
Nous sommes faits pour persister. C’est ainsi que nous découvrons qui nous sommes.
Tobias Wolff
De toute ma vie, jamais le monde ne m’a semblé un endroit plus dangereux et fragile qu’aujourd’hui. De toute ma vie, jamais l’avenir de l’humain sur cette planète ne m’est apparu aussi sombre.
Pour plusieurs d’entre nous, en médecine familiale, le début de la pandémie de la COVID-19, en décembre 2019, a semblé un signe avant-coureur d’une bonne part des mauvaises nouvelles qui ont suivi, qu’il s’agisse des impacts dévastateurs des inondations et des feux de forêt dus aux changements climatiques, de la propagation de l’autoritarisme ou de l’invasion de l’Ukraine. Avant la pandémie, il y avait déjà des signalements généralisés d’épuisement professionnel et de dépression chez les médecins, surtout les médecins de soins primaires comme les médecins de famille1. Mais comment les médecins de famille ont-ils répondu aux défis posés par la COVID-19 et les autres aléas?
À la clinique où je travaille, je suis fier d’avoir été témoin de l’adaptabilité, du dévouement et de l’ardeur remarquables de mes collègues, alors qu’ils se démenaient pour relever les défis posés par les soins à nos patients, l’enseignement à nos étudiants en médecine et à nos résidents, et le soutien réciproque. De l’établissement d’une clinique novatrice de soins virtuels pour s’occuper des patients atteints de la COVID-192,3 à la promotion d’un meilleur accès aux soins de prévention4,5, en passant par la formation d’un groupe de messagerie instantanée pour partager des renseignements sur les soins et les traitements contre la COVID-19 à un moment où l’information changeait rapidement, il était évident pour mes collègues et moi que c’était une époque que les Drs Pamela Hartzband et Jerome Groopman ont décrite comme étant un « épuisement professionnel, sans interruption »6.
L’accès aux soins dans les collectivités rurales et éloignées, notamment les soins primaires, obstétricaux et chirurgicaux, est un problème de longue date au sein du système canadien de la santé, exacerbé de bien des façons durant la COVID-19. Il a été difficile de maintenir en poste les médecins et les autres professionnels de la santé dans de tels milieux. Même si les facteurs qui nuisent à la rétention des effectifs, comme la rémunération et les possibilités de développement professionnel, ont été reconnus et si des efforts ont été déployés pour les atténuer, le maintien en poste demeure un problème.
Dans le numéro d’avril du Médecin de famille canadien se trouve un article de recherche de la Dre Eliseo Orrantia et ses collègues (page 281), qui examine les effets de l’Entente relative au groupe de médecins en milieu rural et dans le Nord sur les soins en équipe, le rendement des équipes et la rétention des médecins7. L’étude révèle l’utilité des initiatives qui soutiennent les soins en équipe dans les régions rurales et éloignées.
Ce numéro renferme aussi une importante déclaration consensuelle sur les réseaux qui soutiennent les soins ruraux de grande qualité en anesthésie, en chirurgie et en obstétrique au Canada, par le Dr Stuart Iglesias et ses collègues (page 259)8. Cette déclaration consensuelle repose sur une revue de la littérature scientifique internationale, sur les résultats des études, de même que sur les observations personnelles des auteurs. La déclaration préconise fortement la formation d’un système réseauté de soins chirurgicaux spécialisés et généralistes comme étant la façon la plus efficace d’assurer une infrastructure chirurgicale robuste en milieu rural.
En publiant des articles au sujet des iniquités en santé rurale et en cernant des solutions possibles, nous espérons aider les médecins de famille et, idéalement, susciter des changements systémiques pour améliorer la santé de nos patients. En tant que rédacteur scientifique d’une revue médicale, c’est là une façon pour moi de trouver la paix, même durant cette période de traumatisme collectif.
Dans son commentaire inspirant (page 255), la Dre Patricia Dobkin expose de manière éloquente les façons dont les médecins de famille peuvent ressortir grandis des traumatismes en adoptant l’esprit kintsugi9. Le kintsugi est un art traditionnel japonais qui consiste à réparer les pièces de poterie brisées en les ressoudant avec de l’argent ou de l’or. La réparation rend l’objet plus solide et plus magnifique. Cette métaphore inspirante peut inciter les médecins de famille à en faire autant en s’adaptant et en devenant plus solides lorsque nous émergerons enfin de la pandémie. Peut-être est-ce déjà le cas.
Footnotes
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