Les cancers du sein et de la prostate sont les cancers les plus répandus au Canada; ils surviennent en effet chez environ 1 femme sur 8 et 1 homme sur 8, respectivement1. Le taux de survie prévu après 5 ans chez les patients atteints de l’un ou l’autre de ces cancers se situe à environ 90 %1. La thérapie endocrinienne est le fondement de la prise en charge de ces cancers hormonosensibles. Bien que les thérapies endocriniennes soient associées à un prolongement de la survie et du délai avant la progression de la maladie, les effets indésirables peuvent être lourds à porter et réduire l’observance2,3. Les médecins de première ligne jouent un rôle essentiel dans les soins des patients cancéreux et des survivants du cancer. Cet article effectue un survol de la thérapie endocrinienne, surtout des agents contre le cancer du sein et de la prostate, y compris des indications, des perles cliniques et des effets indésirables courants, et leur prise en charge.
Qu’est-ce que la thérapie endocrinienne?
La thérapie endocrinienne est utilisée pour traiter les cancers qui se servent des hormones ou des voies de signalisation hormonales pour croître ou survivre. Au niveau cellulaire, la signalisation endocrinienne dans les cellules cancéreuses stimule la prolifération cellulaire, réduit le temps disponible pour réparer l’ADN et augmente le risque de mutation4. La thérapie endocrinienne agit principalement en perturbant la signalisation endocrinienne, en bloquant la synthèse hormonale ou en ciblant les récepteurs hormonaux5,6. En contexte de traitement adjuvant, ces thérapies prolongent la survie globale et réduisent le risque de récidive du cancer, alors qu’en contexte métastatique, elles pourraient alléger le fardeau des symptômes7,8. Le type et la durée de la thérapie endocrinienne sont déterminés par le stade du cancer au diagnostic, les caractéristiques moléculaires, les indicateurs du pronostic, la génomique du cancer, la résistance endocrinienne et la tolérance aux effets toxiques.
La thérapie endocrinienne se compose de corticostéroïdes, d’hormones thyroïdiennes, d’analogues de la somatostatine et d’hormones reproductives. Les corticostéroïdes, fréquemment associés à la chimiothérapie pour rendre les 2 plus efficaces, sont utilisés pour le traitement des cancers hématologiques (c.-à-d. leucémies, lymphomes et myélomes multiples)5. Les hormones thyroïdiennes (lévothyroxine) sont utilisées pour inhiber la croissance de la thyroïde après une chirurgie ou la radiothérapie contre le cancer de la thyroïde, ou comme hormonothérapie substitutive après résection de la glande thyroïde9. Les analogues de la somatostatine (octréotide) sont au cœur du traitement des tumeurs neuroendocriniennes et sont utilisés surtout pour alléger le fardeau des symptômes associés au syndrome carcinoïde8. Finalement, et c’est là le sujet de cet article, les hormones reproductives sont fréquemment utilisées pour le traitement des cancers qui nécessitent des hormones mâles ou femelles pour croître, comme les cancers du sein et de la prostate.
Thérapie endocrinienne pour le cancer du sein
Plus de 75 % des cancers du sein sont nourris par les œstrogènes ou la progestérone10. Comparativement aux cancers du sein qui n’expriment pas de récepteurs hormonaux, les cancers qui expriment les récepteurs des œstrogènes ou les récepteurs de la progestérone sont habituellement associés à une meilleure survie11. La thérapie endocrinienne est une pierre angulaire du traitement adjuvant et du traitement en contexte métastatique des cancers du sein à récepteurs hormonaux positifs; elle est également parfois utilisée comme traitement néoadjuvant. Le choix du schéma endocrinien est habituellement déterminé par des facteurs cliniques, pathologiques et génétiques, y compris l’état ménopausique de la femme. Les principales thérapies endocriniennes du cancer du sein sont les modulateurs sélectifs des récepteurs des œstrogènes (p. ex. tamoxifène), les inhibiteurs de l’aromatase (p. ex. létrozole, anastrozole, exémestane) et la suppression ovarienne (c.-à-d. par agonistes de la gonadolibérine ou par chirurgie). En contexte de traitement adjuvant, le choix du schéma endocrinien est en plus déterminé par les catégories de risque faible ou élevé, les patientes de moins de 35 ans au diagnostic ou nécessitant la chimiothérapie adjuvante après la chirurgie étant jugées être à risque élevé (Figure 1)11. Les inhibiteurs des kinases dépendantes des cyclines 4 et des kinases dépendantes des cyclines 6 (p. ex. ribociclib, palbociclib), les agents de dégradation sélectifs des récepteurs œstrogènes (p. ex. fulvestrant) et les inhibiteurs de la mTOR (cible mammalienne de la rapamycine) (p. ex. évérolimus) sont d’autres traitements plus récents, surtout utilisés en contexte métastatique.
Algorithme pour le choix du traitement endocrinien contre le cancer du sein en contexte adjuvant
Patientes non ménopausées. En contexte de traitement adjuvant chez les patientes non ménopausées à risque standard, le tamoxifène est l’agent de première intention recommandé à une dose orale de 20 mg par jour pendant un minimum de 5 ans11. Le traitement adjuvant par le tamoxifène pendant 5 à 10 ans est associé à une réduction absolue statistiquement significative de la mortalité par cancer du sein à 15 ans (moyenne [ET] 9,2 % [1 %])12,13. Chez les patientes non ménopausées à risque élevé de récidive, le tamoxifène est recommandé, ou un inhibiteur de l’aromatase, en plus de la suppression ovarienne suivant une discussion avec la patiente sur les risques et les bienfaits11.
Perle clinique : Vu le risque que la stimulation ovarienne induise la production d’œstrogènes, il faudrait éviter les inhibiteurs de l’aromatase en monothérapie chez les patientes non ménopausées. Chez les patientes à risque élevé, les inhibiteurs de l’aromatase peuvent être jumelés à la suppression ovarienne. La reprise des règles durant un traitement par inhibiteur de l’aromatase justifie la mesure du taux sérique d’estradiol et une demande de consultation urgente en oncologie.
Patientes ménopausées. En contexte de traitement adjuvant chez les patientes ménopausées, les inhibiteurs de l’aromatase sont la thérapie endocrinienne de choix pendant un minimum de 5 ans. Une dose quotidienne orale de 2,5 mg de létrozole, de 1 mg d’anastrozole ou de 25 mg d’exémestane peut être utilisée. Comparativement au tamoxifène, les inhibiteurs de l’aromatase sont associés à une réduction absolue statistiquement significative du risque de récidive à 10 ans (3,6 %) et à une augmentation de la survie globale (2,1 %)14.
Perle clinique : Une réduction des récidives du cancer du sein a été démontrée chez les patientes qui passent du tamoxifène à un inhibiteur de l’aromatase dans les deux premières années de la thérapie endocrinienne (2,0 %)14. Par conséquent, les femmes qui atteignent la ménopause après 2 ou 3 ans sous le tamoxifène devraient se voir proposer une substitution dans leur régime endocrinien pour des inhibiteurs de l’aromatase.
Durée de la thérapie endocrinienne. La durée de la thérapie endocrinienne adjuvante est habituellement de 5 ans14. Le prolongement jusqu’à 10 ans de la thérapie endocrinienne par le tamoxifène ou un inhibiteur de l’aromatase réduit encore plus le risque de récidive du cancer du sein chez les patientes à risque élevé14. Un oncologue doit peser minutieusement les bienfaits et les effets indésirables potentiels du traitement prolongé11.
Effets indésirables et prise en charge. Une très grande majorité de patientes subit des effets indésirables difficiles à tolérer, ce qui pousse quelque 30 % des patientes à observer leur traitement de manière sous-optimale ou à l’abandonner3. Le rôle du généraliste dans le dépistage actif et la prise en charge de ces effets indésirables est impératif pour alléger le fardeau des symptômes, optimiser l’observance et prévenir les complications rares, mais potentiellement graves11. Les bouffées de chaleur sont l’un des effets indésirables les plus souvent signalés par les patientes sous le tamoxifène; elles surviennent en effet chez presque 80 % d’entre elles15. La prise en charge repose sur la promotion des modifications du mode de vie (alimentation, vêtements, literie) et le recours à un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine ou d’un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline11. Les inhibiteurs de l’aromatase causent des arthralgies douloureuses chez la moitié des patientes11. L’exercice physique régulier, la massothérapie et l’acupuncture aident à soulager ces effets indésirables; il peut également s’avérer utile de passer à un autre inhibiteur de l’aromatase11. L’ostéoporose découle aussi parfois du traitement par inhibiteur de l’aromatase; le traitement repose sur les suppléments de calcium et de vitamine D, et sur des ostéodensitométries régulières11. Le Tableau 1 présente un résumé des effets indésirables courants de la thérapie endocrinienne contre le cancer du sein, et leur prise en charge respective11.
Traitement endocrinien du cancer du sein : effets indésirables et prise en charge
Thérapie endocrinienne pour le cancer de la prostate
Environ 75 % des cancers de la prostate sont diagnostiqués à un stade précoce; les autres cas présentent une maladie nodale régionale ou métastatique au diagnostic1. Le traitement anti-androgénique est le principal traitement du cancer de la prostate et, depuis 1994, il a considérablement réduit le taux de mortalité qui y est associé1. Plus particulièrement, le traitement anti-androgénique est le premier traitement à action générale du cancer régional ou avancé, et il est associé à la radiothérapie comme traitement néoadjuvant, concomitant ou adjuvant dans les cas localisés ou localement avancés de cancer de la prostate16. Les agents thérapeutiques bloquent l’action ou la production d’androgènes dans l’organisme, ou ils en réduisent la production dans les testicules, ce qui ralentit la croissance des cellules cancéreuses17. La privation androgénique est assurée par des moyens chirurgicaux (orchidectomie) ou médicaux. Les traitements médicaux sont notamment l’ablation androgénique gonadale à l’aide d’agonistes de l’hormone lutéinisante (p. ex. leuprolide, triptoréline, goséréline) ou d’antagonistes de l’hormone lutéinisante (p. ex. dégarélix, rélugolix); d’antagonistes des récepteurs androgéniques (p. ex. bicalutamide, enzalutamide, apalutamide, darolutamide); et d’inhibiteurs de la synthèse des androgènes surrénaliens (acétate d’abiratérone, kétoconazole)18. La castration médicale est surveillée en évaluant le taux de testostérone en circulation. Le choix du traitement du cancer de la prostate dépend d’une multitude de facteurs, dont le stade et le grade du cancer au diagnostic, le risque de progression de la maladie, la survie attendue, les comorbidités et les antécédents familiaux, de même que les préférences du patient et le profil d’effets indésirables des traitements proposés16,17. En outre, puisque l’instauration d’un agoniste de l’hormone lutéinisante est associée à une poussée de testostérone, un antagoniste des récepteurs androgéniques est recommandé durant les 2 à 4 premières semaines du traitement16,18.
Chez les patients dont la maladie présente un risque intermédiaire à élevé, le traitement anti-androgénique associé à la radiothérapie a démontré qu’il pouvait prolonger la survie. Le traitement se poursuit habituellement pendant 4 à 6 mois dans les cas à risque intermédiaire, alors que les patients à risque élevé reçoivent un traitement anti-androgénique continu afin de traiter la maladie systémique occulte et de réduire le risque de récidive16,19. Le traitement anti-androgénique est le plus souvent utilisé dans les cas de cancer métastatique de la prostate, comme traitement intermittent ou continu19. Il vaut la peine de mentionner que l’abiratérone a démontré qu’il pouvait augmenter le taux de corticostimuline (ACTH) en raison d’une réduction de la production de cortisol, ce qui cause des effets indésirables substantiels en raison de l’excès de minéralocorticoïde (p. ex. hypertension, rétention liquidienne, hypokaliémie)20. Les glucocorticoïdes sont ajoutés à l’abiratérone pour réduire ces effets indésirables : 5 mg de prednisone orale deux fois par jour est la posologie standard16,20. Le Tableau 2 énumère les agents contre le cancer de la prostate, y compris leur mode d’action et leurs indications20.
Traitements du cancer de la prostate, modes d’action et indications
Perle clinique : Le traitement anti-androgénique n’est pas recommandé en monothérapie dans les cas de cancer de la prostate localisé, sauf en présence d’une contre-indication au traitement curatif local, comme des comorbidités ou un pronostic inférieur à 5 ans16.
Effets indésirables et prise en charge. Même si le traitement anti-androgénique a amélioré les résultats oncologiques, il est néanmoins associé à plusieurs effets indésirables incapacitants qui affectent la qualité de vie17–19. En retour, les soins aux patients sous traitement anti-androgénique sont optimisés par une approche multidisciplinaire qui inclue la collaboration active entre spécialistes et généralistes traitants18,19. Le traitement anti-androgénique peut avoir des effets indésirables sur divers systèmes et appareils, et toucher la santé des os, la fonction sexuelle et la santé mentale; il peut aussi entraîner la maladie cardiovasculaire et des conséquences métaboliques18,19. Le dépistage régulier et la prise en charge prompte des effets indésirables potentiels sont de première importance18. Le Tableau 3 présente les effets indésirables courants du traitement endocrinien du cancer de la prostate et leur prise en charge18.
Résumé des effets indésirables du traitement endocrinien du cancer de la prostate et de leur prise en charge
Conclusion
La thérapie endocrinienne est la pierre angulaire du traitement des cancers du sein et de la prostate. Bien qu’elles soient associées à un prolongement de la survie et à un risque réduit des récidives du cancer, les thérapies endocriniennes sont aussi associées à des effets indésirables pénibles sur les plans psychologiques et physique1,3,12–15,17,18. Les médecins de famille sont des fournisseurs essentiels de soins aux patients cancéreux et aux survivants du cancer : leur contribution au dépistage et à la prise en charge des effets indésirables liés à la thérapie endocrinienne est de la plus haute importance pour soutenir et optimiser la santé générale et la qualité de vie de ces patients. L’Encadré 1 fournit des ressources utiles pour guider les généralistes dans ce travail important18,21–25.
Ressources utiles aux généralistes
Cancer du sein
Evidence-based approaches for the management of side effects of adjuvant endocrine therapy in patients with breast cancer21 : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1470204520306665
American Society of Clinical Oncology guideline. Neoadjuvant chemotherapy, endocrine therapy, and targeted therapy for breast cancer22 : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33507815/
Cancer de la prostate
BCGuidelines.ca. Medications for the management of prostate cancer side effects in primary care23 : https://www2.gov.bc.ca/assets/gov/health/practitioner-pro/bc-guidelines/prostatecancer-part2_appendixc.pdf
Guide de pratique de l’Association des urologues du Canada sur le traitement par privation androgénique : manifestations indésirables et stratégies de prise en charge18: https://www.cua.org/system/files/Guideline-Files/7355French_v2.pdf
Action Cancer Ontario. Traitement des symptômes et des effets secondaires24: https://www.cancercareontario.ca/fr/symptom-management
Effets cardiovasculaires des traitements endocriniens des cancers du sein et de la prostate
American Heart Association. Impact of hormonal therapies for treatment of hormone-dependent cancers (breast and prostate) on the cardiovascular system25 : https://www.ahajournals.org/doi/epub/10.1161/HCG.0000000000000082
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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