuses études menées depuis 20 ans sur l’ocytocine chez les enfants atteints du TSA ont donné des résultats équivoques en matière de fonctionnement social, et une récente étude d’envergure n’a pas montré que le traitement par l’ocytocine était bénéfique. Certaines de ces disparités pourraient s’expliquer par la taille réduite des échantillons et les différences d’âge entre les participants, la préparation et la dose d’ocytocine, la durée du traitement, les paramètres d’évaluation et les méthodes analytiques. Le fait que le tableau clinique du TSA soit si vaste contribue également aux résultats mitigés. L’utilisation de l’ocytocine a des bienfaits limités sur la modification du fonctionnement social chez les enfants atteints de TSA, et rien n’appuie son emploi courant pour le traitement de cette population.
Le trouble du spectre de l’autisme (TSA) est un trouble du développement qui consiste en déficits dans les communications et les interactions sociales, jumelés à des comportements, des intérêts et des activités restreints et répétitifs1. Au Canada, les deux tiers des enfants sont âgés de 3 à 8 ans lorsqu’ils reçoivent un diagnostic de TSA2. Selon un rapport du Système national de surveillance des troubles du spectre autistique, qui incluait les données de 40 % de tous les enfants et des jeunes canadiens de 5 à 17 ans, la prévalence nationale de TSA en 2015 était de 1 enfant ou un jeune sur 66, avec un rapport garçon : fille de 4 : 12.
Ocytocine
L’ocytocine, un neuropeptide produit dans l’hypothalamus et libéré par l’hypophyse postérieure, intervient dans la stimulation des contractions utérines, dans l’accroissement de la production locale de prostaglandines, dans la contraction des cellules myoépithéliales du sein3 et dans la régulation du comportement social de tous les vertébrés4. Sa demi-vie plasmatique est de 5 à 12 minutes3. Au Canada, l’ocytocine synthétique est homologuée pour utilisation par voie intraveineuse pour induire le travail, en adjuvant pour la prise en charge des avortements incomplets ou inévitables, et pour juguler les saignements ou les hémorragies du post-partum3. L’ocytocine intranasale est également utilisée hors indication pour le traitement de plusieurs troubles neuropsychiatriques caractérisés par un déficit du domaine social, y compris le TSA4. En l’absence d’un traitement curatif, les interventions contre le TSA se limitent au traitement des symptômes. Plusieurs études menées chez les animaux ont montré que l’ocytocine réduit la réponse au stress tout en augmentant l’approche sociale, la reconnaissance sociale et la mémoire sociale5. Les études menées après de sujets neurotypiques (non autistes) ont montré que l’ocytocine intranasale crée un biais attentionnel qui privilégie les expressions heureuses aux expressions colériques6, et augmente l’évaluation de la fiabilité et de l’attrait des visages humains7. Une autre petite étude menée aux États-Unis auprès de participants neurotypiques a révélé que dans le groupe ocytocine, 80 % des sujets étaient plus généreux envers autrui que les sujets du groupe placebo, mesuré par une décision aveugle et unique de partager une somme d’argent avec un étranger (p = 0,005, N = 68)8.
Ocytocine chez les adultes atteints de TSA
La première étude ayant porté sur l’efficacité de l’ocytocine pour améliorer le comportement associé au TSA, publiée en 2003, a rapporté que les comportements répétitifs étaient significativement réduits entre le point de départ et 240 minutes après la perfusion chez 87 % des sujets sous ocytocine par voie intraveineuse, comparativement à 40 % des sujets sous placebo (p = 0,027)9.
Une étude avec répartition aléatoire et contrôlée menée au Japon a rapporté que le rendement des participants aux mesures de cognition sociale (mesurées par une tâche où les participants devaient juger de l’intention d’autrui en fonction d’un contenu sociocommunicatif où l’information verbale et la non verbale entraient en conflit) s’était amélioré après une dose intranasale unique d’ocytocine par rapport au placebo chez 32 hommes atteints de TSA (t32 = 2,2; p = 0,03, d de Cohen = 0,55)10. Des données d’imagerie par résonance magnétique (IRM) fonctionnelle ont également montré une intensification de l’activité dans le cortex préfrontal dorsomédian (t32 = 5,8; p < 0,001) et le cortex cingulaire antérieur (t32 = 3,6; p < 0,001) durant des tâches non verbales suivant l’administration d’ocytocine intranasale à des personnes atteintes de TSA10.
Une étude sur l’emploi biquotidien d’ocytocine intranasale pendant 6 semaines a également montré une amélioration significative de la cognition sociale (au test RMET [Reading the Mind in the Eyes Test], p = 0,002; d de Cohen = 1,2) chez 19 adultes (84 % de sexe masculin) atteints de TSA11. Cette étude n’a toutefois pas montré d’amélioration significative de la réponse sociale (à l’échelle SRS [Social Responsiveness Scale]) ni du comportement répétitif (à l’échelle Repetitive Behavior Scale) sous l’ocytocine par rapport au placebo11.
Ocytocine chez les enfants atteints de TSA
À la fin des années 1990, une étude menée auprès de 29 garçons de 6 à 11 ans atteints de TSA et de 30 témoins appariés a montré que le taux plasmatique d’ocytocine était inférieur chez les garçons du groupe TSA comparativement à celui des autres garçons (t58 = 3,00; p < 0,004)12. Toutefois, une méta-analyse de 7 études transversales totalisant 269 enfants atteints de TSA et 287 témoins appariés exempts de TSA, publiée en 2016, n’a fait ressortir aucune donnée selon laquelle le taux périphérique d’ocytocine serait abaissé chez les enfants atteints de TSA13. Une étude australienne avec répartition aléatoire, contrôlée et croisée, menée auprès de 16 garçons de 12 à 19 ans atteints de TSA, a montré une amélioration de la reconnaissance des émotions (amélioration du score au test RMET) chez 60 % des sujets (t14 = 2,43; p = 0,03) après une dose unique d’ocytocine intranasale comparativement à la reconnaissance après qu’ils eurent reçu un placebo14. Une étude semblable auprès de 17 enfants (82 % de sexe masculin) de 8 à 16 ans atteints de TSA ayant eu recours à un test RMET modifié n’a rapporté aucune amélioration après que les sujets eurent reçu une dose unique semblable d’ocytocine intranasale par rapport au placebo15. Les données d’IRM fonctionnelle ont montré que l’ocytocine stimulait l’activité dans les régions du cerveau associées aux récompenses (le striatum dorsal et ventral, y compris le noyau accumbens; t16 = 4,817; p = 0,0001) et dans les régions associées à la détection, au décodage des états mentaux et au raisonnement connexe (cortex préfrontal médian; t16 = 4,208; p = 0,0006)15.
Les études portant sur l’ocytocine intranasale à doses multiples ont également donné des résultats contradictoires16-19. Une étude avec répartition aléatoire et contrôlée menée auprès de 38 garçons de 7 à 16 ans atteints de TSA n’a indiqué aucune amélioration significative des scores avant et après le traitement de reconnaissance des émotions (à la tâche de reconnaissance des émotions faciales de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud) et des aptitudes d’interaction sociale (à l’échelle Social Skills Rating Scale) après avoir reçu un traitement de 4 jours par ocytocine intranasale, comparativement au placebo16. Une étude avec répartition aléatoire et contrôlée menée auprès de 31 enfants de 3 à 8 ans (87 % de sexe masculin) atteints de TSA a toutefois rapporté une amélioration significative par rapport au placebo des scores SRS attribués par les soignants (t30 = 2,32; p < 0,05) et des scores CGI-I (Clinical Global Impression– Improvement) attribués par l’examinateur ( = 5,15; p < 0,05) lorsque les enfants avaient reçu l’ocytocine intranasale deux fois par jour pendant 4 semaines17. Aucune différence significative n’a été notée pour ce qui est des scores de comportement répétitif à l’échelle Repetitive Behavior Scale17. De la même manière, une étude avec répartition aléatoire et contrôlée de 4 semaines menée en 2017 auprès de 32 enfants de 6 à 12 ans (84 % de sexe masculin) atteints de TSA a montré une amélioration des scores SRS (F1,21 = 5,6083; p = 0,0275) lorsque les sujets avaient reçu une dose biquotidienne d’ocytocine intranasale pendant 4 semaines, mais l’étude n’a pas montré une réduction des comportements répétitifs ni des symptômes d’anxiété18. De plus, les sujets pour lesquels les concentrations plasmatiques d’ocytocine étaient les plus faibles ont montré la plus grande amélioration des scores SRS (F1,18 = 6,0333; p = 0,0244)18.
Dans l’étude la plus vaste à ce jour sur l’évaluation de l’interaction sociale et le TSA, menée auprès de 290 enfants de 3 à 17 ans (87 % de sexe masculin) atteints de TSA, les 146 sujets du groupe sous traitement n’ont montré aucune amélioration significative des scores d’avant et d’après le traitement à la sous-échelle modifiée de retrait social de l’Aberrant Behavior Checklist (différence moyenne selon la méthode des moindres carrés = -0,2; IC à 95 % : -1,5 à 1,0, p = 0,61) après un traitement de 24 semaines par ocytocine intranasale une fois par jour, comparativement aux 144 enfants répartis au groupe placebo19. Il n’y avait également aucune différence significative des scores de motivation sociale (à la sous-échelle de motivation sociale SRS-2; IC à 95 % : -1,0 à 2,9; d de Cohen = 0,9) ou d’intelligence (à la mesure abrégée du QI de l’échelle Stanford-Binet Intelligence Scales 5th Edition; IC à 95 % : -2,9 à 3,0; d de Cohen = 0,1)19. On n’a observé aucune différence significative du taux d’événements indésirables chez les sujets sous ocytocine (82 %) comparativement aux sujets sous placebo (83 %)19. Comparativement au groupe placebo, le groupe sous intervention a eu une incidence supérieure de stimulation de l’appétit (16 c. 10 %, respectivement), de grande énergie (10 c. 3 %), d’agitation (8 c. 2 %), de perte pondérale subjective (7 c. 3 %), de grande soif (6 c. 3 %) et d’inattention (6 c. 3 %)19.
En résumé, les résultats sont équivoques entre les études sur le fonctionnement social chez les enfants atteints de TSA; l’étude la plus vaste et la plus récente à ce jour n’a toutefois pas montré de bienfait découlant du traitement. Certaines de ces disparités s’expliquent par des échantillons de taille réduite et les différences d’âge entre les participants, la préparation et la dose d’ocytocine, la durée du traitement, les paramètres d’évaluation et les méthodes analytiques. Les effets hétérogènes peuvent également s’expliquer par l’accumulation de recherches pointant vers des variations individuelles du gène du récepteur de l’ocytocine20. Finalement, le fait que le tableau clinique du TSA soit si vaste peut aussi contribuer aux résultats mitigés, puisque les populations ciblées peuvent aussi varier entre les études.
Conclusion
L’ocytocine a des bienfaits limités pour modifier le fonctionnement social chez les enfants atteints de TSA, et aucune donnée n’appuie son emploi pour le traitement dans cette population. Pour élucider les bienfaits de l’ocytocine chez certaines sous-populations d’enfants atteints de TSA, il faudra en clarifier la dose optimale, le calendrier d’administration et les paramètres pharmacocinétiques. Alors que l’ocytocine intranasale était en général bien tolérée chez les enfants durant les études à court terme évaluées, plus de recherches sont nécessaires pour déterminer l’innocuité prolongée de l’ocytocine.
Notes
Mise à jour sur la santé des enfants est produite par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (PRETx à http://www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver, en Colombie-Britannique. Les Drs Justin L. Griffiths, Ram A. Mishaal et Makoto Nabetani sont membres du programme PRETx, et le Dr Goldman en est directeur. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les enfants? Nous vous invitons à les poser au programme PRETx par télécopieur, au 604 875-2414; nous y répondrons dans de futures Mises à jour sur la santé des enfants. Les Mises à jour sur la santé des enfants publiées sont accessibles dans le site web du Médecin de famille canadien (https://www.cfp.ca).
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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