L’un des premiers devoirs du médecin est d’enseigner aux masses à ne pas prendre de médicaments.
Sir William Osler
Dans sa divertissante histoire de la médecine, l’historien britannique Roy Porter nous rappelle que, dans la tradition humorale de la médecine occidentale, on ne s’attendait pas à ce que les médicaments jouent un rôle décisif dans la guérison : « miser sur des remèdes héroïques, c’est ce que faisaient les charlatans1 ».
La thérapeutique traditionnelle avait beaucoup de cordes à son arc, y compris la réglementation de l’ali-mentation et de l’environnement… et la dispensation de sages conseils. Selon les attentes, un bon médicament avait moins de chance de faire disparaître une maladie que les purges, la sudation ou la purification du sang, qui soutenaient le pouvoir de guérison de la Nature1.
Au cours du siècle dernier, les choses ont considérablement changé. Au début des années 1900, l’étude du materia medica s’est transformée en pharmacologie centrée sur les laboratoires, les médicaments ont été fabriqués en série dans les usines et l’industrie pharmaceutique moderne a émergé avec son énorme influence. Cette influence actuelle est telle que l’écrivain Thomas Hager commence son livre en décrivant une galerie d’art mettant présentant
les 14,000 doses de médicaments d’ordonnance qu’un Britannique moyen prenait durant sa vie. Ces pilules, tissées dans des longueurs de tissu… couvraient une table de la galerie qui s’étendait sur 46 pieds2.
Hager n’en croyait pas ses yeux. « Les gens prenaient-ils vraiment tant de pilules? » Non, en réalité, ils en prennent plus. L’Américain moyen prend environ 50,000 comprimés durant sa vie et, aux États-Unis, les dépenses annuelles en médicaments en vente libre s’élèvent à environ 34 milliards $ et celles en médicaments d’ordonnance s’élèvent à 270 milliards $, plus que tout autre pays2. Il est plus difficile de déterminer le nombre de pilules que prend un Canadien moyen durant sa vie, mais un peu plus de la moitié des Canadiens ont pris 1 médicament durant le mois précédent et, sans surprise, l’utilisation de médicaments augmente avec l’âge3.
Dans ce numéro, 2 articles de recherche mettent l’accent sur différents aspects de l’utilisation des médica-ments d’ordonnance au Canada.
Singer et ses collègues (page 521) explorent la non-adhésion primaire, soit l’omission de prendre des médicaments nouvellement prescrits4. Ils démontrent qu’elle se situe entre 15 et 30 %, qu’il est plus probable qu’il s’agisse de médicaments pour des problèmes asymptomatiques (p. ex. hypertension) et moins probable pour des problèmes symptomatiques (p. ex. dépression). Le revenu est un facteur, mais il n’est pas uniformément prédictif. En définitive, cette étude soulève plus de questions que de réponses. La faible prévisibilité des modèles élaborés porte à croire qu’il faut être prudents dans les interventions fondées sur des caractéristiques ou avec des outils de prédiction visant à réduire la non-adhésion primaire.
Ally et ses collègues (page e205) se penchent sur l’accès à un ensemble complet de médicaments essentiels et efficaces pour tous les Canadiens5. Cette étude à méthodes mixtes s’appuie sur l’essai randomisé contrôlé CLEAN Meds, qui examinait les effets sur l’adhésion des patients d’un accès gratuit et pratique aux médicaments essentiels6. La présente étude met en évidence un consensus parmi les participants et les prescripteurs que la courte liste de médicaments utilisée dans l’essai est complète et donne accès aux médicaments communément prescrits5.
Cependant, comme nos prédécesseurs l’avaient compris, il peut falloir plus que des médicaments pour nous aider à guérir. Une visite à l’un de mes patients hospitalisés me l’a rappelé de manière frappante. La grande fenêtre face à l’est était grise et opaque, indissociable des sombres nuages du ciel hivernal, mais pas assez sombre pour dissimuler les taches d’origine inconnue sur le plancher ou les tampons d’alcool desséchés qui jonchaient les carreaux, comme de gros flocons de neige sales. Les bruits du très occupé poste des soins infirmiers s’infiltraient dans la chambre, ponctués par l’alarme d’une pompe à intraveineuse en arrêt à proximité. Je ne passe pas beaucoup de temps dans les hôpitaux, mais cette visite m’a rappelé que si les hôpitaux sont des endroits de traitement, ils ne sont pas des lieux de guérison. Dans un excellent commentaire (page e196), Agnihotri nous fait faire une tournée mondiale et historique qui nous rappelle le potentiel inexploré de nos cliniques et de nos hôpitaux de ne pas se limiter à être des endroits de traitement, mais aussi de guérison7.
Même s’il est essentiel d’optimiser l’accessibilité et l’adhésion, les approches non pharmacologiques importent tout autant dans l’art de la médecine familiale.
Footnotes
Les opinions exprimées dans les éditoriaux sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
This article is also in English on page 480.
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