« Juste un généraliste? » Les gens posent toujours cette question. Et, comme s’ils récupéraient et s’évadaient de leur propre malaise, ils poursuivent invariablement en disant quelque chose comme « Bien sûr, nous avons certainement besoin d’un plus grand nombre de médecins communautaires ». D’après mon expérience, ce sentiment est habituellement spontané et issu de l’ignorance ou d’une sympathie mal placée, ce qui provoque la dissonance cognitive. Après tout, la médecine familiale (MF) est exigeante et n’est pas aussi prestigieuse ou lucrative que les « spécialités » médicales. Aussi innocente et naïve que soit la question, elle n’en est pas moins contre-productive et humiliante pour ceux qui poursuivent (ou aspirent à poursuivre) une carrière en MF. Les paragraphes suivants expliquent comment les gens devraient reconsidérer la MF et ce que les résidents en MF peuvent faire ou dire quand on leur dit « Juste un généraliste? »
D’abord, au Canada, les médecins de famille sont des spécialistes. Le mot généraliste ou omnipraticien est souvent utilisé pour désigner un médecin de famille, mais généraliste peut aussi s’appliquer aux médecins de famille, aux internistes, aux pédiatres, aux infirmières praticiennes et à d’autres professionnels de la santé membres de l’équipe qui travaille en soins primaires. De fait, tous les résidents en MF formés au Canada doivent réussir l’examen de Certification en médecine familiale du Collège des médecins de famille du Canada et l’examen d’aptitude du Conseil médical du Canada pour être admissibles à la pratique autonome; le premier met rigoureusement à l’épreuve les candidats sur des sujets comme les compétences en communication, le professionnalisme, la sensibilité culturelle et la pensée critique. Comparée à une spécialisation dans un seul domaine (p. ex. obstétrique et gynécologie), la désignation CCMF reflète l’expertise médicale dans plus de 100 sujets répartis dans de multiples domaines cliniques, de la santé mentale et des dépendances aux soins prénataux et à la pédiatrie, de la médecine de soins aigus à la prise en charge des maladies chroniques, en passant par la médecine gériatrique et les soins palliatifs. Par conséquent, les médecins de famille sont peut-être généralistes de nature, mais ils sont véritablement des spécialistes dans le travail qu’ils accomplissent, soit des spécialistes du traitement de la personne dans son intégralité durant toute sa vie.
Deuxièmement, l’accès à un médecin de famille est ce dont notre société a le plus besoin. En mai 2022, la Dre Katharine Smart, alors présidente de l’Association médicale canadienne, insistait sur le fait que 4,6 millions de Canadiens n’ont toujours pas régulièrement accès à un professionnel des soins primaires1. La situation est très problématique, parce que la MF est considérée comme le fondement sur lequel repose le reste du système de santé et que la continuité en MF rehausse la qualité des soins de santé aux patients, tout en réduisant le potentiel de préjudices médicaux et psychologiques, et en favorisant chez les patients et les médecins une vie plus satisfaisante et remplie de sens2. Les médecins de famille sont aussi des chefs de file en éducation médicale, en santé publique et en sensibilisation communautaire (p. ex. changement climatique, droits des femmes), et devenir médecin de famille exige un minimum de 10 ans d’études postsecondaires3. Pourquoi alors la MF continue-t-elle d’être perçue comme n’étant pas suffisante, même par nos propres collègues? Très étrange, en effet.
Troisièmement, depuis quand une spécialité médicale est-elle devenue meilleure qu’une autre? Personne ne demande « Juste un neurologue? » Cette attitude met en évidence la tendance inhérente des gens à se concentrer sur les objectifs extrinsèques de la médecine (p. ex. statut, influence, revenu) plutôt que sur les buts intrinsèques (p. ex. satisfaction professionnelle, intérêt dans le travail, contribution à la communauté), qui sont corrélés avec un plus grand engagement, un meilleur rendement, la satisfaction et le bien-être4. Je crois que cet accent mal placé fait partie de ce qui éloigne les apprenants de la MF : il n’y a qu’à regarder les taux à la baisse des demandes d’admission dans ce précieux domaine1. Même si les médecins de famille traitent effectivement la toux et le rhume et remplissent une foule de formulaires (soupir), la MF est l’un des meilleurs emplois pour l’équilibre travail-famille, et bon nombre d’entre nous adorent ce travail! Non seulement est-il épanouissant en raison des heures décentes, de la continuité des soins, des relations et de la collégialité qui ne sont simplement pas retrouvées dans d’autres domaines de la médecine, mais il offre aussi l’un des champs de pratique les plus flexibles, si ce n’est le plus flexible qui soit : travailler en clinique, aux services d’urgence, à l’hôpital ou en soins de longue durée, faire des visites à domicile, travailler au grand air et même dans l’espace! De plus, la rémunération est en réalité très bonne, juste pour réfuter un mythe que les gens semblent perpétuer.
Dans une large mesure, il incombe à nos politiciens et aux dirigeants de la santé publique de régler ces problèmes : réinvestir dans la MF et lui accorder la priorité, et rappeler à tout le monde au Canada l’importance et la grande compétence des médecins de famille. Par ailleurs, entre-temps, les apprenants et les praticiens en MF doivent jouer un rôle dans la transformation de la perception publique. Lorsqu’une personne me dit « Juste un généraliste? », je réponds maintenant avec fierté « Absolument, j’ai choisi la MF comme spécialité ». Je me retrouve encore à vouloir défendre ce choix, par exemple en parlant de mes autres champs d’intérêt. Cependant, j’essaie de ne plus le faire et je rappelle, à moi et aux autres, que la MF est une spécialité, que les médecins de famille exercent un rôle extrêmement important et qu’avant tout, j’aime mon travail et je fais une véritable différence dans la vie des gens. Je me rappelle aussi que nous ne choisissons habituellement pas la MF pour l’argent, le prestige ou l’influence, même s’il est tout à fait possible de réaliser de telles aspirations. Nous choisissons la MF pour l’autonomie, les incroyables relations et le sens d’accomplissement qu’elle donne à notre vie.
Alors oui… si vous y tenez, j’imagine que vous pourriez dire que je suis juste un généraliste!
Comment vous impliquer : Cet article a-t-il touché une corde sensible? Si vous souhaitez présenter un article aux fins d’une éventuelle publication, nous vous invitons à le faire parvenir à l’équipe de la Section des résidents du Collège des médecins de famille du Canada à education{at}cfpc.ca!
Nous avons hâte de vous lire et de collaborer avec vous en vue d’un meilleur avenir en médecine familiale.
Footnotes
Remerciement
Cet article a antérieurement été publié sous forme de billet de blogue à https://www.cfp.ca/blog.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the February 2023 issue on page e45.
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