
Le but de l’argumentation ou de la discussion ne devrait pas être la victoire, mais le progrès.
Joseph Joubert
Un des rôles importants, bien qu’il soit difficile, du Médecin de famille canadien (MFC) est de donner libre cours à des discussions fondés sur les faits et empreints de respect au sujet des plus épineux enjeux d’actualité en médecine familiale (MF).
Le projet qu’a le Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) de prolonger la formation postdoctorale, dont la durée passerait de 2 à 3 ans, de manière à l’harmoniser avec celle de plusieurs de nos homologues internationaux, est l’une des questions les plus controversées en MF actuellement. Il est cependant important que le MFC encourage et encadre les débats à ce propos.
Ils sont nombreux à s’opposer à ce changement, surtout à une époque où de moins en moins d’étudiants en médecine choisissent une carrière en MF1. Nous savons que les MF plus âgés ont pris leur retraite en 2 fois plus grand nombre durant la pandémie que par le passé2, et que plus de 6 millions de Canadiens ne peuvent pas se trouver de MF3. Ces opposants craignent qu’une troisième année de formation puisse nuire davantage au recrutement de MF, engorger les programmes de résidence et exacerber le problème des effectifs en MF. Toutefois, les partisans craignent que les résidents en MF choisissent une troisième année de formation dans des pratiques ciblées au lieu d’offrir des soins complets et globaux après leur diplôme, parce qu’ils se sentent insuffisamment préparés à le faire après un programme de 2 ans.
Personnellement, j’ai toujours pensé que la formation en MF au Canada devrait durer plus longtemps, non pas pour mieux préparer les stagiaires à la pratique globale, mais à d’autres fins importantes : par exemple, une formation plus approfondie en recherche pour tous les MF nous permettrait d’être les concepteurs de notre propre développement professionnel continu (et de moins dépendre de nos collègues spécialistes). Je suis sûr que peu seraient d’accord.
L’établissement de liens entre des ensembles de données pour révéler un problème dans le système constitue l’une des formes les plus puissantes de la recherche sur les services de santé. Dans le numéro de ce mois, une étude par la Dre M. Ruth Lavergne et ses collègues (page 551) examine et décrit la globalité des soins prodigués par les MF en Nouvelle-Écosse, en Ontario, au Manitoba et en Colombie-Britannique, entre 1999 et 2000 et entre 2017 à 20184.
Les auteurs ont constaté que le déclin dans la globalité des soins était davantage attribuable au fait que les MF travaillaient en moyenne dans moins de milieux cliniques, plutôt qu’à un moins grand nombre de services offerts en clinique. Même si les caractéristiques de la population de MF ont changé durant les périodes à l’étude, qu’il s’agisse des années de pratique, du sexe, du milieu urbain ou rural, ou du lieu de la formation, les déclins dans la globalité étaient observés dans toutes les catégories et les 4 provinces, et ne s’expliquaient pas par des changements générationnels, la proportion grandissante de femmes médecins ou des changements dans la formation.
Puisque le déclin de la globalité est présent quel que soit l’âge des MF, les auteurs maintiennent que le CMFC devrait préconiser des réformes du système qui permettent à tous les MF d’exercer de manières plus viables au lieu de changer la durée de la formation (page 528)5.
Steve Slade, la Dre Nancy Fowler et le Dr Lawrence C. Loh du CMFC répliquent en soulignant certaines limites de la recherche sur de grands ensembles de données et des conclusions qui en résultent (page 522)6. Ils se disent plutôt en faveur d’une troisième année de formation en citant un important corpus de recherches démontrant que la formation en MF façonne effectivement la portée future de la pratique des MF.
En tant que MF diplômé après une résidence de 2 ans et et ayant pratiqué pendant les 2 périodes à l’étude, je peux parler de ma formation insuffisante et du déclin de la globalité de mes soins, et y réfléchir.
Ma formation ne m’a pas préparé complètement à une pratique généraliste globale qui, pour moi, a culminé vers 2000, alors que je dirigeais une unité de MF à l’hôpital, que je faisais des visites hebdomadaires à domicile et que je dispensais des soins palliatifs, tout en dirigeant une clinique offrant des soins complets. Jai atteint ma vitesse de croisière grâce à l’expérience acquise sur le tas. En 2017, la globalité a commencé à ralentir, en raison de changements comme le vieillissement de la population, l’influence des guides de pratique clinique qui rehaussaient les normes de soins, les fardeaux administratifs plus nombreux et les progrès en médecine qui ont rendu l’exercice plus complexe.
Les résidents en MF seront-ils un jour entièrement préparés pour la pratique? Probablement pas, mais ils entrent dans un monde médical plus complexe et exigeant que moi. Il incombe aux dirigeants et aux enseignants en MF de les préparer pour l’avenir, même si nous ne nous entendons pas encore sur la meilleure manière de le faire.
Footnotes
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