Ce commentaire décrit une rencontre réelle avec un homme dans un refuge pour personnes vivant en situation d’itinérance à Toronto (Ontario). Un pseudonyme est utilisé pour protéger sa confidentialité.
Rencontre avec un patient
« Je ne me ferai certainement pas vacciner. Personne ne mettra de ce truc dans mon corps! » fut la réponse de Jean à notre équipe lors de l’une des cliniques de vaccination de proximité contre la COVID-19 dans un grand refuge pour personnes vivant en situation d’itinérance à Toronto. Après avoir fait connaître sa position, Jean a donné de nombreuses raisons motivant son refus d’être immunisé et a expliqué qu’il préférait faire confiance aux conseils prodigués à la boutique locale de produits naturels. À mesure que se poursuivait notre conversation, nous avons appris que Jean craignait les effets secondaires inconnus, qu’il se méfiait du gouvernement et qu’il avait vécu des expériences désagréables avec des professionnels de la santé par le passé. Même si Jean a d’abord hésité à parler avec nous, nous avons continué à l’écouter et il est devenu progressivement plus explicite à propos de ses convictions et de ses points de vue. Lorsqu’il a fini de nous exprimer sa pensée, je (K.S.) lui ai demandé la permission de lui parler à nouveau à notre prochaine visite, et il a accepté.
Les préoccupations de Jean sont courantes chez les populations non vaccinées et ne sont pas exclusives aux communautés de personnes en situation d’itinérance. Dans les conversations de notre équipe avec des personnes de cette population vulnérable, nous avons mis à jour de nombreuses difficultés et peurs, y compris une méfiance envers le gouvernement et les décideurs, et une incertitude quant aux personnes dignes de confiance. Ces craintes semblent avoir pour origines les messages contradictoires; des expériences négatives ou une impression de stigmatisation dans les interactions avec des travailleurs de la santé; des problèmes de santé mentale et des troubles de consommation de substances; une faible littératie en matière de santé; le fait de ne pas avoir de médecin des soins primaires digne de confiance, accessible dans l’immédiat et de manière régulière; le manque de connaissances sur l’infection à la COVID-19 et ses séquelles possibles; une mentalité collective contre la vaccination chez les fournisseurs de soins en médecin parallèle qui offrent des cures contre la COVID-19; et l’absence de réseaux de soutien fiables.
À ma surprise, Jean est venu me voir lors de la visite suivante de notre équipe au refuge. Il était impatient de me montrer des articles en médecine parallèle qui offraient des moyens de guérir la COVID-19. Pendant qu’il me parlait de ses préoccupations et de ses questionnements, je lui ai manifesté un réel intérêt et de l’empathie, tout en rectifiant gentiment les fausses informations. Même si cette conversation ne s’est pas conclue par la vaccination de Jean, elle a semé les graines d’une chose qui n’était pas présente lors de notre conversation antérieure : la confiance. Lorsqu’on lui a demandé s’il était prêt à se faire vacciner, sa réponse avait changé d’un ferme « non » à un « peut-être ».
Les populations de personnes qui vivent en situation d’itinérance ont tendance à avoir des taux de vaccination moins élevés que la population en général, et les efforts de vaccination de notre équipe au refuge avaient atteint un plateau après que les premiers consentants eurent reçu leurs doses. Nous avions offert la vaccination d’une manière semblable à la façon d’administrer le vaccin au public en général, mais il en résultait un taux de vaccination bien inférieur à 50 %. Nos observations nous ont démontré qu’il nous manquait la confiance des patients, ce qui ne pouvait se combler que par une expérience plus individualisée. Pour nos visites suivantes, nous avons plutôt utilisé une stratégie centrée sur le patient et nous avons commencé à offrir un service de vaccination de porte à porte. Même si ce processus prenait beaucoup plus de temps, les conversations qui en résultaient établissaient un rapport et se sont soldées par une vague de nouveaux récipiendaires du vaccin. En tant qu’équipe, nous avons aussi changé nos disponibilités pour répondre plus aisément aux besoins des patients. En quelques visites, nous avons quadruplé nos statistiques de vaccinations par visite et avons remarqué un changement positif dans la façon dont les résidents du refuge nous accueillaient. À l’Encadré 1 se trouve une liste des leçons que nous avons apprises et des stratégies que nous avons adoptées pour répondre à l’hésitation vaccinale et améliorer les taux de vaccination dans notre population de patients vivant en situation d’itinérance.
Stratégies pour aborder l’hésitation vaccinale dans les populations vulnérables
Commencer par bâtir la confiance.
Toujours garder les mêmes travailleurs sociaux ou de la santé pour interagir avec cette population afin de favoriser la familiarité et renforcer la confiance.
Être réceptif aux conversations franches et honnêtes, sachant que le but n’est pas de convaincre une personne de se faire vacciner, mais bien d’établir un rapport.
Adapter votre stratégie au besoin, en vous concentrant sur l’aspect humain de votre service.
Faire preuve de souplesse dans votre horaire, car la disponibilité peut varier d’un patient à l’autre.
Insister sur le côté humain. Les personnes ont souvent des craintes irrésolues, ancrées dans des inquiétudes plus générales fondées sur des expériences vécues. Valider leurs peurs, faire preuve d’empathie avec eux, communiquer les faits et votre histoire, identifier les fausses informations, tenter de les rectifier et convenir des vérités entourant l’inconnu.
Demander la permission de leur offrir la vaccination une prochaine fois : « Je reviens le mois prochain; êtes-vous d’accord pour que nous en parlions à nouveau? »
Tenir régulièrement des séances d’information avec l’équipe de gestion du refuge pour obtenir de la rétroaction et échanger des idées sur ce qui a bien fonctionné et ce qui peut être amélioré : « Comment pouvons-nous répondre le mieux aux besoins de votre population? »
Collaborer avec les équipes locales de santé publique qui entreprennent des initiatives semblables dans la communauté.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
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