Le dépistage est souvent considéré comme un effort noble et valable. La plupart des patients croient que le dépistage ne cause pas de préjudices et ne peut produire que des bénéfices pour la santé1. En tant que médecins, nous savons que ce n’est pas le cas. Cet article a pour but de passer en revue et d’expliquer certains des mythes problématiques entourant le dépistage. L’évolution des soins de santé, que ce soit pour les maladies infectieuses ou chroniques, a influencé notre approche envers le dépistage et a contribué à ces mythes. Nous avons présumé que nous pourrions nous attaquer aux maladies chroniques de la même manière que nous avons lutté contre les maladies infectieuses; cependant, non seulement la prise en charge des maladies chroniques n’est pas aussi simple, mais les résultats des tests diagnostiques pour ces maladies sont rarement certains. Cette incertitude est davantage amplifiée dans les résultats des tests de dépistage.
Le dépistage commence par la prémisse voulant qu’un test subi par une personne ou une population admissible asymptomatique, une fois ou périodiquement, puisse identifier un précurseur traitable d’une maladie (p. ex. pour la prévenir) ou détecter une maladie traitable à un stade plus précoce (p. ex. pour prévenir une morbidité et une mortalité plus élevées). Pour que le dépistage soit efficace, l’identification du problème doit conduire à des traitements efficaces et bénéfiques pour le patient (p. ex. réduire la morbidité et la mortalité) dans la mesure où l’ampleur des préjudices est acceptable. Pourtant, la recherche omet souvent de fournir les renseignements essentiels pour quantifier à la fois les bienfaits et les préjudices du dépistage2. Les patients et les cliniciens ne sont donc pas en mesure de juger de l’équilibre entre eux et de s’engager dans une véritable prise de décision partagée. Cette réalité alimente les présomptions et les mythes au sujet du dépistage.
Description du cas
En parcourant vos revues médicales en ligne, ce matin, vous êtes intrigué en apprenant qu’un nouveau test de dépistage de la démence permettrait sa détection des années avant l’apparition des symptômes. Votre première impression est que ce serait un test de dépistage utile dans votre milieu de pratique. Après une réflexion plus approfondie, vous vous demandez quels bienfaits pourraient être obtenus grâce à la détection précoce de la démence lorsqu’il n’existe pas encore de traitement spécifique susceptible de changer son évolution de manière substantielle. Vous réfléchissez aussi à la façon dont des résultats positifs à ce test diagnostique pourraient changer les décisions d’un patient à propos de sa vie, surtout en tenant compte de la possibilité de résultats faux positifs. Vous commencez à remettre en question les avantages d’une détection précoce d’autres maladies. De fait, vous vous demandez même si le dépistage sauve des vies.
Mythe 1 : le dépistage ne cause pas de préjudices
Certains tests de dépistage peuvent entraîner des bienfaits, mais les préjudices potentiels sont rarement discutés. Idéalement, lorsque nous identifions un plus grand nombre de personnes avec une maladie, nous devrions être capables de les traiter et d’améliorer les issues cliniques. Malheureusement, cela n’est pas le cas avec toutes les maladies détectées. Une fois qu’un diagnostic est posé, il n’est pas possible de savoir si la personne a été surdiagnostiquée (p. ex. maladie qui ne serait pas devenue apparente durant sa vie)3, ou s’il s’agit d’une maladie pour laquelle nous ne pouvons pas changer l’évolution ou d’une maladie pour laquelle nous pouvons améliorer les issues cliniques4. Plusieurs pensent que seule la dernière situation se produit.
Le surdiagnostic est une conséquence inhérente à toute forme de dépistage. Son occurrence, de même que d’autres préjudices potentiels comme les résultats faux positifs, devraient être estimés et discutés avec le patient au même titre que les bienfaits possibles pour déterminer si on procède ou non au dépistage. La compréhension par le patient et sa contribution à la prise de décision sont des composantes essentielles. Prenons par exemple un homme de 70 ans qui se sent bien. Après une prise de décision partagée, le patient a passé un test de dépistage de l’anévrisme de l’aorte abdominale (AAA)5. Un AAA a été découvert et le patient a subi une chirurgie. Il se peut que ce patient ait subi cette intervention chirurgicale pour un AAA qui ne lui aurait causé aucun symptôme durant toute sa vie. Le cas échéant, il s’agirait d’un surdiagnostic. Puisque l’AAA ne lui aurait pas causé de symptômes, le patient n’aurait tiré aucun bénéfice de l’intervention et pourrait potentiellement n’avoir subi que des préjudices (p. ex. complications chirurgicales). Même les personnes dont l’AAA est petit (se situant sous le seuil d’admissibilité à l’opération) pourraient subir les préjudices de la surveillance régulière qui s’ensuit. D’autre part, certaines personnes identifiées par un dépistage bénéficient effectivement d’une opération précoce. Puisque les médecins ne peuvent pas prédire l’avenir, nous ne pouvons pas savoir quels patients asymptomatiques ayant une « maladie » bénéficieront du dépistage et des interventions subséquentes. La discussion entourant les pour et les contre du dépistage doit se faire avant que la décision d’y procéder soit prise.
D’autres préjudices sont reliés aux tests eux-mêmes et aux autres investigations ou traitements ultérieurs possibles. Les résultats faux positifs peuvent inquiéter les patients, surtout s’ils sont fréquents. En plus de causer de l’anxiété à une personne en santé inquiète d’être malade, l’investigation des résultats positifs peut exiger des imageries diagnostiques et des biopsies additionnelles qui ne sont pas sans conséquences. Le dépistage comporte des bienfaits potentiels, mais comme dans toutes les décisions cliniques, il faut aussi discuter des préjudices potentiels et respecter les valeurs et les préférences des patients. Par exemple, nous discutons des avantages et des effets néfastes possibles d’amorcer une statine en prévention primaire avant de la prescrire. Il faudrait faire de même avant de décider d’un dépistage.
Mythe 2 : la détection précoce se traduit par de meilleures issues cliniques
L’une des croyances les plus courantes est qu’une détection précoce de la maladie produit toujours de meilleures issues cliniques chez les patients. Une détection précoce est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante pour que le dépistage soit bénéfique. Une augmentation du nombre de diagnostics plus précoces en elle-même n’est pas directement reliée à des bienfaits, à moins qu’une réduction de la maladie à un stade avancé ou de la mortalité puisse être démontrée.
Bell et Nijsten6 ont expliqué dans un commentaire comment le dépistage des mélanomes avait augmenté la détection précoce du problème sans avoir de répercussion sur le nombre de maladies à un stade plus avancé. De même, l’histoire du dépistage des neuroblastomes au Japon (à partir de 1985) constitue une mise en garde. Ce cancer a un meilleur pronostic s’il est diagnostiqué avant l’âge de 1 an, et le programme avait pour but de détecter plus tôt les neuroblastomes, lorsque le pronostic est plus favorable. Le dépistage a fait croître l’incidence des neuroblastomes, mais n’a pas changé le nombre d’enfants diagnostiqués plus tard (après 1 an), et la mortalité est demeurée semblable à celle observée dans d’autres pays sans programme de dépistage7. Comme dans l’exemple du dépistage des mélanomes, le dépistage a permis de découvrir les cas plus tôt, sans procurer de bienfaits dans l’ensemble. Le programme au Japon a été discontinué en 20048.
Un autre exemple de détection précoce de la maladie est celui de « l’épidémie » de cancers de la thyroïde, en Corée du Sud, qui a suivi le recours accru aux échographies de la thyroïde. Aux prises avec un taux grandissant de cancers de la thyroïde, de nombreux Sud-Coréens croyaient que le dépistage serait utile. En se fondant sur les mérites prônés de la détection hâtive, le dépistage du cancer de la thyroïde par échographie s’est traduit par des dizaines de milliers de patients surdiagnostiqués, sans changement dans la mortalité, même si presque tous les patients avaient été traités, dont plusieurs sont restés avec des séquelles9. Sans répercussions sur les bienfaits importants pour les patients et causant une grande augmentation des préjudices (p. ex. médicalisation, préjudices des traitements), le dépistage plus fréquent et la détection de plus de cas de la maladie n’ont pas démontré de bienfaits. Même si le dépistage du cancer de la thyroïde n’a pas fait l’objet de promotion au Canada, des hausses remarquables de l’utilisation de l’imagerie durant les années 1990 et le début des années 2000, surtout chez les femmes d’âge moyen, ont été observées, une fois de plus sans qu’il y ait de changement dans la mortalité10.
Nous pensons souvent que les maladies se comportent de manière uniforme et prévisible, comme il est illustré dans le modèle traditionnel de la progression du cancer à la Figure 111,12, mais la réalité est plus variable, comme le montre le modèle contemporain. Même le cancer n’est pas toujours une maladie linéaire et progressive, et c’est pourquoi nous devons répondre à la question « Est-ce mieux plus tôt? » avant de proposer un dépistage, quel qu’il soit. Nous avons besoin de données probantes étayant que plus tôt est réellement mieux, au moins pour certaines personnes, et d’avoir une bonne idée de l’ampleur des bienfaits et des préjudices potentiels.
Mythe 3 : les nouvelles technologies procurent plus de bienfaits
Lorsque de nouvelles technologies permettent la détection de plus de maladies, nous devons nous assurer que leur utilisation entraîne un équilibre général positif en ce qui a trait aux issues qui importent aux patients13. Par exemple, pensons à l’imagerie perfectionnée ou à l’ajout d’autres tests à des examens qui existent déjà, comme la tomodensitométrie à plus haute résolution. Depuis l’avènement de ce test « amélioré », il s’est produit une hausse marquée des diagnostics d’embolie pulmonaire, résultant en une incidence accrue sans diminution substantielle de la mortalité14. Voilà un exemple clair de surdiagnostics (en raison des constatations fortuites et non du dépistage). Dans le dépistage, la mammographie numérique, combinée à la tomosynthèse mammaire, peut détecter plus de cancers du sein que la mammographie seule15, mais cela ne devrait pas être considéré comme la garantie de meilleures issues cliniques pour les patientes. Cette nouvelle technologie pourrait être bénéfique, mais des renseignements sur la magnitude des bienfaits et des préjudices potentiels sont nécessaires pour informer nos patientes.
Le Tableau 1 décrit les diverses façons dont le dépistage peut élargir l’identification des maladies16. Un des problèmes persistants est le manque de données au sujet des bienfaits et préjudices potentiels en lien avec cette augmentation des cas de maladies.
Mythe 4 : le dépistage sauve des vies
Au sujet de nombreux programmes de dépistage, surtout de détection du cancer, on nous dit que le dépistage sauve des vies. Malheureusement, cette affirmation a rarement été prouvée, même si certaines études ont fait valoir des réductions dans la mortalité liée à une maladie en particulier. Par exemple, des revues systématiques sur le dépistage du cancer du sein ont démontré une petite réduction dans les décès attribuables au cancer du sein17, mais pas dans la mortalité globale. Ce fait revêt de l’importance puisque les messages clés sont souvent réduits à l’expression « le dépistage du cancer du sein sauve des vies », alors que le message entier devrait être que, pour chaque tranche de 1000 femmes dépistées à répétition, « le dépistage du cancer du sein peut réduire le nombre de décès dus au cancer du sein ». Le nombre varie selon l’âge, mais il se situe à environ 1 femme sur 1000 femmes dépistées durant leur cinquantaine ou leur soixantaine18.
La démonstration d’une réduction dans la mortalité toutes causes confondues est un défi global, mais en particulier pour les tests de dépistage pour lesquels la plupart des patients sont à risque très bas de décès. Il faudrait que les essais randomisés contrôlés soient très larges ou que la taille des effets soit considérable19. Comme stratégie, nous pouvons combiner des essais multiples pour augmenter la puissance statistique. Ce faisant, le seul test de dépistage du cancer pour lequel il a été démontré qu’il réduisait la mortalité toutes causes confondues de manière statistiquement significative est la sigmoïdoscopie flexible pour le cancer colorectal (risque relatif=0,97; IC à 95 % de 0,959 à 0,992, p=,004) avec une réduction du risque absolu de 3,0 décès par 1000 dépistages (IC à 95 % de 1,0 à 4,0) sur 11,5 ans de suivi20. Puisque le dépistage du cancer du col réduit l’incidence de la maladie, il est probable que son dépistage réduise aussi la mortalité21.
Parce que le dépistage cible des personnes asymptomatiques et que les résultats du dépistage peuvent entraîner de la médicalisation, il est important pour nos patients (et pour nous) de comprendre ce que sont les bénéfices (p. ex. mortalité due à cette maladie en particulier) et leur ampleur. Nous devrions éviter l’idée plus générale de sauver des vies. La réfutation des mythes entourant le dépistage par des données probantes est une étape importante dans la reconnaissance des façons dont le dépistage peut être utilisé plus judicieusement (Tableau 2).
Résolution du cas
À l’heure du midi, vous retournez à votre article en ligne au sujet du test de dépistage de la démence. Vous y lisez que le test a détecté la maladie plus tôt que les soins habituels, mais il n’y a pas d’information sur les issues importantes pour les patients (p. ex. nécessité de soins de longue durée, qualité de vie, mortalité), et les préjudices n’ont pas été signalés. Vous vous rendez compte que vous avez vu juste; plus de recherches sont nécessaires pour évaluer cette intervention. Vous décidez d’écrire un commentaire sous l’article. En lisant les commentaires précédents, vous réalisez que vous n’êtes pas la seule personne à douter de l’importance clinique de cette découverte.
Conclusion
Même si la maladie était un fardeau suffisant pour que le dépistage soit potentiellement approprié, une augmentation de son incidence ne devrait pas être la seule raison pour suggérer davantage de dépistage. Certains dépistages visent des maladies très rares dont les issues sont catastrophiques, parce que des approches efficaces existent pour éviter leurs conséquences (p. ex. maladies métaboliques chez les nouveau-nés), mais, en général, un dépistage populationnel pour un problème excessivement rare (p. ex. cancer du col chez les femmes de moins de 25 ans) causerait beaucoup de préjudices (p. ex. faux positifs) avec très peu de bienfaits, s’il en est. Des maladies peuvent augmenter en incidence en raison d’une épidémiologie changeante (p. ex. tabagisme, obésité, diabète). Si cela est soupçonné, des efforts devraient être déployés pour déterminer si une lutte systématique contre ces facteurs de risque serait plus efficace que le dépistage.
En 1968, Wilson et Jungner ont attiré l’attention sur le dépistage en définissant 10 principes régissant son utilisation22. Avec les connaissances que nous avons acquises depuis, nous nous rendons compte que ce que nous pensions être relativement simple est bien plus compliqué23.
Notes
Points de repère
▸ En lui-même, un diagnostic précoce n’est pas directement corrélé à des bienfaits, à moins qu’on puisse démontrer qu’il réduit les maladies à un stade avancé ou la mortalité.
▸ Le dépistage a des bienfaits potentiels, mais il n’est pas sans préjudices possibles, comme le surdiagnostic. La compréhension des bienfaits et des préjudices potentiels devrait précéder et éclairer la prise de décision partagée avec les patients à propos du dépistage.
▸ Puisque le dépistage cible des personnes asymptomatiques et que les résultats du dépistage peuvent entraîner la médicalisation, il importe que les patients et les cliniciens comprennent les bénéfices potentiels (p. ex. mortalité spécifique à une maladie) et leur ampleur.
Lectures suggérées
Welch HG. Should I be tested for cancer? Maybe not and here’s why. Oakland, CA: University of California Press; 2006.
Welch HG, Schwartz LM, Woloshin S. Overdiagnosed. Making people sick in the pursuit of health. Boston, MA: Beacon Press; 2012.
Dickinson JA, Thériault G, Grad R, Bell NR, Szafran O. Évaluer les nouveaux tests de dépistage. Une panacée ou du gaspillage? Can Fam Physician 2022;68:815-22 (ang), e310-7 (fr).
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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