Les patients ont souvent des questions à propos de leur diagnostic de cancer et de leurs options de traitements. Les médecins de famille sont bien places dans le système de santé pour aider les patients à naviguer dans ces dédales, mais pour le faire efficacement, ils doivent comprendre les choix de nouvelles thérapies contre le cancer.
Il existe actuellement 4 grands types d’options de traitements systémiques contre le cancer : la chimiothérapie, l’immunothérapie, l’hormonothérapie et la thérapie ciblée, avec certains chevauchements entre les catégories. Par exemple, même si les immunothérapies sont une forme de thérapie ciblée, l’immunothérapie est une classe distincte1.
Les mutations génétiques et les changements dans les protéines cellulaires qui en résultent peuvent causer une division des cellules trop rapide et se traduire par la croissance de cellules malignes2. Pour créer une thérapie ciblée, les chercheurs déterminent les mutations génétiques potentielles et les protéines anormales qui en découlent et qui alimentent la croissance de certains types de cancers. Le médicament de la thérapie ciblée ne touche que la protéine anormale, contrairement à la chimiothérapie, qui n’est pas sélective et affecte toutes les cellules qui se divisent rapidement3. Les thérapies ciblées ne fonctionnent que si le cancer a bien la cible en question, et de nombreux cancers développent une résistance à ces agents avec le temps. En plus d’identifier le type et le sous-type du cancer, il faut ensuite trouver les cibles moléculaires potentielles en testant un prélèvement de la tumeur pour cerner une surexpression des biomarqueurs ou des mutations causant la multiplication rapide des cellules. L’identification de ces cibles précises aide à déterminer les options de prise en charge.
Selon les cibles moléculaires spécifiques, la thérapie ciblée peut agir sur les antigènes à la surface des cellules, les facteurs de croissance, les récepteurs ou les voies de transduction du signal régulant la progression du cycle cellulaire, la mort cellulaire, la métastase et l’angiogenèse (Figure 1)4,5. Bien que la plupart des thérapies ciblées se composent d’anticorps monoclonaux ou de médicaments à petites molécules, elles peuvent aussi être classées comme étant des hormonothérapies, des inhibiteurs de la transduction de signal, des modulateurs de l’expression génétique, des inducteurs d’apoptose, des inhibiteurs de l’angiogenèse, des immunothérapies et des molécules libérant des toxines3. Les médicaments utilisés dans la thérapie ciblant les molécules peuvent bloquer des signaux qui favorisent la croissance des cellules cancéreuses, interférer avec la régulation du cycle cellulaire ou induire la mort cellulaire pour tuer les cellules cancéreuses.
Cibles visées par une thérapie ciblée contre le cancer par voie moléculaire
Types de thérapies ciblées
Les 2 types de thérapies ciblées les plus courants sont les anticorps monoclonaux et les inhibiteurs à petites molécules. Les anticorps monoclonaux ciblent des protéines précises, souvent des récepteurs, sur la surface des cellules cancéreuses6 ou dans la région autour de la tumeur. Ces grosses molécules ne sont pas capables de pénétrer dans la cellule. Elles peuvent prévenir la prolifération des cellules cancéreuses en bloquant les molécules qui envoient le signal induisant la croissance cellulaire ou l’angiogenèse.
Les anticorps monoclonaux peuvent être associés à une substance toxique, comme une chimiothérapie standard ou des radionucléides, pour amener la thérapie jusqu’aux cellules cancéreuses1. Le brentuximab védotine7 (utilisé pour traiter le lymphome de Hodgkin et d’autres lymphomes) compte parmi les exemples de conjugués combinant des anticorps monoclonaux et des médicaments.
Perle clinique : Le nom des anticorps monoclonaux finit souvent par -mab (p. ex. rituximab, bévacizumab, trastuzumab, pertuzumab, panitumumab).
L’autre type courant de thérapies ciblées comporte des médicaments à petites molécules qui, en raison de leur bas poids moléculaire, traversent la surface cellulaire vers des cibles intracellulaires afin de ralentir la prolifération ou encore causer la mort des cellules de la tumeur.
Perle clinique : Le nom des médicaments à petites molécules finit souvent par -mib (pour inhibiteurs de la protéase) ou -nib (pour inhibiteurs des kinases),8 comme le bortézomib, l’osimertinib et le vémurafénib.
Exemples de thérapies ciblées souvent utilisées
Une surexpression du gène du récepteur 2 du facteur de croissance épidermique (HER2) (maintenant connu sous le nom de récepteur 2 à activité tyrosine kinase erb-b2 [ERBB2]) est présente dans les cancers du sein et de l’estomac porteurs de la mutation du HER2. Les anticorps monoclonaux trastuzumab et pertuzumab peuvent être utilisés pour traiter les cancers du sein porteurs de la mutation du HER2 et cibler différentes régions du HER29. Le trastuzumab emtansine est un exemple de conjugué combinant des anticorps monoclonaux et un médicament utilisé pour traiter le cancer du sein qui cible le HER2 et amène le medicament cytotoxique aux cellules tumorales10.
Les inhibiteurs des kinases 4 et 6 dépendantes des cyclines (p. ex. palbociclib, ribociclib) servent à traiter les cancers du sein avec présence de récepteurs hormonaux et absence de la mutation du HER2.
Les inhibiteurs des enzymes poly (adénosine diphosphate ribose) polymérase (p. ex. olaparib, niraparib) ciblent une enzyme qui répare des dommages à l’ADN et sont utilisés pour traiter certains cancers ovariens11,12.
Dans les cancers du poumon non à petites cellules, les tumeurs avec présence d’une mutation du récepteur du facteur de croissance épidermique (EFGR) connaissent une division et une croissance rapides des cellules; les inhibiteurs de la tyrosine kinase du EGFR (p. ex. osimertinib, géfitinib, erlotinib) sont des médicaments à petites molécules qui visent les tumeurs avec présence de la mutation du EGFR. Une autre protéine ciblée dans le traitement des cancers du poumon non à petites cellules est la kinase du lymphome anaplasique (ALK). Les cellules porteuses de la mutation de l’ALK peuvent être ciblées par les inhibiteurs de l’ALK (p. ex. crizotinib). Il existe plusieurs autres cibles moléculaires possibles dans les cancers du poumon non à petites cellules.
Parmi les traitements du cancer colorectal, on peut mentionner le bévacizumab, un anticorps monoclonal qui se lie au facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF) et inhibe la croissance des vaisseaux sanguins de la tumeur13. Le panitumumab, un autre anticorps monoclonal, vise l’EGRF. Étant donné que des mutations du gène KRAS (Kirsten rat sarcoma virus) peuvent être corrélées à une efficacité réduite du panitumumab, il est indiqué de procéder au dépistage de mutations sur ce gène.
Dans environ la moitié des cas de mélanomes, il y a des mutations du proto-oncogène RAF de type B (BRAF)14, causant une altération de la protéine BRAF qui favorise la croissance des cellules cancéreuses. Les inhibiteurs de la protéine proto-oncogène RAF de type B (p. ex. vémurafénib, dabrafénib) sont des thérapies à petites molécules qui peuvent être efficaces contre les cancers avec présence d’une mutation du BRAF. Des inhibiteurs de la protéine kinase activée par des mitogènes (p. ex. tramétinib) peuvent aussi contrer les mélanomes avec présence d’une mutation du BRAF et être combinés à des inhibiteurs de l’enzyme du BRAF.
Il y a aussi lieu de mentionner d’autres thérapies ciblées comme le rituximab, un anticorps monoclonal qui cible la voie CD20 et est utilisé pour traiter certains types de lymphomes et la leucémie lymphoïde chronique15; le daratumumab, qui sert au traitement des myélomes multiples et cible la CD3816; et le bortézomib, utilisé pour le traitement des myélomes multiples et de certains lymphomes17. Le sunitinib est un inhibiteur de la tyrosine kinase utilisé pour traiter le cancer des cellules rénales18.
Administration des thérapies ciblées
La plupart des médicaments à petites molécules se présentent sous la forme pratique de comprimés ou de capsules, tandis que la majorité des anticorps monoclonaux sont administrés par voie intraveineuse. Par ailleurs, certains anticorps monoclonaux, comme le rituximab15, peuvent être donnés par injection sous-cutanée s’il n’y a pas de contre-indication, ce qui raccourcit le temps nécessaire au traitement. Le trastuzum est aussi administré par voie sous-cutanée dans certaines régions éloignées, réduisant ainsi les déplacements et le temps passé par les patients loin de leur domicile.
Effets secondaires
En dépit des attentes que les thérapies ciblées aient moins d’effets indésirables que la chimiothérapie traditionnelle, des toxicités considérables sont encore observées. Ces toxicités diffèrent de celles causées par la chimiothérapie et varient selon le mécanisme d’action du traitement en cause. Les patients peuvent consulter leur médecin de famille pour ces effets indésirables (p. ex. saignements), et les oncologues peuvent solliciter l’aide des médecins de famille dans la prise en charge continue des effets secondaires (p. ex. hypertension). Des problèmes dermatologiques sont souvent observés avec les inhibiteurs de l’EGFR et peuvent se presenter comme une éruption acnéiforme (Figure 2)19, des changements aux ongles (Figure 3)19, une décoloration des cheveux, une sécheresse ou une décoloration jaunâtre de la peau18. L’ Encadré 1 présente un résumé des mesures de prévention et des facteurs à considérer pour gérer les éruptions cutanées associées à l’utilisation des inhibiteurs de l’EFGR20. L’insuffisance cardiaque congestive est un effet indésirable connu du trastuzumab. Parmi les effets secondaires communément observés avec les inhibiteurs du VEGF et les inhibiteurs du récepteur du VEGF, mentionnons l’hypertension, des incidents thromboemboliques, une guérison déficiente des blessures et un risque accru de saignements (y compris une hémorragie liée à la tumeur)21.
Éruption acnéiforme observée avec l’utilisation d’un inhibiteur du facteur de croissance épidermique : A) Lésions papuleuses sur la poitrine, B) Éruption papulopustuleuse en forme de V dans le dos, C) gros plan de pustules folliculaires et D) pustules confluentes sur le nez.
Paronychiée et granulome pyogène du sillon de l’ongle du gros orteil causé par l’utilisation d’un inhibiteur du facteur de croissance épidermique
Traitement des éruptions cutanées liées à l’utilisation d’un inhibiteur de l’EGFR
Les mesures de prévention des éruptions cutanées liées à l’utilisation d’un inhibiteur de l’EGFR peuvent inclure une évaluation du patient pour dépister des problèmes de peau comme l’acné, la rosacée et le psoriasis, qui peuvent s’aggraver avec des inhibiteurs de l’EGRF20. Il est important de dire au patient de bien hydrater sa peau, d’éviter l’exposition excessive au soleil, de porter un chapeau et des manches longues, et d’utiliser un écran solaire.
On peut amorcer un traitement prophylactique (p. ex. 100 mg de minocycline par voie orale 2 fois par jour et de la crème d’hydrocortisone à 1 % au coucher pendant les 6 premières semaines, suivis par un sevrage graduel).
La gestion des éruptions cutanées peut inclure une lotion topique à la clindamycine à 2 %, de l’hydrocortisone à 1 % 2 fois par jour, avec ou sans 100 mg de minocycline par voie orale 2 fois par jour, ou 100 mg de doxycycline 2 fois par jour pendant 4 semaines, avec ou sans 0,5 mg/kg de prednisone par voie orale 1 fois par jour pendant 7 à 14 jours, selon la gravité de l’éruption. De plus :
Il est recommandé d’obtenir une culture bactérienne pour dépister une infection secondaire pour les éruptions sévères (grade 3 ou plus élevé)
Envisager une demande de consultation en dermatologie en l’absence d’améliorations après 4 semaines
Il peut être nécessaire d’envisager une modification de la dose ou une interruption de la thérapie
La prise en charge devrait se faire avec la contribution de l’oncologue médical du patient.
EGER—récepteur du facteur de croissance épidermique.
Traitement des effets secondaires
La prise en charge des effets secondaires dépend souvent de leur gravité. Les effets indésirables bénins peuvent souvent être traités selon les symptômes, tandis que des réactions modérées peuvent exiger une pause dans le traitement ou une réduction de la dose. Il est plus probable que les effets indésirables sérieux requièrent une cessation de l’agent nuisible et une recherche d’autres options thérapeutiques.
Conclusion
Compte tenu de l’augmentation des nouveaux diagnostics de cancer22 et de l’émergence rapide des options de traitements anticancéreux, il est fort probable que les médecins de famille soient appelés à aider les patients à répondre aux questions concernant les options thérapeutiques. Il est essentiel, pour assister les patients dans leur cheminement à travers les soins contre le cancer, de bien comprendre comment fonctionnent les thérapies ciblées, les raisons pour lesquelles des thérapies en particulier pourraient être ou ne pas être des options et les effets indésirables qui sont possibles.
Footnotes
Intérêts concurrents
Dr Sian L. Shuel reçoit un financement contractuel de BC Cancer en tant que responsable de l’éducation médicale au Programme des soins primaires de BC Cancer.
Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, allez à https://www.cfp.ca et cliquez sur le lien vers Mainpro+.
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the July 2022 issue on page 515.
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