Tous les professionnels de la santé, quels que soient leurs domaines d’intérêt, verront et évalueront des clients qui ressentent de la douleur. La très grande majorité des cas de douleur chronique sont pris en charge en soins primaires1. Dans une revue exhaustive des meilleures données probantes accessibles, Korownyk et ses collègues ont reconnu qu’en dépit de la prévalence de la douleur chronique et de la recherche subséquente de thérapies efficaces, l’approche optimale de gestion en soins primaires demeure incertaine2. Et maintenant? Abandonnons-nous les thérapies inefficaces pour élaborer de nouvelles stratégies, peut-être en incorporant des données tirées de la neuro-imagerie non invasive et en adoptant entièrement un modèle biopsychosocial de soins? Pour ce faire, nous devons intégrer dans notre approche clinique la façon dont le cerveau humain engendre, atténue et module la douleur chronique. Cet article explore de récents progrès dans la neuro-imagerie non invasive et différentes façons dont les cliniciens peuvent utiliser ces connaissances dans la mise en application des lignes directrices de pratique clinique pour promouvoir des thérapies individualisées qui bâtissent la confiance et la résilience des patients vivant avec la douleur.
La douleur chronique est produite par le cerveau
Invariablement, la douleur passe toujours par le cerveau. La technologie offerte par la neuro-imagerie non invasive procure aux chercheurs un portrait objectif du cerveau pendant l’expérience de la douleur, de même que des forces qui contribuent au développement et au maintien des états de douleur persistants ou centralisés.
La douleur centralisée peut être attribuée à l’activation du système « d’alerte au danger » du cerveau3. En se servant de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), Hashmi et ses collègues ont démontré un virage dans la représentation cérébrale, passant de la circuiterie nociceptive à des circuits émotionnels ou centraux, en particulier chez les personnes qui éprouvaient des émotions négatives, comme la peur, la colère ou le chagrin3. Une fois engendrée, la douleur était renforcée par le conditionnement et par des réactions motivées par la peur de la douleur. Le cerveau des sujets est devenu plus centré sur la douleur, avec une réceptivité accrue dans les zones qui traitent l’anticipation et l’attention3. Des changements semblables pouvaient être observés dans le cerveau des personnes qui avaient des problèmes cliniques comme l’agoraphobie, la peur de prendre l’avion et la kinésiophobie3.
Qu’est-ce que la neuro-imagerie non invasive?
La neuro-imagerie non invasive utilise des techniques d’imagerie pour évaluer le fonctionnement cérébral. Il existe 5 types d’outils d’imagerie accessibles : la tomographie par émission de positrons, la spectroscopie proche infrarouge, la magnétoencéphalographie, l’électroencéphalographie et l’IRMf. En règle générale, la neuro-imagerie repose sur la capacité des chercheurs d’analyser les changements dans l’activité neuronale en mesurant les altérations, soit dans le métabolisme (flux sanguin, volume, oxygène ou métabolisme du glucose) ou dans la neurochimie (absorption des précurseurs neurotransmetteurs ou liaison aux récepteurs)4. Les techniques les plus courantes se basent sur le fait qu’une activité cérébrale accrue entraîne une augmentation du métabolisme de l’énergie et une élévation disproportionnée du débit sanguin cérébral régional4. L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle est la méthode d’imagerie la plus couramment utilisée dans la recherche sur la douleur4. Dans sa forme primaire, l’IMRf utilise l’imagerie de contraste qui dépend du taux d’oxygène sanguin. Cette technique d’imagerie est une mesure extrêmement utile dans les cas de douleur aiguë et expérimentale où le patient ressent de courtes périodes de douleur, suivies de courtes périodes sans douleur, ce qui cause une réaction hémodynamique qui change rapidement. Pour les problèmes de douleur chronique, une autre technique d’IRMf à l’aide du marquage des spins artériels est plus appropriée4. Le marquage des spins artériels permet une meilleure quantification du débit sanguin cérébral régional, permettant ainsi une estimation plus exacte du débit sanguin continu. Cette technique a été utilisée de manière constante chez les personnes souffrant de migraine chronique et de lombalgie chronique4.
Étude de cas
Jennifer est une femme de 47 ans qui souffre de lombalgie chronique. Elle explique qu’elle a été active toute sa vie malgré la douleur. Au cours de la dernière année, sa lombalgie l’a empêchée d’atteindre ses objectifs d’activité physique. Elle a essayé sans succès de se rendre à 10 000 pas par jour avec son podomètre et a pris près de 10 kg durant la pandémie de la COVID-19, ce qui contribue, selon elle, à sa douleur persistante. Elle dit passer des heures dans sa chambre à « reposer » son dos.
Jennifer est mère de 2 adolescents. Ses 2 fils l’aident à la maison avec les tâches ménagères, mais ils passent la plupart de leur temps à sortir avec leurs amis. Elle est séparée de son partenaire, Kevin, depuis 3 ans. Il est demeuré un participant actif dans la vie de leurs fils. Jennifer raconte qu’elle ne veut pas sortir avec des amis. Elle s’inquiète de contracter la COVID-19 et d’aggraver son mal de dos. Au cours de la dernière année, l’intensité de sa lombalgie s’est accrue sans signe précurseur. Parfois, elle a « mal partout ». Jennifer craint de s’infliger des blessures en faisant de l’exercice, d’aggraver sa douleur et de devenir handicapée. Elle avoue aussi ressentir de la solitude et de la culpabilité de ne pas être plus présente dans la vie de ses fils.
Avant la visite de Jennifer à votre clinique, vous aviez passé en revue ses résultats récents de laboratoire et les constatations à l’imagerie diagnostique. Durant la visite, vous écoutez le récit que fait Jennifer de sa douleur et vous l’examinez attentivement pour détecter une éventuelle pathologie nouvelle ou la progression d’un problème préexistant. Vous déterminez que la douleur croissante qu’elle ressent est associée à une douleur nociplastique ou chronique. Vous lui expliquez que des expériences comme la peur, l’incertitude et la solitude peuvent augmenter le signal de danger qu’émet son système de la douleur, ce qui le rend plus sensible et réactif5. Vous encouragez Jennifer à parler de ses craintes liées au fait de bouger et de la façon dont elles influent sur sa douleur.
Avec Jennifer, vous élaborez une stratégie d’exercice sous l’angle de la sécurité, en explorant divers types d’activités. Jennifer aime l’eau. Elle convient de participer à un programme de natation à la piscine communautaire. Elle accepte de mettre son podomètre de côté pour le moment et de porter une veste de sécurité lorsqu’elle est dans l’eau. Elle convient aussi de ne pas se fixer de conditions ou d’objectifs associés au poids dans ses activités. Elle se concentrera sur la joie et le plaisir de bouger.
Vous commencez aussi une démarche pour aider Jennifer à penser autrement à sa douleur chronique, et à faire la distinction entre sa douleur chronique (nociplastique), et les déclencheurs structurels (légères courbatures ou malaise après avoir fait travailler des groupes de muscles faibles ou asymétriques) et la douleur aiguë (nociceptive)6. L’envoi de messages de sécurité et de rassurance lorsqu’elle ressent de la douleur chronique et des déclencheurs structurels peut aider à une désensibilisation ou à une atténuation de l’intensité de la douleur. Même si la poursuite de ses activités lorsqu’elle ressent de la douleur causée par des déclencheurs structurels peut lui sembler contre-productive, il s’agit d’un important premier pas dans son cheminement de guérison de sa douleur7. Dans une visite de suivi, Jennifer vous dit qu’elle est allée à la piscine locale 3 fois par semaine et a commencé à se faire de nouveaux amis. Elle reconnaît qu’elle a encore un long chemin à parcourir pour se rétablir, mais elle a plus d’espoir pour son avenir et sa capacité de gérer sa douleur chronique avec votre soutien.
Conclusion
L’antidote à la peur est la sécurité. La promotion des thérapies contre la douleur centralisée qui sont individualisées commence avec la question : « Dans quelle mesure mon corps ressentit-il que la thérapie ou l’activité est sécuritaire? » De récentes lignes directrices reconnaissent l’importance de l’activité physique. La rencontre des personnes là où elles en sont dans le cheminement de leur douleur, avec curiosité et compassion, est la meilleure place où commencer.
Notes
Pour écouter le balado par les Dres Fraser et Allen en anglais, balayez le code ici.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 158.
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