
Dans la présente édition du Médecin de famille canadien, Frank et coll. nous entretiennent de la maladie de Parkinson et nous rappellent son importance (page e8)1. Il s’agit actuellement de la maladie neurodégénérative qui connaît l’augmentation la plus rapide à l’échelle mondiale2. Les auteurs nous rappellent que le diagnostic est d’abord et avant tout clinique. Il repose sur la triade suivante : rigidité, tremblement et bradykinésie. Il est vrai que le tableau clinique est assez caractéristique : juste à voir la pauvreté du geste et de l’expression d’une personne, sa démarche à petits pas, son manque de fluidité, sa rigidité et son tremblement de repos, habituellement unilatéral, un médecin de famille aguerri peut facilement soupçonner la présence du syndrome.
Mais est-ce si facile que cela, surtout au début?
Je me rappellerai toujours mon collègue qui voulait que je sois son médecin de famille. Malgré ma résistance et mes objections, il insistait. Un jour, dans le cadre d’un examen annuel préventif, il m’a confié qu’il avait de temps à autre des spasmes de la paupière. Ah, bon! Rien d’incommodant. Juste une préoccupation. Quel est le diagnostic différentiel des spasmes intermittents de la paupière? Ne me dites pas que vous songez d’emblée à la maladie de Parkinson. Pas moi. En tout cas, pas à ce moment-là. Puis, quelques mois plus tard, lors d’une sortie de vélo, il s’est mis à chuter d’une étrange manière. Il tombait en débarquant de son vélo. Comme s’il ne se savait plus comment faire! Quelqu’un du groupe s’est alors mis en tête de lui rappeler comment on descend de son vélo. À son âge! Après tous ces voyages de vélo-camping qu’il avait fait! Ce jour-là, j’ai commencé à suspecter que mon collègue puisse être atteint du Parkinson. Je l’ai dirigé vers un neurologue. Ce dernier m’a répondu que non, ce n’était probablement pas cela. Bon… si le spécialiste le dit!
Puis l’été d’après, nous sommes allés jouer au tennis. Mon collègue était un joueur de tennis redoutable. Au filet, il avait des amortis dévastateurs. C’est lors de ce match que je me suis dit que quelque chose n’allait vraiment pas. Sur une balle envoyée sur mon coup droit et que je lui retournais sur le sien, j’ai noté le délai qu’il mettait à bouger. J’aurais presque pu compter jusqu’à 3, avant qu’il ne commence à réagir. Ce jour-là, c’est devenu évident pour moi : il souffrait du Parkinson. Cette fois, le neurologue était d’accord. Comme quoi, la reconnaissance du tableau clinique n’est pas si aisée.
Le diagnostic est donc tombé, et avec lui, la descente inexorable aux enfers. Perte d’autonomie. Perte de fierté. Perte de tout. Et ce, même s’il faisait tout pour éviter le déclin et retarder l’évolution, en participant aux activités des groupes de soutien et s’impliquant activement auprès des organismes voués au Parkinson. Rien n’y faisait. La médication semblait n’avoir qu’un effet transitoire. Parfois, nous allions au restaurant. Je passais le prendre chez lui. Il lui fallait une éternité pour enfiler ses souliers et les lacer. Il refusait toute forme d’aide. Puis après le restaurant, nous retournions chez lui. C’était souvent à ce moment-là, en montant dans l’auto qu’il tombait à « off ». Il est bien connu que les patients parkinsoniens passent parfois de « on » à « off » en une fraction de seconde. Mon collègue restait là, assis dans le siège du passager, comme transformé en une statue de sel, incapable de bouger, incapable d’attacher sa ceinture de sécurité, incapable de quoi que ce soit. Je fixais sa ceinture et nous retournions chez lui, tous les deux mal à l’aise.
Puis, toute sa grandeur, toute son intelligence, tout son charisme se sont progressivement envolés. Disparus. L’homme était là, mais vidé de son essence. Un jour, il a demandé que tout cela s’arrête. Et ce fut la fin.
Le Parkinson est une terrible maladie. Une maladie dévastatrice. Ce sont habituellement les médecins de famille qui sont les premiers à soupçonner puis à confirmer le diagnostic. Ce sont aussi eux qui, conjointement avec le spécialiste, suivent l’évolution de la maladie et ajustent le traitement. Enfin, ce sont encore eux qui suivent la déchéance et qui offrent les soins de confort et participent aux décisions de fin de vie. Quand je repense à ce collègue, je me demande si j’aurais pu faire quelque chose différemment. Est-ce qu’un diagnostic plus précoce aurait changé quoi que ce soit? Aurait-il été bénéfique de commencer le traitement plus tôt? Les médecins de famille portent une grande responsabilité sur leurs épaules.
Footnotes
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