Les lignes directrices de pratique clinique ont pour but de soutenir la prestation de services de santé préventive par les cliniciens. Malheureusement, il arrive souvent qu’elles ne fournissent pas les renseignements dont nous avons besoin pour avoir des discussions avec nos patients. Lorsque nous proposons un test de dépistage, il nous faut de l’information sur ses possibles bienfaits et préjudices. Le surdiagnostic constitue l’un de ces préjudices.
Pour bien des gens, le concept de surdiagnostic demeure nébuleux. L’une des raisons possibles est l’emploi de ce terme dans différentes circonstances, ce qui est susceptible d’engendrer la confusion. Un autre article de la série Prévention en pratique a traité des causes et des conséquences du surdiagnostic avec des exemples tirés du dépistage de maladies établies1. Dans le présent article, nous présentons des exemples de surdiagnostic dans d’autres situations, afin d’éclaircir ce concept et d’aider les cliniciens à fournir des renseignements utiles à leurs patients. Nous fournissons des exemples de surdiagnostics qui se produisent lorsque le résultat du dépistage est le risque futur d’une issue clinique. Nous traitons aussi des incidentalomes et de l’identification des prémaladies, qui peuvent également donner lieu à un surdiagnostic. Des renseignements sur le surdiagnostic dans différents contextes sont nécessaires pour éclairer la prise de décisions partagée et réduire au minimum les préjudices des interventions de dépistage.
Description du cas
Marc a 68 ans. Étant donné son âge, vous décidez de procéder au dépistage du diabète, de l’ostéoporose et de l’anévrisme de l’aorte abdominale (AAA). Vous prescrivez les tests sans avoir calculé son risque de diabète ou de fracture de fragilisation et sans décision partagée au sujet du dépistage de l’AAA. Le résultat du taux d’hémoglobine glyquée A1c (HbA1c) de Marc est de 6,1 %, sa densité minérale osseuse (DMO) est normale et l’échographie révèle une aorte normale, mais la glande surrénale gauche présente une lésion de 1 cm.
Le radiologiste recommande la réalisation d’une autre échographie dans 6 mois et d’une autre ostéodensitométrie dans 2 ans. Vous ne savez pas quelles informations sont pertinentes à discuter avec Marc au sujet du prédiabète qui vient d’être découvert. Vous l’encouragez à être actif et à bien manger, mais vous vous demandez si l’étiquette de prédiabète nuira à sa qualité de vie ou au contraire, si elle l’aidera à éviter des complications plus tard.
Une infirmière vous entend parler de Marc avec un collègue et vous offre de le voir pour son prédiabète. Elle est convaincue qu’une intervention précoce ne peut être que bénéfique. Pour ce qui est de l’échographie de suivi, vous estimez ne pas avoir le choix de la demander. Lorsque vous expliquez la situation à Marc, il s’inquiète du fait qu’il est maintenant « à risque » (c.-à-d. que quelque chose ne va pas). Après le départ de Marc, vous vous demandez si, avec ces nouveaux diagnostics, il est la victime d’un surdiagnostic.
Qu’est-ce que le surdiagnostic?
Le surdiagnostic est le diagnostic d’une condition qui, si elle n’était pas constatée, n’engendrerait pas de symptômes ni ne causerait de tort à un patient au cours de sa vie2. Contrairement aux faux positifs, les patients surdiagnostiqués sont atteints de la pathologie (c.-à-d. que le résultat est un vrai positif). Comme elles ne peuvent tirer profit de ce diagnostic, ces personnes ne peuvent qu’en être affectées, soit physiquement (en raison des investigations et du traitement), soit psychologiquement (du fait d’être étiquetées malades).
Dans la littérature, on traite surtout du surdiagnostic dans le contexte du dépistage du cancer. Cependant, il peut aussi découler d’interventions qui identifient des problèmes de santé qui ne sont pas des maladies, comme l’ostéoporose, qui, en fait, n’est qu’un élément laissant suspecter un risque de fractures de fragilisation. Ce qui rend le problème encore plus complexe, c’est que le surdiagnostic ne se limite pas au contexte du dépistage, mais qu’il peut aussi se produire en suivant les parcours diagnostiques (p. ex. la découverte d’incidentalomes par l’imagerie) (Encadré 1)3. Les cliniciens ont besoin de moyens pratiques leur permettant de prendre en considération le surdiagnostic dans différentes circonstances. Cela les aidera à tenir compte des renseignements sur ce préjudice lors des discussions menant à une prise de décisions partagée.
Surdiagnostic : ce qui le cause et ce qu’il n’est pas
Facteurs susceptibles de donner lieu à un surdiagnostic
L’abaissement des seuils de diagnostic d’une maladie (les personnes à plus faible risque deviennent étiquetées et toutes ne tireront pas avantage de cette situation)
La surdétection (les tests plus sensibles) est susceptible d’augmenter les cas de surdiagnostic
La surutilisation des tests peut mener à la découverte d’incidentalomes (beaucoup de tests donnent lieu à un surdiagnostic)
Le dépistage (le surdiagnostic constitue une conséquence inévitable du dépistage; son ampleur varie selon le type de test)
Ce que le surdiagnostic n’est pas
Le surdiagnostic n’est pas synonyme de diagnostic erroné (le surdiagnostic est un vrai diagnostic)
Le surdiagnostic n’est pas synonyme de faux positif (au bout du compte, on constatera que le faux positif n’est pas révélateur d’une maladie)
Le surdiagnostic n’est pas synonyme de surtraitement (il peut y avoir surtraitement sans surdiagnostic)
Le surdiagnostic n’est pas synonyme de surutilisation ou de surdépistage (un surdiagnostic peut résulter d’un surdépistage, mais il n’est pas la seule conséquence de celui-ci)
Données provenant de Brodersen et coll3.
Le surdiagnostic et l’élargissement des définitions de maladies
La définition des maladies peut évoluer au fil du temps. Par exemple, l’abaissement des valeurs seuils de glycémie à jeun a augmenté le nombre de patients qui reçoivent un diagnostic de diabète de type 24. Cependant, les personnes chez qui le diabète vient d’être identifié ne tireront pas toutes avantage de ce diagnostic. Certaines d’entre elles pourraient en bénéficier, mais l’étiquette de personne malade nuira à d’autres. Les changements de seuils de diagnostics donnent habituellement lieu à une hausse des personnes ayant un problème de santé, avec tout ce que cela entraîne, y compris des conséquences psychosociales et financières indésirables, et la possibilité d’un surtraitement. Lorsque les seuils sont abaissés, de nombreuses personnes chez qui l’on vient de constater une maladie sont en fait surdiagnostiquées (Figure 1). Malheureusement, la plupart du temps, aucune évaluation des préjudices possibles n’est incluse dans le processus de redéfinition d’une maladie5.
Il y a de nombreux autres exemples de personnes surdiagnostiquées à la suite de l’élargissement des critères de définition d’une maladie (p. ex. l’hypertension)6. Dans le cas de l’insuffisance rénale chronique, la décision de recourir au même seuil de débit de filtration glomérulaire estimé pour tous les adultes (au lieu de seuils ajustés selon l’âge) a gonflé les taux de diagnostics chez les aînés et le nombre de recommandations d’interventions subséquentes, sans bienfait apparent7. Il semble évident qu’avant d’accepter une nouvelle définition pour une maladie, nous devrions être sûrs que ce changement sera plus bénéfique que préjudiciable.
Certaines directives sont allées plus loin et ont créé des catégories de maladie, comme le prédiabète. Il est difficile d’estimer la prévalence du prédiabète parce que des critères variables sont employés pour le définir. Dans une revue systématique de l’efficacité du dépistage, 5 études ont fourni des renseignements sur la prévalence du prédiabète en se servant de critères diagnostiques différents8. Seulement l’une d’elles, une étude de cohorte réalisée en Angleterre9, a utilisé les critères du prédiabète établis par l’Organisation mondiale de la Santé (c.-à-d. une glycémie plasmatique à jeun de 6,0 à 6,9 mmol/L, une intolérance au glucose de 7,0 à 11,1 mmol/L ou un taux d’HbA1c de 6,0 à 6,4 %), qui sont semblables à ceux suggérés par Diabète Canada10. Les autres études ont employé les critères de l’American Diabetes Association, qui sont trop différents pour donner des approximations correspondant à la situation canadienne. La revue systématique a souligné que 27 % des adultes (âgés de 40 à 75 ans) inclus dans l’étude de cohorte anglaise étaient atteints de prédiabète. Dans la moitié des cas, le diagnostic n’avait été établi qu’avec le taux d’HbA1c8,9. Cette proportion soulève en soi de nombreuses questions.
Environ 3,5 % des personnes atteintes de prédiabète (défini comme étant un taux d’HbA1c de 6,0 à 6,4 %) deviendront diabétiques durant l’année qui suit11. Les interventions axées sur le mode de vie pourraient éviter, à certaines personnes, la progression vers un diagnostic de diabète. Dans les essais où de telles interventions ont duré de 6 mois à 2 ans, environ 7 % des prédiabétiques assignés à l’intervention sont devenus diabétiques par rapport à 10 % dans les groupes sans intervention8. Lorsque les interventions se prolongeaient sur 3 à 6 ans, les proportions respectives étaient de 17 et 24 %8. Une ou 2 séances avec une infirmière ou un diététiste pourraient ne pas suffire pour produire des résultats semblables. Étant donné la prévalence du prédiabète, il faudrait de nombreuses heures de temps clinique pour parvenir à ce bienfait potentiel.
Auriez-vous dû faire subir un test de dépistage du diabète à Marc? Seulement 2 essais se sont penchés sur le dépistage du diabète12. Aucun n’a montré d’effet bénéfique sur la mortalité, les événements cardiovasculaires, la néphropathie ou la rétinopathie. Pourtant, compte tenu des renseignements provenant d’études de modélisation, le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs13 recommande le dépistage du diabète, mais seulement chez les personnes courant un risque élevé ou très élevé d’être atteints de la maladie selon des scores déterminés avec un calculateur de risque validé (comme le score finlandais de risque de diabète [Finnish Diabetes Risk Score ou FINDRISC]14). Cela implique qu’on ne procède pas au dépistage de tout le monde, mais seulement des personnes à risque selon un outil comme le questionnaire FINDRISC. Si vous aviez calculé le risque de diabète de Marc, son score FINDRISC aurait été de 10 (indiquant que son risque d’être diabétique au cours des 10 prochaines années se situe entre 1 et 17 %)14. Ce faible niveau de risque signifie que vous n’auriez pas dû procéder au dépistage13.
Bien que les interventions axées sur le mode de vie soient connues pour avoir des effets bénéfiques pour la santé globale, aucune intervention de ce type ou pharmacologique proposée aux prédiabétiques n’a démontré d’incidence sur les issues cliniques importantes pour les patients, comme la mortalité ou les maladies cardiovasculaires15 (sauf dans le cas d’un essai—sur les 38 examinés lors d’une revue des données probantes12—qui, malheureusement, ne comportait pas des groupes semblables au départ). Par conséquent, l’importance de détecter le prédiabète demeure une question controversée. Nous devrions donc réfléchir au problème de l’étiquetage des patients comme étant prédiabétiques.
La découverte d’un risque d’une issue clinique
Certains tests de dépistage déterminent le risque d’une maladie. À l’instar des taux élevés de cholestérol sérique, une faible masse osseuse n’est pas une maladie, mais un facteur de risque de maladie ou de problème de santé. En tant que tel, le dépistage pour la prévention des fractures de fragilisation implique un calcul de risque, dans le but d’informer les patients de leur probabilité de subir une telle lésion. Quant à la question de prévenir les fractures de fragilisation chez les hommes, un seul essai non randomisé du dépistage a été publié16 et a révélé qu’il ne procurait aucun bienfait. Il faudrait peut-être attendre de meilleures données probantes avant de procéder à un dépistage pour prévenir les fractures de fragilisation chez les hommes qui ne présentent pas de risque élevé.
Chez les femmes, les plus récents essais ont fait appel à une certaine forme d’identification du risque avant de proposer aux participantes une ostéodensitométrie17,18. Par exemple, chez une femme du même âge que Marc, vous pourriez utiliser l’outil d’évaluation du risque de fracture (Fracture Risk Assessment Tool [FRAX])19 et constater que votre patiente court un certain risque au cours des 10 prochaines années. Même si un risque élevé est identifié, le traitement préventif ne sera pas bénéfique pour toutes les femmes. Certaines se fractureront un os de toute façon, tandis que d’autres ne connaîtront pas ce problème même si elles ne sont pas traitées. Seul un sous-ensemble de femmes ne subira pas de fracture parce qu’elles auront fait l’objet d’un dépistage, puis d’un traitement. Dans ce contexte, le surdiagnostic définit les personnes classées (étiquetées) comme étant à risque élevé et susceptibles de faire l’objet d’autres évaluations ou de traitements préventifs, mais qui, sans dépistage, n’auraient jamais su qu’elles couraient un tel risque et n’auraient jamais subi de fracture20. On pourrait toujours discuter de l’opportunité d’appliquer le terme surdiagnostic au risque d’un événement futur, mais l’étiquette de personne courant un risque accru comporte ses propres conséquences.
À moins que Marc soit atteint d’une maladie concomitante ou qu’il prenne des médicaments qui l’exposent à un risque élevé de faible densité osseuse, le dépistage n’est pas justifié. Chez les femmes de 65 ans et plus, les essais ont montré que le dépistage comportait des avantages limités17,18. La prise de décisions partagée est importante pour aider les patientes à décider si elles veulent des examens plus poussés (p. ex. un test de DMO) qui pourraient donner lieu à un traitement préventif.
Incidentalomes
Les techniques d’imagerie évoluent rapidement. Comme les tests deviennent plus sensibles, nous pouvons déceler des anomalies non reconnues auparavant. Par exemple, le recours à la tomodensitométrie thoracique (test plus sensible) pour diagnostiquer l’embolie pulmonaire, donne lieu à une prévalence accrue de cette maladie21. Le problème, c’est qu’une proportion non négligeable des personnes concernées ne tirent aucun bienfait de ce nouveau diagnostic21.
Comme lors du changement des critères de diagnostic, lorsque nous employons de nouveaux tests diagnostiques ou de dépistage sans avoir d’abord examiné leur impact ou lorsque nous nous fions à des marqueurs de substitution (p. ex. en comptant le nombre de diagnostics), nous nous retrouvons avec une idée incomplète de l’équilibre entre les bienfaits et les préjudices pour les personnes qui viennent de recevoir un diagnostic5.
Les découvertes fortuites en imagerie sont fréquentes et surviennent, que le test soit nécessaire ou non (p. ex. des nodules thyroïdiens constatés lors d’une tomodensitométrie thoracique). Leur prévalence est très variable, mais assez courante pour être préoccupante22. Les problèmes constatés peuvent être bénins ou malins. Même s’ils sont malins, il est loin d’être évident que nous pouvons améliorer les issues cliniques des patients du fait de la découverte du problème. Par conséquent, de nombreux incidentalomes (bénins ou non) sont en fait surdiagnostiqués. Si ces diagnostics sont établis par un test qui n’était pas nécessaire ou une intervention de dépistage qui n’avait pas fait l’objet d’une décision partagée, nous sommes vraiment en train de créer un préjudice.
Résolution du cas
Marc est de retour pour un rendez-vous de suivi. Il a eu une discussion d’une heure avec l’infirmière. Il a peu modifié son style de vie, étant donné que, déjà, il était actif et mangeait bien. L’échographie de suivi montre une lésion stable, et aucun suivi n’est justifié à ce stade-ci. Vous discutez des résultats de son examen d’ostéodensitométrie et décidez de reporter les tests supplémentaires. Comme il n’y a aucune recommandation précise sur le moment du prochain dépistage du diabète, vous décidez de vérifier son taux d’HbA1c dans 2 ou 3 ans.
Vous avez décidé que dorénavant, vous ne prescririez plus de test de dépistage de l’AAA sans décision partagée avec le patient. En outre, vous verrez à ne pas étiqueter votre patient comme étant prédiabétique, mais vous lui prodiguerez des conseils en matière de style de vie et organiserez un suivi. En ce qui concerne les incidentalomes, vous vous rendez compte qu’ils sont inévitables, mais aussi que vous pouvez réduire ce risque en vous assurant de ne prescrire que les tests de dépistage qui, selon les données probantes d’essais contrôlés randomisés, apportent plus de bénéfices que de préjudices.
Conclusion
Étant donné que les préférences des patients à l’égard des interventions de dépistage varient, il importe de fournir des renseignements sur la possibilité d’un surdiagnostic, ainsi que sur le fardeau potentiel de celui-ci. Cela est particulièrement vrai lorsqu’il y a un équilibre entre les bienfaits et les préjudices potentiels d’une intervention. Les cliniciens ne doivent pas supposer que leurs patients comprennent les issues cliniques possibles associés aux interventions de dépistage.
Notes
Points de repère
▸ Le sujet du surdiagnostic a le plus souvent été abordé dans le contexte du dépistage du cancer, mais ce préjudice survient aussi dans d’autres formes de dépistage et lors de tests diagnostiques. Pour que la prise de décisions soit partagée dans la pratique, nous devons comprendre les conséquences de ce préjudice.
▸ L’abaissement du seuil de diagnostic des maladies a le potentiel d’augmenter le nombre de surdiagnostics.
▸ Donner un diagnostic (étiquetage) à un patient peut s’avérer nuisible.
Lectures suggérées
Welch GH, Schwartz LM, Woloshin S. Overdiagnosed: making people sick in the pursuit of health. Boston, MA: Beacon Press; 2012.
Van den Bruel A. The triumph of medicine: how overdiagnosis is turning healthy people into patients [editorial]. Fam Pract 2015;32(2):127-8.
Footnotes
Remerciements
Nous remercions Vanessa Ross et Sophie Valence, étudiantes en médecine à l’Université McGill de Montréal (Québec), pour la création de la Figure 1.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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