
La plupart des gens ne deviennent pas adultes. La plupart des gens vieillissent. Ils trouvent des places pour se garer, paient leurs cartes de crédit, se marient, ont des enfants et appellent cela de la maturité. En fait, cela, c’est vieillir.
Maya Angelou
La compression de la morbidité, une hypothèse avancée par le Dr James Fries en 19801, demeure un concept important dans la recherche sur le vieillissement et la santé de la population. Ce principe a aussi été appelé la rectangularisation des courbes de la mortalité et de la morbidité. Il évoque une dynamique idéale de la santé populationnelle selon laquelle les personnes vivent longtemps et en bonne santé, et les déclins rapides dans les fonctions physiques et cognitives ne se produisent que durant les derniers mois de leur vie2.
À titre de médecin de famille vieillissant auprès de patients vieillissants, car près de la moitié de mes patients ont maintenant 65 ans ou plus, je vis et respire le fait que la compression de la morbidité ne s’est pas déroulée comme prévu. Je vois plutôt une accumulation graduelle des problèmes de santé, qui complique de plus en plus les soins prodigués à mes patients plus âgés3. L’un des plus importants facteurs se situe dans les effets d’une iniquité grandissante sur le plan des déterminants sociaux de la santé. Les personnes bien nanties peuvent bénéficier d’une compression de la morbidité, mais les personnes plus âgées, à plus faible revenu et qui ont été racialisées n’en profitent généralement pas4. Dans ma propre pratique, ce phénomène m’a forcé à ralentir, à réduire le nombre de personnes vues dans chaque clinique et à consacrer de plus en plus de temps à aider mes patients à naviguer dans les systèmes spécialisés et hospitaliers.
Selon moi, l’impact du vieillissement de la population, le fait que la compression de la morbidité ne se soit pas amplement concrétisée et qu’on nous demande de plus en plus d’exercer au « bord du chaos3 » sont peu reconnus comme des facteurs qui contribuent à la crise actuelle dans les soins de santé et la médecine familiale au Canada, des facteurs oubliés dans notre planification.
Le contenu de l’édition de février reflète la manière dont Le Médecin de famille canadien aspire à soutenir tous les médecins de famille qui soignent des personnes âgées.
Le numéro présente la deuxième partie d’une révision clinique pratique sur la maladie de Parkinson (MP) par le Dr Chris Frank et ses collègues (page e26)5. Tant le diagnostic que le traitement de la MP nous posent des défis en tant que médecins de famille5,6. Étant donné que la MP est le problème neurodégénératif dont la croissance est la plus rapide et que l’accès à des soins spécialisés est limité dans de nombreuses régions du Canada, comme c’est le cas d’ailleurs pour d’autres problèmes de santé chroniques complexes, nous pouvons nous attendre à ce que les médecins de famille soient de plus en plus appelés à jouer un rôle central dans les soins aux personnes atteintes de cette maladie.
De nombreux lecteurs connaissent peut-être déjà le Dr Frank, un médecin de famille de Kingston (Ontario) qui s’intéresse particulièrement aux soins aux personnes âgées et qui a contribué à la revue des révisions cliniques et des séries continues d’articles comme les Perles gériatriques pendant de nombreuses années. Dans un essai récent, intitulé « A physician’s grief observed », il parle d’un autre aspect des soins à une population vieillissante, qui passe souvent sous silence, et offre du réconfort à cet égard : le sentiment de deuil au décès d’un patient7.
L’édition de février inclut aussi un important rapport de cas rédigé par Kwame Agyei et le Dr Donald F. Weaver, qui démontre l’impact des déterminants sociaux de la santé et de la malnutrition sur le diagnostic d’une femme de 92 ans qui vit dans un désert alimentaire (page 103)8. Il s’agit d’un autre rappel important de toutes les connaissances que peuvent acquérir les médecins de famille à partir des particularités de la vie des patients.
Enfin, nous présentons une étude de recherche par la Dre Andrea Gruneir et ses collègues de l’Université de l’Alberta, à Edmonton, qui examine les répercussions de la vie avec la démence et du recours aux services de soins aigus (page 115)9. Ils ont constaté que les personnes plus âgées atteintes de démence vivent de fréquentes transitions dans les soins, souvent multipliées, et ils démontrent les défis auxquels se heurtent les patients, leur famille et les médecins de famille pour naviguer dans un système de santé sous pression.
L’hypothèse de la compression de la morbidité demeure très influente et continue de façonner les approches de réflexion sur le vieillissement en santé, mais ses limites ont été démontrées4. De bien des façons, elle demeure ambitieuse. Alors longue vie à l’hypothèse de la compression de la morbidité. Souhaitons qu’elle devienne une réalité pour nous tous.
Footnotes
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