La pandémie de la COVID-19 a entraîné des changements sans précédent dans nos vies et notre système de santé. La nécessité d’augmenter la capacité des hôpitaux et de rediriger les ressources en soins de santé a eu pour effet une suspension inégalée du dépistage du cancer durant la première vague de la pandémie, une réduction du dépistage pendant les vagues subséquentes, et des retards dans le diagnostic et le traitement du cancer1. Même si nous ne serons pas en mesure de comprendre le plein effet de ces retards sur les taux de mortalité due au cancer pendant plusieurs années, les médecins de famille ont une importante occasion d’encourager leurs patients à reprendre les activités de prévention afin d’atténuer d’autres issues néfastes.
Répercussions sur le dépistage et le diagnostic du cancer
Le dépistage du cancer a été mis sur pause dans tout le Canada de la mi-mars à mai 2020, et sa reprise progressive a encore été freinée lors des vagues subséquentes de la COVID-19, en 2021 et 2022. Un examen des programmes de dépistage du cancer du sein, du poumon, du côlon et du col en Ontario a révélé une baisse de 41 % (951,000) des tests de dépistage effectués en 2020 par rapport à 2019. Le nombre des dépistages s’est accru après mai 2020, mais il accusait quand même une baisse de 20 % en comparaison des taux d’avant la pandémie2. En se fondant sur les taux de détection historiques, cette réduction des dépistages se traduit par un moins grand nombre de diagnostics de cancers invasifs : de 1412 à 1507 cancers du sein de moins, de 1148 à 1222 cancers du col de moins et de 393 à 462 cancers colorectaux de moins2. En Ontario, en date de décembre 2021, la liste d’attente estimée pour un dépistage du cancer se chiffrait à 89,347 tests de Papanicolaou, 307,617 mammographies et 297,299 tests immunohistochimiques fécaux3. Au Québec, le nombre de tests immunohistochimiques fécaux de 2020 à 2021 était 26 % moins élevé que l’année précédente, et le nombre de mammographies de dépistage avait baissé de 24 %4. Des tendances semblables ont été observées au Manitoba durant la cessation des dépistages pendant la première vague, notamment une diminution de 54 % dans les mammographies de dépistage, de 83 % dans les tests Pap et de 81 % dans les recherches de sang occulte dans les selles. Même si les volumes des dépistages sont revenus aux niveaux prévus dès septembre 2020, des retards cumulatifs considérables ont été relevés en août 2021, dont 17,370 mammographies de dépistage, 22,086 tests Pap et 5253 recherches de sang occulte dans les selles5.
Les investigations de suivi pour des résultats de dépistage anormaux ont aussi connu des retards accumulés durant le confinement. Au Québec, le nombre de mammographies diagnostiques exécutées de 2020 à 2021 a chuté de 13 % par rapport à l’année précédente4. En Ontario, des retards de diagnostic pour des résultats anormaux au dépistage du cancer du sein et du côlon ont aussi été remarqués en avril 2020; par ailleurs, ces retards avaient été rattrapés dès mai 20202. Certains retards ont persisté, faisant en sort que 33 % des Ontariennes ayant reçu des résultats de cytologie cervicale de haut grade au dépistage avant la pandémie attendaient toujours une colposcopie en août 20206. Les patients vivant dans les quartiers du plus bas quintile sur le plan des revenus étaient plus susceptibles de connaître des retards de diagnostic à la suite de résultats anormaux au dépistage des cancers du sein, colorectal ou du col que ceux des quartiers à revenus plus élevés2.
L’hésitation des patients à être vus en personne, combinée à la hausse des soins virtuels et aux ressources moins nombreuses en soins de santé pour le diagnostic, y compris les biopsies et l’imagerie, a réduit le nombre de cancers symptomatiques diagnostiqués. Environ 30 % des cancers ont été diagnostiqués aux services d’urgence durant les vagues 1 et 2 de la COVID-19, par rapport à un taux habituel de 11 %7,8. Un sondage auprès de radiologistes a révélé que les biopsies de la prostate ont cessé durant le confinement initial et repris graduellement en août 20209. Une étude en Ontario a démontré une diminution de 85 % dans les taux prévus de biopsies de la peau entre janvier et septembre 2020, et un volume de seulement 27 % des biopsies habituelles pour mélanome. Il s’est ensuivi un déficit de 595 cas de mélanomes diagnostiqués en 2020 par rapport à 201910. Des impacts semblables ont été observés dans les diagnostics du cancer du poumon à un centre de cancérologie au Québec, notamment une baisse de 35 % des nouveaux cas de cancer du poumon diagnostiqués entre mars 2020 et février 2021 en comparaison de l’année antérieure. Les cancers du poumon diagnostiqués ont été signalés comme étant à un stade légèrement plus avancé11. Une analyse du registre du cancer du Manitoba a cerné une diminution de 23 % dans les nouveaux diagnostics de cancer en avril 2020, accompagnée d’une baisse de 21 % dans la quantité de rapports de pathologie et d’une chute de 43 % dans les résections chirurgicales12. Des données du Québec ont révélé une baisse de 5 % dans les résultats positifs en pathologie de la présence de cancers de 2020 à 2021 par rapport à l’année précédente4. À l’échelle du Canada, le nombre d’interventions chirurgicales pour le cancer a fléchi d’environ 20 % en 2020 en comparaison de 201913.
Modélisation des répercussions futures
Les répercussions des retards dans le dépistage sur l’incidence des cancers et sur leurs stades ont fait l’objet de modélisations, et il a été démontré que les retards augmentent les diagnostics à un stade avancé et la mortalité. Dans un modèle, une interruption de 3 mois dans le dépistage du cancer du sein se traduirait par le diagnostic de 310 cancers du sein de plus posés à un stade plus avancé (IIIA) et par 110 décès additionnels. De même, une interruption de 3 mois dans le dépistage du cancer colorectal aurait pour issue le diagnostic de 1100 cancers du côlon additionnels, dont 60 % à un stade avancé (III ou IV) et 480 décès de plus14. Ces constatations ont été corroborées dans une deuxième étude par modélisation, ayant comme projections une hausse de 2 % de la mortalité due au cancer au Canada entre 2020 et 2030, avec un pic de 6 % d’excès de mortalité en 2022. Ce modèle anticipe 21,247 décès de plus dus au cancer au cours des 10 prochaines années au Canada en raison de la pandémie15.
Les répercussions de la COVID-19 sur le cancer sont tentaculaires : retards dans le dépistage, retards dans les bilans des patients symptomatiques et ayant des résultats de dépistage anormaux, et retards dans le traitement du cancer et la recherche, tout cela exacerbé par les craintes des patients d’être vus en personne. Il est évident qu’il n’y a pas seulement une cohorte perdue de patients dépistés, mais aussi un sousensemble de diagnostics de cancer passés inaperçus en raison des retards dans la présentation et l’évaluation des patients, entraînant une migration à la hausse des stades des cancers qui sont diagnostiqués. La modélisation laisse présager que les diagnostics ratés et les diagnostics de cancers à un stade terminal se traduiront par une mortalité plus nombreuse, et des coûts plus élevés peuvent être anticipés en raison des traitements plus intensifs nécessaires pour les cancers avancés. En tant qu’intendants du dépistage et du diagnostic des cancers, les médecins de famille ont un rôle précieux à exercer pour atténuer les répercussions de la COVID-19 sur les patients atteints de cancer. Nous devons aussi être proactifs dans la surveillance de nos pratiques pour identifier les patients dont les dépistages sont en retard et préconiser ces soins préventifs. Les médecins de famille doivent aussi être judicieux dans leur recours à la colonoscopie et éviter d’utiliser ces ressources limitées pour le dépistage chez les patients à faible risque, de manière à augmenter la capacité pour le suivi des résultats de dépistage positifs et des patients à risque élevé. Nous devrions surveiller la hausse prévue des cancers symptomatiques et faciliter un suivi accéléré. Les médecins de famille occupent une position unique dans notre système de santé pour réduire les dommages collatéraux de la pandémie de la COVID-19 et les décès évitables dus au cancer.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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