Nous ne pouvons pas prévenir les phénomènes météorologiques extrêmes causés par le changement climatique, mais nous pouvons—et nous devons—nous y adapter.
Joanna Eyquem et Blair Feltmate1
Le vieillissement généralisé des populations est un phénomène croissant dans le monde; des populations entières vieillissent, tandis que la fertilité est à la baisse et que l’espérance de vie est à la hausse2. Le rapport des Nations Unies intitulé World Population Prospects 2019 indique ce qui suit :
En 2018, pour la première fois dans l’histoire, les personnes de 65 ans ou plus sur la planète ont surpassé en nombre les enfants de moins de cinq ans … Dès 2050, mondialement, le nombre de personnes de 65 ans ou plus sera supérieur à celui des adolescents et des jeunes de 15 à 24 ans3.
Le rapport des Nations Unies signale aussi que l’espérance de vie à la naissance augmente et l’on prévoit que cette hausse persistera au point où, dès 2050, la durée de vie moyenne sera mondialement d’environ 77 ans3. Au cours des dernières décennies, le vieillissement de la population est devenu généralisé, alors qu’historiquement, il se limitait à quelques régions géographiques, comme le Japon et l’Europe2. De nos jours, les populations vieillissantes en Asie orientale et du Sud-Est, en Amérique du Sud, dans les Caraïbes, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Europe et en Amérique du Nord propulsent le phénomène du vieillissement planétaire de la population3.
Évidemment, le vieillissement est un processus physiologique normal. De nombreux changements se produisent à mesure que les personnes prennent de l’âge, notamment des modifications à la répartition du gras corporel et aux mécanismes de thermorégulation, de même qu’un ralentissement général du métabolisme. À mesure que nous vieillissons, nous ressentons aussi les effets combinés des diverses atteintes à notre santé au cours de notre vie, qui, chez certains, engendrent des maladies ou des affections. Les maladies non transmissibles sont courantes dans la population plus âgée et, en 2019, elles représentaient mondialement environ 426 millions d’années perdues, ajustées en fonction de l’incapacité, chez les plus de 70 ans4. Il n’est pas surprenant que, dans les pays à revenu élevé, la polypharmacie augmente aussi avec le vieillissement des humains5, ce qui augmente encore plus le risque d’effets indésirables sur la santé. En outre, à mesure que les gens prennent de l’âge, leur capital social pourrait s’amenuiser, parce qu’ils quittent le marché de l’emploi, perdent des membres de leur famille et des pairs ou augmentent leur dépendance envers les autres.
Impacts du changement climatique sur la santé des adultes plus âgés
Le vieillissement augmente aussi les risques pour la santé causés par les effets du changement climatique. L’impact le plus évident est la moins bonne capacité de thermorégulation dans le contexte d’une chaleur extrême. De plus, les risques pour la santé liés au climat peuvent être directement associés à des événements météorologiques extrêmes comme les inondations et les incendies de forêt; les adultes plus âgés peuvent être plus vulnérables à ces phénomènes en raison de conditions sous-jacentes, comme des maladies cardiaques ou pulmonaires, ou parce qu’ils sont socialement isolés ou dépendants des autres pour se déplacer en toute sécurité. Dans de nombreuses régions du monde, il y a aussi des risques indirects pour la santé en raison de changements dans la répartition des maladies infectieuses, de l’insécurité alimentaire ou de conflits. La pollution de l’air, tant comme cause que résultat du changement climatique, a également des impacts directs et indirects importants sur la santé humaine, surtout chez les personnes souffrant de problèmes de santé sous-jacents.
Chaleur et vieillissement. Le changement climatique concerne principalement des températures plus élevées dans le monde, et il est donc probable que la chaleur et les canicules soient les phénomènes auxquels la plupart des gens pensent lorsqu’ils réfléchissent au changement climatique. De récents événements météorologiques extrêmes, comme le dôme de chaleur en Colombie-Britannique durant l’été de 2021, ont gardé ces préoccupations au premier plan dans la conscience publique. Ce dôme de chaleur a causé une augmentation de 440 % de la mortalité chez les aînés de plus de 50 ans vivant dans la communauté, qui habitaient la région du Grand Vancouver durant la semaine du 27 juin au 2 juillet 20216. Le Compte à rebours du Lancet, en 2021, rapporte que « les températures record en 2020 ont entraîné un nouveau sommet de 3,1 milliards de nombres de jours supplémentaires d’exposition des personnes âgées de plus de 65 ans aux épisodes caniculaires7 ».
En plus d’augmenter le risque de mortalité, la chaleur a un impact morbide chez les personnes plus âgées en raison des changements à leur capacité de thermorégulation, de leur sudation diminuée et des modifications à la circulation sanguine épidermique8,9. Des chercheurs aux Pays-Bas ont démontré que même lorsque la température extérieure n’est pas particulièrement élevée, si la température intérieure augmente, les personnes plus âgées ressentent des symptômes pénibles qui incluent la soif, une sudation excessive et de l’insomnie10. Une étude réalisée dans le sud de l’Allemagne a révélé que des hausses de température dans l’air ambiant nuisaient au fonctionnement physique des personnes très âgées (âge moyen de 80,9 ans), tel que mesuré par la rapidité de démarche habituelle, le temps de lever de chaise (p. ex. le temps nécessaire pour se lever et s’asseoir 5 fois de suite) et l’équilibre, qu’il y ait ou non une vague de chaleur11. Étant donné que la plupart des adultes plus âgés passent la majorité de leur temps à l’intérieur, les risques pour leur santé sont d’autant plus élevés durant les vagues de chaleur si le rafraîchissement et la ventilation de l’air ambiant ne sont pas suffisants et facilement accessibles.
Dans une étude effectuée à Boston (Massachusetts), on a observé que les vagues de chaleur multipliaient par 7 le nombre d’hospitalisations dues à la chaleur chez les personnes âgées, et que leur impact était le plus grand durant la première canicule de la saison12. Les adultes plus âgés souffrant de problèmes de santé chroniques qui prennent des médicaments sont encore plus vulnérables à des préjudices causés par la chaleur, surtout s’ils prennent des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine ou des bloqueurs des récepteurs de l’angiotensine, des anticholinergiques, des antipsychotiques ou des diurétiques de l’anse8. Aux États-Unis, une importante étude par Layton et ses collègues a démontré une hausse statistiquement significative d’hospitalisations dues à une maladie liée à la chaleur durant les mois estivaux, lorsque les patients âgés prenaient ces médicaments, même en l’absence d’une vague de chaleur8.
Réponse de la santé publique
Le changement climatique pose la plus grande menace pour la santé à laquelle l’humanité et la viabilité de notre planète font face.
Theresa Tam13
Compte tenu des risques manifestes pour la santé des aînés, du vieillissement de la population et de l’inévitable réchauffement planétaire, il nous incombe d’être proactifs et de réfléchir stratégiquement au système de santé et à la réponse de la santé publique à cette menace.
Systèmes d’alerte d’urgence. Un certain nombre de villes ont élaboré des plans d’action en cas de canicule ou des systèmes d’alerte à la chaleur conçus pour offrir à leurs citoyens des stratégies de rafraîchissement et les avertir des dangers pour la santé causés par les vagues de chaleur. En 2004, Montréal (Québec) a mis sur pied un plan d’action en cas de canicule, qui comportait des avertissements publics concernant la prévention des malaises liés à la chaleur, une surveillance plus intense, des mesures préventives dans les établissements de santé, le prolongement des heures d’ouverture des piscines et l’aménagement d’abris climatisés14. Il a été démontré que ce plan d’action avait permis de diminuer, dans l’ensemble, la mortalité liée à la chaleur de 2,52 décès par jour, et que ses effets avaient été les plus bénéfiques pour les adultes plus âgés et les résidents des quartiers socioéconomiquement plus défavorisés14.
Mobilisation des professionnels de la santé. Les médecins de famille sont particulièrement bien placés pour défendre les intérêts de nos patients plus âgés, et nous pouvons les aider à se préparer en vue des impacts climatiques.
Préparer une liste de vérification des médicaments pour les « jours de chaleur » à l’intention des patients âgés et donner des conseils sur la façon d’ajuster la médication durant les canicules et les situations où il leur faut demander de l’aide.
Discuter de plans d’urgence en cas de dangers météorologiques pour les adultes plus âgés vivant seuls.
Dresser une liste d’adultes plus âgés vulnérables; envisager de demander au personnel de la clinique d’appeler ces patients durant les vagues de chaleur, en particulier lors de la première canicule de la saison.
Passer en revue les signes de déshydratation avec les adultes plus âgés durant leurs visites de suivi pour la pression artérielle ou l’insuffisance cardiaque.
En plus de s’occuper des adultes plus âgés vivant dans la communauté, des médecins de famille de toutes les régions du Canada soignent les adultes âgés les plus vulnérables qui résident en établissements de soins de longue durée, et bon nombre de ces établissements ne sont pas adéquatement aménagés pour des incidents climatiques. Nous pouvons recommander que ces établissements installent des aires de microclimats rafraîchissants à l’extérieur15 et mettent en œuvre des stratégies de conception de bâtiments prêts pour l’avenir, qui utilisent des combinaisons de climatisation passive et active16. Les plus récentes normes de l’Ontario pour les Services de soins de longue durée (SSLD) incluent maintenant des objectifs d’intendance environnementale visant à atténuer les répercussions des foyers des SSLD sur l’environnement; par ailleurs, aucune mention n’est faite de stratégies précises d’adaptation pour protéger les aînés des effets du changement climatique17. Les professionnels de la santé publique et des soins primaires peuvent plaider auprès des instances municipales, provinciales et fédérales pour que des stratégies d’adaptation au changement climatique fassent désormais partie de telles politiques.
Conclusion
La lutte contre le changement climatique et ses impacts sur la santé de nos populations vieillissantes pourrait devenir un excellent exemple de l’intégration des soins cliniques et de la santé publique, soit de la médecine clinique populationnelle. Les médecins, les infirmières praticiennes et les travailleurs sociaux peuvent jouer un rôle crucial dans la prévention des maladies chroniques chez leurs patients et, ce faisant, réduire leurs risques dus au changement climatique lorsqu’ils vieillissent.
Les médecins de famille qui gèrent rigoureusement les médicaments de leurs patients plus âgés peuvent les renseigner sur les façons d’éviter les effets indésirables dus à la médication durant des canicules et les aider à se prémunir contre les malaises liés à la chaleur. Les cliniciens peuvent diriger leurs patients âgés et leur famille vers des ressources en santé publique ou municipales pour qu’ils puissent mieux composer avec les canicules ou avec la mauvaise qualité de l’air inquiétante durant la saison des incendies de forêt. Les professionnels de la santé, comme les paramédicaux communautaires, les médecins de famille ou les infirmières de santé publique peuvent tenir une liste des aînés vulnérables dans leur voisinage. Lorsqu’il se produit un désastre naturel, ces listes pourraient servir à organiser des suivis ciblés, en collaboration avec les unités locales de santé publique. Les autorités de la santé publique peuvent soutenir les efforts des cliniciens au moyen de campagnes médiatiques et de documents d’information, de même qu’en avertissant les professionnels de la santé lorsque les risques sont particulièrement élevés. Tous ces efforts, bien qu’ils soient importants pour chaque personne, feront partie intégrante des fonctions de la médecine clinique populationnelle en matière d’évaluation, de politiques et d’assurance de la santé18 qui favoriseront l’adaptation et la résilience dans notre système de santé et chez notre population vieillissante face aux bouleversements climatiques.
À court terme, le changement climatique aura des impacts sur nos communautés. Il nous incombe, en tant que professionnels de la santé, de travailler ensemble à des solutions qui aideront les plus vulnérables parmi nous à s’adapter au changement climatique. Il faudra travailler tous ensemble pour faire une différence substantielle.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
This article is also in English on page 233.
- Copyright © 2023 the College of Family Physicians of Canada