
Les dernières années ont été singulièrement difficiles pour tous les médecins de famille, y compris ceux qui en sont à leurs 5 premières années de pratique. Il a été stressant pour les nouveaux diplômés de naviguer à travers les discussions litigieuses entourant la réforme des soins primaires et la structure des modèles de médecine familiale au moment même de commencer à exercer. Ajoutez au menu les demandes d’une pandémie dans un système de santé déjà à bout de souffle, et la recette est parfaite pour un épuisement professionnel. Réfléchissant aux expériences de mes 5 premières années de pratique, il me réconforte d’écrire à propos de ceux de qui j’apprends le plus : mes patients.
La médecine narrative : une bouée pour les temps difficiles
Un lundi matin, je me suis assise avec M. P., un homme de 80 ans souffrant de multiples comorbidités médicales. Il m’a confié les problèmes personnels qu’il vivait comme proche aidant auprès de son épouse atteinte de démence. Il craignait de contracter la COVID-19 et, en raison des pénuries de personnel en soins à domicile, ses soutiens limités s’étaient amenuisés encore davantage. Son fardeau de responsabilités était d’autant plus grand qu’il s’occupait de sa conjointe à la maison. Il se sentait seul et m’a révélé sa conviction que les rencontres en personne avec sa médecin et son réseau social lui inspiraient un véritable sentiment de connexion humaine qui, selon lui, ne pouvait pas être répliqué avec des moyens virtuels.
Alors que j’écoutais ses récits, j’admirais son engagement et son amour envers sa femme, de même que sa patience face à l’adversité. Pendant que nous passions en revue ses préoccupations médicales, il a mentionné qu’au bureau de son spécialiste, on lui avait demandé s’il voulait qu’on m’envoie une copie de ses rapports. Sa réponse fut la suivante : « Bien sûr. Vous vous occupez d’une partie de ma santé, mais elle, elle prend soin de toute ma personne. » Sa répartie m’a portée à réfléchir à cet aspect unique de la discipline de la médecine familiale que je n’avais pas apprécié à sa juste valeur avant d’avoir le privilège de suivre longitudinalement mes patients durant mes premières années d’exercice. Les patients comme M. P. valorisaient la continuité des soins qui caractérise la médecine familiale. Nous reconnaissions tous 2 l’importance d’une approche axée sur la personne dans son intégralité pour ses soins de santé, et le rôle essentiel qu’une relation de confiance et de longue date avec sa médecin de famille peut exercer.
Plus tard le même jour, j’ai consacré près d’une heure à compléter une demande de consultation auprès d’un programme en psychiatrie surspécialisée pour l’une de mes patientes. Mme J. était une jeune femme dans la vingtaine qui se débattait avec de nombreux problèmes de santé mentale. La quantité considérable de paperasserie et le fardeau administratif largement non rémunéré comptent parmi les premières leçons que j’ai apprises durant ma carrière en médecine familiale. Je me demandais si le système de consultation pourrait un jour devenir plus efficace pour toutes les parties concernées. Je craignais aussi qu’après tout ce travail, ma demande soit rejetée « en raison des longs temps d’attente ». Malheureusement, je sais très bien que l’accès aux traitements en santé mentale, qui n’a jamais été facile, a souffert pendant la pandémie. Depuis les dernières années, j’ai observé combien la santé mentale de Mme J. affectait ses activités de la vie quotidienne. J’ai aussi été témoin de la façon dont les fermetures d’écoles récurrentes influençaient négativement sa condition et l’obligeaient à jongler entre l’école à domicile pour ses jeunes enfants et les fonctions de son emploi. En dépit de ces aléas, elle demeurait résolue dans son désir de s’améliorer et de rechercher activement des programmes en santé mentale. En passant en revue son dossier, j’en ai appris beaucoup de cette jeune femme à propos de la résilience et je me suis demandé si je pouvais être aussi résiliente que ma patiente.
Des relations curatives
Le Dr Ian McWhinney décrit la médecine familiale comme une discipline qui se définit en termes de relations1. La continuité, disait-il, est fondamentale à notre discipline, car nous assumons la responsabilité directe ou la coordination de la réponse aux différents besoins de nos patients. Il est important de combler les lacunes qui compliquent la tâche qu’ont les médecins de famille de s’acquitter de cette lourde responsabilité. En gardant les relations au cœur de la médecine familiale et à l’avant-plan de mes pensées, j’ai pu demeurer les pieds sur terre, alors que j’essayais de composer avec l’expérience frustrante de bâtir une pratique au milieu d’une pandémie.
Durant ma résidence en médecine familiale, mes collègues et moi-même avons publié un article dans Le Médecin de famille canadien au sujet de notre expérience de création d’un groupe de rédaction soutenu par des pairs2. L’étude a démontré que l’exercice de la médecine narrative favorisait l’autoréflexion et facilitait le développement professionnel. En dépit des défis de mes 5 premières années de pratique familiale, j’ai appris de nombreuses leçons de vie marquantes et épanouissantes, tirées des récits de patients comme M. P. et Mme J. Mes réflexions sur les récits de mes patients ont élargi ma vision du monde et ont enrichi ma vie personnelle et professionnelle. Si la pandémie nous a appris une chose, c’est d’apprécier les relations et le véritable sentiment de connexion humaine que nous avions peut-être tenus antérieurement pour acquis.
Notes
Les Cinq premières années de pratique est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, sous la coordination du Comité sur les cinq premières années de pratique de la médecine familiale du Collège des médecins de famille du Canada. Cette série a pour but d’explorer des sujets susceptibles d’intéresser surtout les médecins en début de pratique, de même que tous les lecteurs du Médecin de famille canadien. Nous invitons tous ceux et celles qui en sont à leurs 5 premières années de pratique à présenter une contribution d’au plus 1500 mots (https://www.cfp.ca/content/Guidelines) au Dr Stephen Hawrylyshyn, ancien président du Comité sur les premières cinq années de pratique de la médecine familiale, à steve.hawrylyshyn{at}medportal.ca.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the May 2022 issue on page 388.
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