Abstract
Question Récemment, un patient âgé de 3 ans que je voyais en cabinet a dû être rapidement transporté au service d’urgence. On lui a diagnostiqué une tachycardie supraventriculaire (TSV), et de l’adénosine lui a été immédiatement administrée. De quelles données probantes disposons-nous relativement à la prise en charge de la TSV chez les enfants?
Réponse La tachycardie supraventriculaire est un trouble cardiaque courant chez les patients pédiatriques. Elle se manifeste par une diminution de l’amplitude des complexes QRS sur l’électrocardiogramme. Les symptômes vont des palpitations, du manque d’appétit et de l’irritabilité à une instabilité hémodynamique plus significative. Les patients stables sur le plan hémodynamique peuvent bénéficier d’interventions comme les manœuvres vagales, qui peuvent être effectuées en cabinet. Ces manœuvres comprennent la manœuvre de Valsalva, la stimulation du réflexe de plongée (chez les enfants) et la compression unilatérale du sinus carotidien. Chez certains enfants, le rétablissement du rythme cardiaque normal peut demander un traitement pharmacologique consistant en de rapides injections intraveineuses d’adénosine administrées sous surveillance. Les patients présentant une instabilité hémodynamique pourraient nécessiter une cardioversion d’urgence.
La tachycardie supraventriculaire (TSV) est un trouble cardiaque relativement fréquent chez les patients pédiatriques, avec une prévalence allant d’un cas sur 250 à un cas sur 1000 chez les enfants en santé1. La tachycardie supraventriculaire est une forme d’arythmie où les impulsions électriques émises à tout point proximal d’une branche auriculoventriculaire (AV) entraînent une diminution de l’amplitude des complexes QRS, observable au moyen d’une électrocardiographie (la durée QRS normale varie durant l’enfance et peut être inférieure à 80 millisecondes pendant la période néonatale et inférieure à 120 millisecondes à l’adolescence)2.
La manifestation de la TSV peut varier en fonction de l’âge du patient. Les signes et les symptômes chez les nourrissons comprennent un manque d’appétit, des vomissements, de l’irritabilité, de la somnolence, des évanouissements et de la transpiration, de même qu’une pâleur, une toux et une détresse respiratoire dans les cas d’insuffisance cardiaque congestive3. Les bambins et les enfants d’âge scolaire peuvent présenter des palpitations, une douleur thoracique, des étourdissements, de l’essoufflement ou une syncope. Les adolescents, quant à eux, présentent fréquemment tous ces symptômes en plus d’une transpiration, de la fatigue et de l’anxiété3.
La tachycardie supraventriculaire est considérée comme une urgence lorsque le patient présente une instabilité hémodynamique, dans quel cas une intervention immédiate est requise. On observe chez ces patients une tension artérielle systolique basse pour leur âge, un état mental fortement altéré, des signes de choc, une douleur thoracique ou des symptômes d’insuffisance cardiaque sévère, et ils auront typiquement besoin d’une cardioversion d’urgence4. Les patients souffrant d’une TSV qui sont stables sur le plan hémodynamique présentent une fréquence cardiaque excessivement élevée devant être rétablie, puisqu’elle peut entraîner des symptômes inconfortables, mener à une décompensation hémodynamique et être récurrente si aucune mesure n’est prise. Diverses interventions peuvent être pratiquées pour rétablir le rythme cardiaque normal, dont les manœuvres vagales, le traitement pharmacologique et, dans certains cas, une cardioversion électrique.
Manœuvres vagales
Les manœuvres vagales sont considérées comme un traitement non invasif de première intention chez les enfants souffrant de TSV qui sont hémodynamiquement stables5. Ces manœuvres permettent d’accroître le tonus parasympathique, lequel augmente la période réfractaire du nœud auriculo-ventriculaire, et d’arrêter la TSV6. Parmi les manœuvres fréquentes, notons la manœuvre de Valsalva (p. ex. s’accroupir, expirer contre la glotte fermée), la stimulation du réflexe de plongée chez les nourrissons (p. ex. en plaçant un sac de glace sur le visage) et la compression du sinus carotidien (il importe de le faire d’un seul côté)3. Dans le cadre d’une étude, la manœuvre de Valsalva a produit le taux de réussite le plus élevé, à 47 %, suivi par le réflexe de plongée, à 5 %, alors que la compression du sinus carotidien avait un taux de réussite de 1,5 %7. De plus, la manœuvre de Valsalva a induit la prolongation de l’intervalle RR la plus longue durant le rythme sinusal et la TSV paroxystique7. Dans l’ensemble, ces manœuvres s’avèrent efficaces pour convertir la TSV dans 53 % des cas3.
Traitement pharmacologique
Le traitement pharmacologique primaire de la TSV comprend souvent l’adénosine par voie intraveineuse (IV), laquelle a une extrêmement courte demi-vie de 2 à 5 secondes et qui est connue pour sa rapidité d’action et ses effets secondaires minimes2. L’adénosine, une purine nucléoside naturelle qui se métabolise rapidement, découle de la dégénération de l’adénosine triphosphate8. Dans le cadre d’une étude publiée en 1929, des chercheurs de l’Université de Cambridge, en Angleterre, ont extrait de l’adénosine du cœur d’un taureau, puis l’ont injectée à un cochon d’Inde afin de provoquer un bloc cardiaque transitoire de haut degré9. L’action de l’adénosine est de prolonger la conduction AV, produisant un bloc transitoire sur la conduction myocardique dans le nœud atrioventriculaire (nœud AV), ce qui a pour effet de réduire la fréquence cardiaque10. La dose la plus fréquemment administrée par perfusion périphérique rapide est de 0,1 mg/kg, avec des doses consécutives de 0,2 et 0,3 mg/kg; chez les jeunes enfants de moins d’un an, la dose initiale est généralement ajustée à 0,15 mg/kg11. Si elle est administrée lentement, l’adénosine peut ne pas produire d’effets électrophysiologiques parce que son métabolisme par les cellules endothéliales et les globules rouges est rapide10. L’adénosine agit en quelques secondes, jusqu’à un maximum de 30 secondes8. Comme l’adénosine peut causer la fibrillation auriculaire, il est préférable d’avoir un défibrillateur à portée de main pendant l’administration du médicament.
L’adénosine est administrée par bolus rapide et est suivie, dans les 2 secondes suivantes, d’un rinçage avec une solution saline normale par une veine large; une technique connue sous le nom de « double seringue »10. Cette technique nécessite une ligne intraveineuse avec un robinet à 2 voies et 2 seringues, ce qui permet l’administration efficace de l’adénosine et de la solution saline10. La mise en pratique de cette technique en milieu rural peut ne pas être réalisable en raison du manque de personnel médical. La technique plus simple à une seule seringue est de combiner un bolus d’adénosine à une solution saline et de l’administrer par voie intraveineuse10.
Dans le cadre d’un essai pilote contrôlé, randomisé et multicentrique mené en Thaïlande par Kotruchin et coll.10 comparant la technique à une seule seringue avec celle à double seringue, le taux de conversion de la TSV stable chez les patients adultes (âge moyen de 54 ans) était de 93,3 % au moyen de la technique à double seringue et de 100 % au moyen de la technique à une seule seringue (15 patients dans chaque groupe). La dose totale menant à la cessation de la TSV était légèrement inférieure au moyen de la technique à une seule seringue (7,6 mg contre 8,6 mg, respectivement), mais la différence n’était pas statistiquement significative (P=,608). Bien que la technique à une seule seringue ait produit un taux de réussite supérieur, la différence n’était pas non plus statistiquement significative.
Un robinet à 2 ou 3 voies est généralement utilisé pour administrer l’adénosine par voie intraveineuse. Une étude s’est d’ailleurs penchée sur l’incidence du volume nominal inutilisable de ces robinets lors de l’administration de l’adénosine aux nourrissons de faible poids12. Les doses préparées pour un nourrisson de 5,5 kg et pour un autre de 12,5 kg (poids dans le 95e percentile pour des nourrissons d’un mois et d’un an, respectivement) ont affiché une perte de 56 % et de 21 %, respectivement. Cette perte était attribuable au volume nominal inutilisable de 0,1 ml du robinet12. Dans une étude rétrospective menée au Royaume-Uni, la dose indiquée de 0,1 mg/kg était efficace dans moins de 25 % des cas chez les nourrissons (âgés de 1 à 72 jours) et dans moins de 50 % des cas chez les enfants (âgés de 17 mois à 15 ans), alors qu’une dose de 0,15 mg/kg était efficace chez 35 % des nourrissons et 80 % des enfants13. Ces résultats peuvent découler de la perte d’une certaine quantité de la dose attribuable à la technique d’administration14. Afin d’éviter toute perte, on peut injecter la dose directement au moyen d’une ligne IV ou encore tenir compte du volume nominal inutilisable du robinet dans le calcul de la dose.
Dans les cas de TSV aiguë, les autres traitements possibles comprennent l’esmolol, un β1-bloquant à action rapide (délai d’action : de 2 à 10 minutes lorsqu’administré par voie IV), et la procaïnamide, un antiarythmique de classes IA (agent bloquant du canal sodique; délai d’action : de 5 à 10 minutes lorsqu’administrée par voie IV). Le métabolisme hépatique de la procaïnamide produit un métabolite cardioactif (N-acétylprocaïnamide) comportant des propriétés antiarythmiques de classe III6. La prudence est de mise pour l’utilisation de ces 2 médicaments. L’esmolol peut causer une insuffisance ventriculaire grave et doit être utilisé avec prudence chez les patients asthmatiques6. La procaïnamide peut également causer une insuffisance ventriculaire avec hypotension, allonger l’intervalle QT chez les patients atteints du syndrome du QT long, ou causer une altération de la fonction rénale6. Idéalement, il convient de consulter un cardiologue pédiatrique lorsqu’on envisage une médication de deuxième intention.
Les traitements médicamenteux possibles pour la prise en charge à long terme de la TSV comprennent la digoxine, le propranolol et l’amiodarone. La digoxine, un glucoside cardiotonique (délai d’action : de 5 à 60 minutes lorsqu’administrée par voie IV), est souvent considérée comme une monothérapie prophylactique de première intention lorsque la TSV est détectée6. Ce médicament a un index thérapeutique étroit et peut entraîner une bradycardie ou une arythmie grave chez les nouveau-nés et les nourrissons. Il importe de noter que la digoxine est contre-indiquée chez les patients atteints du syndrome de Wolff-Parkinson-White, puisqu’elle peut en aggraver les symptômes6. Le propranolol est un β-bloquant non sélectif et une monothérapie de première intention lorsqu’il est administré oralement pour le traitement de la TSV chez les nourrissons. L’amiodarone est un antiarythmique de classe III (délai d’action : de 2 à 21 jours lorsqu’administrée oralement). La prise orale d’amiodarone a été associée à une photosensibilité, à la dysfonction thyroïdienne et à la dysfonction hépathique6.
Lorsque l’adénosine ne donne pas de résultats
La courte demi-vie de l’adénosine est avantageuse lorsqu’on tient compte de la nature transitoire des effets indésirables. Dans certains cas cependant, il n’est pas recommandé d’utiliser l’adénosine, notamment chez les patients asthmatiques ou dont la TSV n’est pas dépendante du nœud AV.
On fait généralement preuve de prudence dans l’administration d’adénosine aux patients souffrant d’asthme ou d’une maladie pulmonaire obstructive chronique, ou qui prennent régulièrement de la méthylxanthine, parce que l’adénosine tend à causer un bronchospasme15. Toutefois, chez les personnes dont la fonction respiratoire est normale, la bronchoconstriction induite par l’adénosine n’est pas fréquente et est souvent confondue avec la dyspnée15. Il est indiqué de faire preuve de prudence lorsqu’on administre de l’adénosine à cette cohorte de patients.
Dans certains cas, l’adénosine ne produit pas de résultats contre l’arythmie. Il s’agit généralement de cas pour lesquels la TSV n’est pas dépendante du nœud AV, notamment les cas de tachycardie auriculaire, de fibrillation auriculaire et de flutter auriculaire16. Ces types d’arythmie n’étant pas dépendants du nœud AV, l’adénosine ne cible pas la pathogénie sous-jacente16.
Conclusion
La prise en charge de la TSV en pédiatrie comprend un éventail de stratégies adaptées à l’âge du patient et de son état hémodynamique. Une intervention rapide est cruciale chez les patients qui présentent une instabilité hémodynamique, nécessitant souvent une cardioversion, alors que les patients hémodynamiquement stables peuvent bénéficier d’approches non invasives comme les manœuvres vagales ou les traitements pharmacologiques, dont l’adénosine comme traitement de première intention. Dans la mesure du possible, une consultation en cardiologie devrait être demandée pour les patients qui ne répondent pas au traitement à l’adénosine.
Notes
Mise à jour sur la santé des enfants est produite par le programme de recherche en thérapeutique d’urgence pédiatrique (PRETx à http://www.pretx.org) du BC Children’s Hospital à Vancouver, en Colombie-Britannique. Emaan Abbasi et Dr Sakethram Saravu Vijayashankar sont membres et le Dr Goldman est directeur du programme PRETx. Le programme PRETx a pour mission de favoriser la santé des enfants en effectuant de la recherche fondée sur les données probantes en thérapeutique dans le domaine de la médecine d’urgence pédiatrique.
Avez-vous des questions sur les effets des médicaments, des produits chimiques, du rayonnement ou des infections chez les enfants? Nous vous invitons à les poser au programme PRETx par télécopieur, au 604 875-2414; nous y répondrons dans de futures Mises à jour sur la santé des enfants. Les Mises à jour sur la santé des enfants publiées sont accessibles dans le site web du Médecin de famille canadien (https://www.cfp.ca).
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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