Pour de nombreux médecins en début de carrière, les cinq premières années constituent une période de changement et d’ajustement. Nous apprenons à prodiguer des soins avec plus d’autonomie, essayons d’assurer l’équilibre entre les exigences personnelles et professionnelles, et façonnons notre identité professionnelle. Pour ceux et celles d’entre nous qui deviennent aussi parents durant cette transition, ces changements et ces exigences sont décuplés.
J’ai eu mon fils en 2020, après deux années de pratique et à l’aube d’une pandémie mondiale, alors que j’habitais une ville éloignée des membres de ma famille. J’ai pris un congé parental de 15 mois. L’expérience de chaque personne est différente, et aucun parcours de vie n’est facile, mais voici quelques réflexions tirées de ma propre expérience qui, je l’espère, aideront les nouveaux médecins de famille au fil de leur transition vers leurs cinq autres premières années, celles de la parentalité.
Formation de l’identité
Après mon accouchement, ma plus grosse épreuve mentale a consisté à concilier la personne que j’étais—et mes buts et priorités à l’époque—et la nouvelle personne que j’étais devenue du fait de ma maternité. J’étais parfois frustrée d’avoir à mettre en suspens une carrière pour laquelle j’avais travaillé si dur et pour laquelle je poursuivais mes études supérieures et assumais des rôles de leadership. Ces longues journées et nuits des débuts de la maternité peuvent paraître une éternité, et on peut avoir l’impression que la vie ne reprendra jamais plus son cours antérieur. J’ai décidé de prendre du recul par rapport à des rôles supplémentaires que je remplissais afin de me consacrer davantage à mes responsabilités parentales. Ce n’est pas tout le monde qui devra ou voudra prendre du recul, mais c’était la bonne décision pour moi. Il m’a fallu du temps pour accepter cette situation. Maintenant, je suis consciente que j’ai de nombreuses années de carrière devant moi et que, lorsque ma famille exigera moins de mon temps, je serai en mesure de retourner à certains de ces objectifs et possibilités. Là encore, certains sont peut-être d’avis que la reprise immédiate de leur parcours de carrière est ce qui leur convient le mieux, et c’est tout à fait merveilleux! Le point que je veux faire valoir est que le nouveau rôle de parent exigera la recherche d’un équilibre entre la vie professionnelle et la vie parentale, qui fonctionnera pour vous et votre famille. Tout dépendra de votre personnalité, de votre situation professionnelle, du soutien disponible et de ce qui vous épanouit le plus.
Priorités et attentes
L’ajustement de mes priorités et l’établissement d’attentes réalistes sur ce que je pouvais accomplir au cours d’une journée à la maison avec un bébé ont été très difficiles. Une journée n’aura toujours que 24 heures, mais dès qu’on a des enfants, il y a tellement plus à faire dans cet espace de temps. Il faudra peut-être abandonner certaines choses. Vous devrez peut-être embaucher de l’aide supplémentaire, dépendre davantage de votre famille ou de vos amis, ou, tout simplement, procéder à des coupes dans des rôles et des tâches. Durant mon congé de maternité, je me souviens avoir eu l’impression que « j’accomplissais » très peu en une journée. Comme je suis quelqu’un qui mesure la réussite d’une journée par ma productivité, c’était parfois très décourageant. Je devais me rappeler que prendre soin d’un autre être humain constitue un accomplissement et que toutes les petites tâches effectuées au cours de la journée dans ce contexte témoignaient d’une très grande productivité.
Le retour au travail
Le retour au travail peut être un peu anxiogène. À l’instar d’un muscle déconditionné, vous aurez peutêtre besoin de temps pour revenir en pleine puissance. Avant la reprise du travail clinique, il pourrait être utile de vous réchauffer en suivant des cours de formation professionnelle continue pour vous recycler concernant des sujets de haut niveau, liés à votre pratique. Il pourrait aussi vous être utile de reprendre le travail tranquillement. J’ai recommencé à travailler quelques jours par semaine seulement, puis j’ai augmenté la fréquence. Comme j’avais la chance d’avoir des modalités de travail souples, je pouvais revenir graduellement et ajuster mon horaire à mesure que j’apprenais le nombre d’heures qui me permettrait d’être efficace et épanouie, à la fois personnellement et professionnellement.
Selon l’endroit où vous habitez et le degré de soutien familial dont vous bénéficiez, vous devrez peut-être prévoir le recours à un service de garde avant votre retour au travail. Je me sentais parfois coupable d’être éloignée de mon fils, mais à mesure de notre ajustement à nos nouvelles routines, ces sentiments se sont dissipés et mon fils a vraiment commencé à se plaire à la garderie. Et quand j’ai repris ma pratique après mon congé parental, mon travail m’a procuré beaucoup de joie et de satisfaction. J’ai trouvé gratifiant de pouvoir prendre de nouveau soin de mes patients, et satisfaisant sur le plan personnel de travailler mes « muscles de médecin de famille » de nouveau.
La vie sociale
Le cheminement de chaque parent est différent, mais j’ai constaté que ma vie sociale a beaucoup changé depuis que j’ai un bébé. J’ai de merveilleux amis, mais certains comprennent mieux que d’autres l’exigence de concilier une carrière en médecine et la maternité. Ma réalité a évolué, tout comme la nature de mes relations amicales. J’ai trouvé utile de me mettre en rapport avec d’autres médecins parents et j’ai pu ainsi forger de belles amitiés. Dans Facebook, il y a d’excellents groupes de mères médecins qui offrent un précieux soutien et servent de lieux de rencontre sociale. N’oubliez pas que vos activités sociales seront différentes de celles auxquelles vous participiez avant l’arrivée de bébé. Par exemple, vous aurez peut-être à amener votre bambin pour aller prendre un café avec une amie, mais, si vous pouvez vous organiser, il peut aussi être sain et agréable de rencontrer des amies et des amis sans le petit.
Conclusion
En cette cinquième année de pratique, maintenant que mon fils a 3 ans, je me suis adaptée à mes rôles de parent et de médecin, et suis mieux à même de concilier leurs responsabilités respectives. Comme les gros changements de la vie exigent une période d’ajustement, je vous conseille, pour terminer, de faire preuve de patience envers vous-mêmes alors que vous composez avec les nouvelles réalités de la vie comme parent et médecin, et de demander de l’aide au besoin. La communauté médicale, en particulier celle des médecins parents, est solide, d’un grand secours et consciente des défis uniques auxquels nous sommes confrontés à titre de nouveaux médecins et de nouveaux parents.
Je vous souhaite la meilleure des chances au cours de vos cinq premières années dans ces deux mondes.
Notes
Les Cinq premières années de pratique est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, sous la coordination du Comité sur les cinq premières années de pratique de la médecine familiale du Collège des médecins de famille du Canada. Cette série a pour but d’explorer des sujets d’une pertinence particulière pour les médecins en début de pratique et susceptibles d’intéresser tous les lecteurs du Médecin de famille canadien. Nous invitons tous ceux et celles qui en sont à leurs 5 premières années de pratique à présenter une contribution d’au plus 1500 mots (https://www.cfp.ca/content/Guidelines) au Comité sur les premières cinq années de pratique de la médecine familiale, à firstfive{at}cfpc.ca.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
This article is also in English on page 807.
- Copyright © 2023 the College of Family Physicians of Canada