
Presque chaque jour, nous voyons à la clinique ou à l’hôpital des patients souffrant de douleur chronique et, pourtant, ce problème est mal compris et est l’un des plus difficiles à traiter1,2. Ce numéro du Médecin de famille canadien explore le thème de la douleur chronique en présentant de nouveaux travaux de recherche, un commentaire à ce sujet et des œuvres artistiques produites par des personnes qui ont vécu avec ce problème.
Puisque la douleur chronique a souvent pour origine d’autres maladies, les comorbidités sont habituellement multiples. Cette complexité est exacerbée par le fait que les patients ne sont pas toujours capables de décrire leurs symptômes en termes biomédicaux normatifs. Une étude australienne a documenté la façon dont les patients utilisaient des métaphores pour décrire leur douleur3. Un patient parlait d’une sensation de déchirure comme s’il avait « du barbelé entouré autour des pieds ». Selon les auteurs, le désir des patients d’être compris était manifeste dans toutes les données.
Nous espérons mieux vous faire comprendre les expériences des patients en nous servant de l’art présenté dans ce numéro. Notre image de la page couverture, intitulée Turning to Stone, est un tableau par Lili Wilde, qui a vécu avec le syndrome de la douleur régionale chronique jusqu’à son décès, en 2019. Ses options pharmacologiques étaient limitées en raison de graves allergies. Comme l’a écrit son conjoint Terry, le côté gauche de son visage était le seul endroit où la douleur était absente, « le seul endroit où elle pouvait se réfugier4 ».
Même lorsque les médicaments sont tolérés, les effets secondaires peuvent être sévères et même dangereux pour la vie. Nous devons reconnaître ici le rôle de l’industrie pharmaceutique. En 2020, Purdue Pharma a plaidé coupable à des accusations criminelles liées à son rôle dans l’épidémie des opioïdes aux États-Unis et a convenu de payer des amendes s’élevant à des milliards de dollars5. Pourtant, même si la mise en marché et la falsification de la recherche étaient imputables aux sociétés pharmaceutiques, les revues médicales ont, par inadvertance, favorisé ces activités. Comme le souligne un des articles de recherche du présent numéro (page 193), les revues médicales ont accepté des annonces publicitaires sur les opioïdes sans que soient toujours mentionnés les risques de dépendance et de décès6. Nous en avons beaucoup appris au cours de la dernière décennie, et il est maintenant bien compris que les opioïdes ne sont pas le traitement à privilégier pour la douleur chronique non cancéreuse7. L’importance des approches non pharmacologiques et des soins en équipe est aussi mise en évidence dans une description de programme par Assefa et ses collègues (page e53)8.
Les investigations de la douleur chronique donnent souvent lieu à des constatations restreintes, mais dans son commentaire (page 162), la Dre Maureen Allen discute de l’utilité de la neuro-imagerie non invasive9. Il ne s’agit pas de préconiser une imagerie par résonance magnétique fonctionnelle chez tous les patients souffrant de douleur chronique, du moins pas durant la crise qui sévit dans nos soins de santé à ressources limitées, mais de nouvelles recherches dans le domaine de la neuro-imagerie non invasive peuvent aider à valider les expériences des personnes atteintes de douleur chronique.
L’écoute active est une autre façon de valider les symptômes d’un patient. Dans son livre intitulé The Creative Act: A Way of Being, le producteur de musique Rick Rubin discute de l’importance de l’écoute dans le processus créatif, une approche qui peut être appliquée en médecine10. Il définit l’écoute comme étant la suspension de l’incrédulité et avance que la façon dont vous écoutez une personne influe sur la manière (et sur ce) qu’elle communique.
Par ailleurs, écouter peut ne pas être aussi facile qu’il le semble. Dans notre système de santé, l’épuisement professionnel est omniprésent, et l’une des caractéristiques de l’épuisement est le cynisme, une attitude très peu propice à l’écoute. Nous travaillons aussi dans un système qui valorise la quantité au détriment de la qualité (p. ex. par la persistance du modèle de rémunération à l’acte ou le recours à des objectifs de facturation fictive dans les modèles salariés). En médecine familiale, plus nous voyons de patients dans une journée, plus nous semblons utiles. Pourtant, il faut du temps pour traiter des patients atteints de douleur chronique. L’équilibre entre un travail efficace et une écoute empathique est délicat, et je ne l’ai pas encore atteint. Nous espérons que le contenu de ce numéro puisse fournir des renseignements supplémentaires pour nous aider à mieux soigner et aussi à mieux comprendre nos patients.
Footnotes
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