L’Organisation mondiale de la Santé définit la santé comme un état de bien-être physique, mental et social complet1. La santé ne se limite donc pas à la seule absence de maladie, mais tient compte des multiples facteurs économiques, sociaux et environnementaux affectant la santé des individus et des populations1. Ce concept de santé globale est largement enseigné dans les facultés de médecine et s’impose progressivement dans le réseau de la santé partout au Canada2. Les médecins comprennent davantage l’importance de la collaboration interprofessionnelle et utilisent une approche intégrée afin de prendre en compte différents déterminants influençant la santé des patients. Il faut toutefois avouer que l’offre de services offerte dans les établissements de santé est souvent limitée et ne tient pas compte de l’ensemble des facteurs qui affectent le bien-être des patients, particulièrement pour les personnes vulnérables et marginalisées3. Ainsi, les personnes vivant en situation d’instabilité financière et psychosociale, telles que les sansabri ou les utilisateurs de substances, sont souvent isolées et difficilement accessibles par les intervenants du réseau de la santé. Heureusement, il existe des cliniques médicales qui tentent de rejoindre cette clientèle en offrant une gamme élargie de services psychosociaux et de soins de santé physique au sein d’un même établissement. La Clinique SPOT, qui œuvre dans la ville de Québec (Québec), est l’une d’entre elles.
La Clinique SPOT est un organisme à but non lucratif créé en 2014 dont la mission est d’améliorer la santé globale des personnes marginalisées et vivant en situation de précarité psychosociale, tels que les sans-abri, les ex-détenus et les réfugiés4. Cette clinique communautaire utilise une approche collaborative, interorganisationnelle et interprofessionnelle afin de lutter contre les inégalités sociales en santé. La Clinique SPOT offre ainsi des services gratuits de dentisterie, de physiothérapie, de psychologie, d’intervention communautaire, de massothérapie, de soins infirmiers, de consultation médicale et bien d’autres à près de 900 personnes par année. De plus, cet organisme utilise un chien de zoothérapie afin de créer un lien de confiance entre les intervenants sociaux et certains usagers. Après avoir constaté, d’une part, l’effet bénéfique de cet animal chez les personnes vulnérables et, d’autre part, la portion importante de la clientèle qui possède un animal de compagnie, la Clinique SPOT a décidé d’instaurer un service vétérinaire directement dans ses locaux de la Maison Mère-Mallet à Québec. En adoptant cette vision innovante de la santé globale, qui relie la santé animale à celle des populations vulnérables, elle se positionne comme un leader en médecine communautaire.
Le projet vétérinaire à la Clinique SPOT est né d’une collaboration avec deux vétérinaires qui sont aussi résidentes en médecine de famille à l’Université Laval à Québec. Depuis mars 2021, ces vétérinaires travaillent bénévolement une journée par mois afin d’offrir leurs services aux propriétaires d’animaux en situation de précarité psychosociale et financière. Les personnes répondant aux critères de sélection du projet ont été dirigées vers la clinique par différents organismes communautaires de la région de Québec. L’Ordre des médecins vétérinaires du Québec a été consulté afin de veiller à ce que le Bureau vétérinaire SPOT respecte les règles encadrant la pratique de la médecine vétérinaire au Québec. Les soins vétérinaires qui y sont offerts sont gratuits et axés sur la médecine des animaux de compagnie. Les vétérinaires profitent également de la consultation pour aborder des enjeux de santé publique, comme la transmission et la prévention des zoonoses. Lors des journées de soins vétérinaires, les clients sont accueillis par un intervenant social, et ce dernier utilise l’animal comme premier contact afin de créer un lien de confiance avec le propriétaire. Le temps d’attente avant la consultation vétérinaire est un moment privilégié où l’intervenant social discute avec l’usager afin d’identifier ses besoins et de lui offrir l’accompagnement et les services appropriés si nécessaire. Les personnes isolées et non rejointes par le système de santé habituel obtiennent ainsi l’accès à des soins de santé globaux, pour eux et leur animal, dans un environnement sécurisant et accueillant.
L’impact du contact animal et du Bureau vétérinaire SPOT
Dans un objectif d’amélioration des services, et afin de mieux comprendre l’impact du contact animal et du Bureau vétérinaire SPOT sur la santé des personnes vulnérables, des questionnaires ont été distribués aux propriétaires d’animaux venus en consultation en 2021. Cette démarche a été supervisée par le comité de recherche et d’éthique de la Clinique SPOT. Les questionnaires étaient remplis sur une base volontaire et administrés par l’intervenant social présent à l’accueil. Entre mars et septembre 2021, 36 propriétaires ont bénéficié du service vétérinaire pour un total de 100 consultations médicales. Quatre-vingt-quatorze pour cent des usagers ont accepté de remplir un questionnaire lors de leur première visite. En interrogeant ces propriétaires, nous constatons, sans grande surprise, qu’ils considèrent tous que leur animal de compagnie a un effet positif sur leur santé. En effet, ils mentionnent que l’animal améliore leur bien-être social en les sortant de l’isolement, favorise leur santé mentale en offrant un soutien émotionnel et améliore leur santé physique grâce à l’adoption d’une meilleure routine de vie. Comme d’autres études l’ont déjà rapporté5,6, une majorité des répondants (56 %) avoue toutefois que l’animal nuit ou a déjà nui à leurs besoins de base (c.-à-d. logement, alimentation, habillement) en raison des coûts associés à son entretien. Une proportion significative des personnes interrogées (38 %) a aussi mentionné avoir déjà refusé ou retardé des soins de santé pour elles-mêmes, par exemple une hospitalisation, en raison de leur animal. Il est aussi important de souligner que 56 % des propriétaires affirment qu’ils fréquenteraient davantage les établissements de santé si les animaux y étaient acceptés.
Un second questionnaire a été proposé aux propriétaires d’animaux lors des visites subséquentes au Bureau vétérinaire SPOT. La plupart des répondants (70 %) l’ont rempli à la visite de rappel vaccinal pour leur animal, un mois après la première consultation. Malgré des pertes importantes au suivi (30 %), les premiers résultats montrent l’effet bénéfique du service vétérinaire sur la santé des usagers. Une diminution de l’anxiété a ainsi été notée chez 90 % des répondants après que leur animal a reçu des soins vétérinaires. Un usager a mentionné : « J’ai moins de stress parce que je connais l’état de santé de mon animal. » Notons que 50 % des répondants n’avaient jamais utilisé les services de la Clinique SPOT pour leur propre santé, mais 90 % ont affirmé qu’ils seraient prêts à le faire après avoir consulté un vétérinaire dans cet établissement. De plus, 70 % ont dit vouloir de l’information sur les autres services de santé offerts après avoir fréquenté le bureau vétérinaire.
Les intervenants sociaux qui travaillent auprès des personnes vivant en situation de pauvreté et de précarité psychosociale de la ville de Québec nous ont aussi fait part de témoignages positifs sur l’implantation d’un service vétérinaire à la Clinique SPOT. En effet, selon eux, le service vétérinaire « permet de mettre la personne en confiance et permet l’élargissement du sentiment de confiance face à l’équipe SPOT, plutôt qu’à un professionnel en particulier ». Ils ont aussi décrit la présence de l’animal comme un « facilitateur dans l’approche des personnes en grande précarité » et « une motivation extérieure au rétablissement » des propriétaires.
Conclusion
L’objectif de relier la santé animale à la santé des personnes vulnérables s’inscrit dans un concept de santé globale largement promu à travers le monde. Bien qu’il existe d’autres projets de soins vétérinaires gratuits offerts aux personnes marginalisées, tels que la Clinique des animaux des jeunes de la rue à Montréal (Québec)7, très peu de cliniques médicales intègrent un service vétérinaire dans une démarche interdisciplinaire et collaborative. Il existe toutefois quelques exemples intéressants qui démontrent l’avantage d’une telle approche. En effet, en 2013, une collaboration entre les départements de médecine et de médecine vétérinaire de l’Université de Californie à Davis et plusieurs organismes communautaires a conduit à l’ouverture du Knights Landing One Health Center8. Ce centre emploie plusieurs professionnels qui assurent des soins aux habitants d’une municipalité rurale à forte population immigrante qui n’avaient pas accès à un établissement de santé. La synergie entre les médecins et les vétérinaires permet de mieux connaître les besoins de la population et favorise le dépistage des zoonoses, ce qui améliore la santé des personnes vulnérables.
Finalement, bien que le Bureau vétérinaire SPOT soit récent, nous constatons déjà que les soins vétérinaires au sein même d’une clinique médicale communautaire améliorent la santé globale des personnes vulnérables et marginalisées. La rencontre avec les vétérinaires permet d’établir une relation de confiance avec le ou la propriétaire de l’animal en plus d’apaiser sa crainte d’être sans ressource avec un animal requérant des soins. De plus, en donnant accès à des soins vétérinaires gratuits aux personnes qui vivent en situation de pauvreté, ces dernières peuvent utiliser leur argent afin de combler leurs propres besoins de logement, d’alimentation et de vêtements. Cette approche novatrice permet aussi de tisser des liens entre les propriétaires d’animaux, souvent désaffiliés, et les autres professionnels de santé qui pourront ensuite répondre à leurs besoins de santé. Dans l’avenir, cette collaboration avec les vétérinaires est appelée à se développer afin de pérenniser et promouvoir les avancées en santé globale.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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The English translation of this article is available on page 485.
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