
Une journée dans la vie d’un omni …
Ce jour-là, quand le médecin de famille du quartier est arrivé au bureau, il s’attendait à ce que ce soit tranquille. Quelques prises en charge, quelques plages horaires libérées en accès adapté pour des problèmes ponctuels et des suivis de conditions chroniques.
À 8 h, son secrétaire lui dit : « Il y a dans la salle d’attente un de vos patients qui n’a pas de rendez-vous, mais il dit que c’est important. » Comment dire non? Quand un jeune homme se présente chez son médecin sans rendez-vous et qu’il n’est pas accidenté, il y a sûrement urgence. L’homme a 40 ans, une belle petite famille, une belle nouvelle maison, et il est en détresse totale … Son couple est en péril, de toute évidence, et une tristesse profonde l’habite. L’homme pleure.
À 9 h, le secrétaire dit au médecin : « Madame Unetelle qui devait venir la semaine prochaine est venue avec sa fille. Elle dit que c’est important. » Comment dire non? Son cancer du poumon a fort probablement récidivé. Le diagnostic n’est pas définitif, mais le scan de la patiente est très explicite et son état clinique ne ment pas : amaigrissement, cachexie, essoufflement. Un pneumologue lui a prescrit à répétition des antibiotiques et de la cortisone, visiblement inefficaces, mais pas de bronchoscopie ni de biopsie.
Puis, une autre, une jeune femme, travailleuse sociale. Déprimée, elle aussi. Depuis une rupture amoureuse il y a un an, elle vit seule. Elle ressentait un vide existentiel. Pour compenser, elle a dépensé beaucoup d’argent et fait plein de folies. Maintenant elle se demande ce qui s’est passé. Elle ne comprend pas. Comme si cette femme-là n’était pas elle. Le médecin soupçonne un trouble bipolaire, sans en avoir la certitude. Devrait-il prescrire un stabilisateur de l’humeur sans davantage de confirmation? Demander une consultation en psychiatrie qui ne viendra pas avant plusieurs mois, voire des années?
En après-midi, le médecin reçoit d’une pharmacie une demande de renouvellement de prescription pour de la vancomycine pour un patient qu’il n’a pas vu depuis trois ans! Autant qu’il ne le sache, la vancomycine, c’est principalement pour la colite à Clostridium difficile. Quelle colite? Depuis quand? Pourquoi cette demande de renouvellement? Une vérification au Dossier santé Québec. Un appel au patient. Le médecin finira par comprendre que le microbiologiste qui a prescrit le médicament a fermé le dossier sans assurer le suivi. La pharmacie n’a d’autre option que de s’adresser au médecin de famille.
Quand le médecin finit par rentrer chez lui, il est épuisé. Il s’étend sur le divan et s’endort immédiatement.
Dans une lettre ouverte adressée à ses membres, datée du 22 juin 2022, le CMFC affirment que la médecine de famille est en crise :
Alors que davantage de médecins partent à la retraite, de moins en moins d’étudiants en médecine choisissent de faire carrière en médecine de famille. Pendant ce temps, les besoins des patients se complexifient, les coûts de la pratique augmentent et de plus en plus de patients n’ont pas accès en temps opportun aux soins et aux services dont ils ont besoin1.
Même dans les périodes les plus difficiles, [les médecins de famille] demeurent les seuls praticiens qui prennent soin de tous les patients, quels que soient leur âge et leur état de santé, de la naissance à la mort. Mais les plus importants décideurs ne nous écoutent pas1.
Comment redorer le blason de la médecine familiale? Certes, différentes mesures peuvent être envisagées : reconnaître la profession à sa juste valeur; mieux rémunérer les médecins de famille; mieux répartir la tâche; ne pas faire d’eux l’unique point d’accès aux services de santé; ne pas toujours s’en remettre à eux « pour tout et pour rien »; faire en sorte que les spécialistes suivent des patients qu’ils ont évalués et traités, comme les autres professionnels de la santé.
Mais le plus important ne serait-il pas simplement de redonner un sens à la pratique? Il fut un temps où le Collège clamait que « le médecin de famille est une ressource pour une population définie de patients », en ajoutant « la relation patient/médecin constitue l’essence du rôle du médecin de famille. »2 Ces principes fondamentaux définissaient alors le sens de la profession.
À la fin de sa journée, notre omnipraticien est certainement fatigué, mais il ne doute pas du sens et de la valeur de son travail. Il est médecin de famille, et il est fier de l’être.
Nous devrions tous afficher notre fierté d’être médecin de famille.
Footnotes
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