En mai 2023, on avait recensé plus de 50 000 décès liés à la COVID-19 au Canada1. Heureusement, grâce à l’adhésion à la vaccination, la morbidité et la mortalité ont diminué, et plus de 85 % des Canadiens de 30 ans ou plus ont reçu la première série du vaccin2. Même si le variant Omicron semble causer une maladie moins sévère que le variant Delta3,4, certaines personnes (celles qui sont immunodéprimées, ne sont pas vaccinées, ont 65 ans ou plus, ou souffrent de multiples comorbidités)5 continuent d’être à risque accru d’une progression vers une COVID-19 sévère et pourraient bénéficier d’un traitement antiviral6. Cet article offre des conseils sur le rôle du nirmatrelvir-ritonavir dans le traitement des patients non hospitalisés souffrant de la COVID-19.
Description du premier cas
Léon est un homme de race blanche de 71 ans qui fréquente votre clinique depuis plus de 20 ans. Ses antécédents médicaux incluent l’hypertension, le diabète et l’arthrite rhumatoïde. Il ne fume pas et habite chez lui avec sa conjointe.
Aujourd’hui, Léon appelle à la clinique pour obtenir des conseils, parce qu’il ne se sent pas bien depuis quelques jours et a reçu ce matin des résultats positifs à un test à domicile pour la COVID-19.
Données probantes en faveur de l’utilisation du nirmatrelvir-ritonavir
Des lignes directrices font valoir que des adultes non hospitalisés à risque élevé d’une progression vers une COVID-19 sévère devraient recevoir une thérapie antivirale7-9. Le nirmatrelvir-ritonavir a été approuvé par Santé Canada en janvier 2022, et il est préféré sur le plan pratique au remdesivir par voie intraveineuse et à d’autres traitements pour la COVID-19 en raison de son administration par voie orale10,11.
Les données probantes initiales en faveur du nirmatrelvir-ritonavir provenaient de l’essai randomisé contrôlé (ERC) EPIC-HR (Évaluation de l’inhibition de la protéase pour la COVID-19 chez les patients à risque élevé), qui s’est terminé en 202212,13. Dans cet essai, plus de 2000 patients positifs à la COVID-19 qui étaient à risque élevé de progresser vers une COVID-19 sévère ont été recrutés durant les 5 premiers jours suivant l’apparition de leurs symptômes. Les patients n’étaient pas vaccinés et n’avaient pas contracté la COVID-19 auparavant. L’étude a démontré qu’une combinaison de 300 mg de nirmatrelvir et de 100 mg de ritonavir 2 fois par jour pendant 5 jours réduisait les paramètres composites d’une hospitalisation pour la COVID-19 ou d’un décès toutes causes confondues. Le risque relatif a été diminué d’environ 88 % par rapport à un placebo, et le nombre nécessaire à traiter se situait à 18 (IC à 95 % de 14 à 25) après 28 jours de suivi (taux d’événements=0,77 % avec le nirmatrelvir-ritonavir contre 6,31 % avec le placebo). Cet essai a été effectué avant l’émergence du variant Omicron de la COVID-19.
Des études observationnelles ont depuis été effectuées pour évaluer l’efficacité du nirmatrelvir-ritonavir dans des milieux concrets et des populations de patients exclues de l’essai EPIC-HR. Par exemple, dans une étude rétrospective de cohortes dans la population en Ontario, on a constaté chez des personnes traitées sous nirmatrelvir-ritonavir une réduction relative de 44 % dans les paramètres composites d’une hospitalisation pour la COVID-19 ou du décès toutes causes confondues (rapports de cotes après analyse pondérée=0,56; taux d’événements=2,1 c. 3,7 %; nombre nécessaire à traiter=62 après 30 jours de suivi)6. Durant la période à l’étude, le variant Omicron était prédominant, et plus de 93 % des personnes avaient reçu 1 ou plusieurs doses du vaccin contre la COVID-19. Même si les bienfaits relatifs du nirmatrelvir-ritonavir dans cette étude étaient moins importants que dans l’essai EPIC-HR, ces études et d’autres réalisées internationalement ont confirmé l’efficacité dans le monde réel du nirmatrelvir-ritonavir lorsqu’il est administré à des patients à risque élevé5,14-21.
Détermination du risque de progression vers une COVID-19 sévère
Il n’existe pas d’outils validés pour calculer le risque individuel de progression vers une forme sévère de la maladie. Par ailleurs, un modèle de risques22 a été produit en se fondant sur les taux d’hospitalisation durant la vague de l’Omicron en Colombie-Britannique, et une liste d’autres outils utiles se trouve aussi dans l’Encadré 122-30. Le modèle de risques tient compte des données observationnelles dans une population précise durant une période en particulier, ce qui rend sa généralisation incertaine.
Outils pour la prescription du nirmatrelvir-ritonavir
Calculateur des risques
Guide de pratique clinique du Comité de la thérapeutique pour la COVID de la Colombie-Britannique22
Ressources pour la prise en charge des interactions médicamenteuses
Outil pour la pratique du Comité de la thérapeutique pour la COVID de la Colombie-Britannique23
Mémoire de la Table consultative scientifique de la COVID-19 de l’Ontario et de l’École de pharmacie de l’Université de Waterloo24
Site Web ou application mobile de l’Université de Liverpool sur les interactions médicamenteuses dans les cas de COVID-1925
Ressource pour les cliniciens de l’Infectious Diseases Society of America26
Lignes directrices sur les interactions médicamenteuses dans le traitement de la COVID-19 des National Institutes of Health27
Fiches d’information à l’intention des patients
Feuillet pour les patients sur le nirmatrelvir-ritonavir de medSask28
Information pour les patients sur le traitement de la COVID-19 concernant le nirmatrelvir-ritonavir, produite par le British Columbia Centre for Disease Control29
Feuillet d’information sur le nirmatrelvir-ritonavir de Santé Ontario30
Lorsqu’on débute un traitement avec le nirmatrelvir-ritonavir, il est nécessaire d’évaluer la fonction rénale et hépatique au point de départ. Les personnes dont ces fonctions sont réduites peuvent nécessiter une diminution de la dose ou une thérapie différente contre la COVID-1922,23.
De retour à Léon
Léon vous informe que ses symptômes ont commencé il y a 3 jours et qu’il a de la toux, des maux de tête, des douleurs musculaires et le nez qui coule. Il n’a pas le souffle court ni de fièvre, de douleur ou de pression thoracique, et il n’a pas réduit sa consommation d’aliments ou de liquides. Il s’agit de la première fois qu’il a des résultats positifs pour la COVID-19.
Vous passez en revue le dossier médical électronique de Léon. Il a reçu sa première série de vaccins contre la COVID-19 ainsi que les doses de rappel recommandées. Ses analyses sanguines les plus récentes ne révèlent aucune dysfonction rénale ou hépatique. Son plus récent vaccin contre la COVID-19 remonte à 8 mois.
Les symptômes de Léon sont apparus durant l’intervalle de 5 jours recommandé pour amorcer une thérapie, et il est à risque accru d’hospitalisation pour la COVID-19 en raison de son âge (71 ans), de ses médicaments (il prend du méthotrexate, qui est un immunosuppresseur), de son état de santé (il est diabétique et hypertendu). À l’aide d’un modèle de risques22, vous indiquez à Léon que son risque d’une hospitalisation pour la COVID-19 durant son infection actuelle pourrait être de plus de 10 % et qu’il répond aux critères pour recevoir une ordonnance de nirmatrelvir-ritonavir dans votre province.
Prise en charge des interactions médicamenteuses avec le nirmatrelvir-ritonavir
Le nirmatrelvir est administré conjointement avec du ritonavir, un amplificateur pharmacocinétique. Le ritonavir est un puissant inhibiteur 3A4 d’isoenzyme P450 cytochrome et un inhibiteur de P-glycoprotéine, qui inhibe le métabolisme du nirmatrelvir et, par conséquent, il prolonge la durée d’action du nirmatrelvir31. Compte tenu de ces propriétés, l’amorce du nirmatrelvir-ritonavir chez un patient qui prend plusieurs médicaments exige une approche réfléchie de la prise en charge des interactions médicamenteuses. Des données observationnelles font valoir qu’environ 2 patients sur 3 qui ont 70 ans ou plus nécessiteront la gestion d’une interaction médicamenteuse lorsqu’on leur prescrira du nirmatrelvir-ritonavir6. On trouvera des outils utiles sur les interactions médicamenteuses dans les cas de COVID-19 à l’Encadré 122-30.
Éducation des patients et attentes relatives au nirmatrelvir-ritonavir
Le nirmatrelvir-ritonavir est un médicament acquis par le gouvernement fédéral; il est actuellement gratuit pour les Canadiens qui répondent aux critères établis par les provinces et les territoires. Il est accessible par l’entremise des pharmacies dans la communauté ou des cliniques spécialisées en COVID-19 dans certaines régions.
Le nirmatrelvir-ritonavir est habituellement bien toléré. Dans l’ERC EPIC-HR, les taux d’événements indésirables étaient semblables entre le nirmatrelvir-ritonavir (22,6 %) et le placebo (23,9 %)12. La cessation en raison des événements indésirables (2,1 c. 4,2 %) et les taux d’événements indésirables graves (1,6 c. 6,6 %) étaient respectivement moins importants avec le nirmatrelvir-ritonavir qu’avec le placebo12. Chez les personnes traitées avec le nirmatrelvir-ritonavir, les taux de dysgueusie (5,6 % par rapport à 0,3 % avec le placebo) et de diarrhée (3,1 c. 1,6 %) étaient plus élevés12. Des données observationnelles ont signalé des résultats semblables sur le plan de l’inocuité15.
Empiriquement, la dysgueusie avec le nirmatrelvir-ritonavir a été rapportée plus souvent dans la pratique que durant les essais cliniques. Elle ne peut pas être masquée et se résorbe habituellement quelques jours après l’arrêt du nirmatrelvir-ritonavir32. Il existe de nombreux outils d’information pour les patients qui expliquent le mécanisme d’action du nirmatrelvir-ritonavir, son administration, ses effets secondaires et la gestion des interactions médicamenteuses (Encadré 1)22-30.
De retour à Léon
En raison de ses facteurs de risque (immunosuppression, âge et comorbidités), Léon répond aux critères établis pour la prescription du nirmatrelvir-ritonavir dans votre province. Vous discutez du bienfait possible tiré de la diminution de son risque d’hospitalisation pour la COVID-19 ainsi que de la possibilité d’effets secondaires, comme des changements dans sa perception du goût, si le nirmatrelvir-ritonavir est amorcé. Léon accepte de commencer la thérapie.
Avec le dossier médical électronique de Léon, vous faites une vérification comparée avec ses autres médicaments : il prend 5 mg de ramipril par voie orale par jour, 2,5 mg d’amlodipine par voie orale par jour, 1000 mg de metformine par voie orale 2 fois par jour, 10 mg d’atorvastatine par jour, 25 mg de méthotrexate par voie orale 1 fois par semaine, 1 mg d’acide folique par jour les jours où il ne prend pas de méthotrexate et de 200 à 400 mg d’ibuprofène par voie orale toutes les 8 heures au besoin. Léon ne prend pas d’autres médicaments en vente libre ni de produits de phytothérapie.
Le Tableau 1 décrit les résultats de votre recherche sur les interactions médicamenteuses pour Léon. Vous demandez à Léon d’arrêter de prendre l’atorvastatine pendant qu’il est sous nirmatrelvir-ritonavir et les 2 jours suivants (total de 7 jours). En le questionnant, vous apprenez que sa pression artérielle à la maison est habituellement d’environ 150/105 mm Hg. Avec l’assentiment de Léon, vous décidez de continuer l’amlodipine à la dose actuelle sous une surveillance accrue. Léon accepte de mesurer sa pression artérielle tous les jours et d’appeler votre clinique s’il ressent des symptômes d’hypotension. Vous lui faites des suggestions de soins de soutien et lui rappelez de ne pas prendre sa metformine et de limiter son utilisation d’ibuprofène si sa consommation orale diminue (selon les critères de SADMANS [sulfonylurées, autres sécrétagogues; inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine; diurétiques, inhibiteurs directs de la rénine; metformine; bloqueurs des récepteurs de l’angiotensine; anti-inflammatoires non stéroïdiens; inhibiteurs du cotransporteur du sodium-glucose de type 2])33.
Vous envoyez par télécopieur une prescription pour une combinaison de 300 mg de nirmatrelvir et de 100 mg de ritonavir 2 fois par jour pendant 5 jours à une pharmacie dans la communauté. Vous transmettez aussi à la pharmacie le plan de prise en charge des interactions médicamenteuses.
Vérification des interactions médicamenteuses pour Léon
Description du deuxième cas
Trois jours plus tard, Marion, la conjointe de Léon, qui est aussi votre patiente, appelle votre clinique et signale des symptômes semblables à ceux de Léon, de même que des résultats positifs à un test pour la COVID-19. Marion est une femme de race blanche de 63 ans. Elle ne fume pas non plus. À l’examen du dossier médical électronique de Marion, vous voyez qu’elle a reçu sa première série de vaccins contre la COVID-19 et les doses de rappel recommandées, dont la plus récente remonte à 8 mois. Sa liste de médicaments consiste en une multivitamine par jour et un anneau intravaginal de 2 mg d’œstradiol qu’elle utilise pour des symptômes génito-urinaires de la ménopause.
Personnes à faible risque de progression vers une COVID-19 sévère
Des lignes directrices font valoir que les adultes non hospitalisés à faible risque d’une progression vers une forme grave de la maladie ne devraient pas recevoir de thérapie antivirale contre la COVID-197-9.
Dans l’ERC EPIC-SR (Évaluation de l’inhibition de la protéase pour la COVID-19 chez les patients à risque normal) auprès de patients positifs à la COVID-19 à risque normal, le nirmatrelvir-ritonavir n’a pas apporté de bienfaits significatifs par rapport au placebo (taux d’événements=0,87 % avec le nirmatrelvir-ritonavir c. 1,76 % avec le placebo pour une hospitalisation ou un décès liés à la COVID-19)34,35. Par conséquent, l’essai s’est terminé rapidement34,35. De même, des données observationnelles d’une étude de 2022 n’ont pas cerné de bienfaits avec le nirmatrelvir-ritonavir chez des patients adultes positifs à la COVID-19 âgés de 40 à 64 ans à faible risque d’une progression vers une forme sévère de la maladie (15,2 cas par 100 000 jours-personnes chez les patients traités c. 15,8 cas par 100 000 jours-personnes chez les patients non traités)5.
De retour à Marion
Vous rappelez Marion et vous confirmez avec elle ses antécédents médicaux, ses médicaments et son statut vaccinal. Un modèle de risques22 suggère que le risque d’une hospitalisation pour la COVID-19 durant son infection actuelle est d’environ 1 à 2 %. Les meilleures données probantes disponibles montrent que les patients à faible risque comme Marion ne bénéficieront probablement pas du nirmatrelvir-ritonavir. Vous expliquez à Marion qu’elle est à plus faible risque que Léon et qu’elle ne répond pas aux critères établis dans votre province pour désigner les patients admissibles au nirmatrelvir-ritonavir. Vous la rassurez et vous lui suggérez des soins de soutien pour ses symptômes.
Conclusion
Le nirmatrelvir-ritonavir est l’agent à privilégier pour le traitement des patients non hospitalisés à risque élevé d’une progression vers une forme sévère de la COVID-19. Sa prescription nécessite une évaluation du risque individuel au départ et de la durée des symptômes, une prise en charge des éventuelles interactions médicamenteuses et la fourniture de renseignements aux patients.
Footnotes
Intérêts concurrents
Le Programme de formation continue en pharmacothérapie RxFiles est financé par l’entremise d’une subvention des Autorités sanitaires de la Saskatchewan à l’Université de la Saskatchewan; les recettes additionnelles « sans but lucratif ni perte de bénéfice » proviennent de la vente de livres et des abonnements en ligne. Aucune aide financière n’a été obtenue pour cette publication.
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The English version of this article is available at https://www.cfp.ca on the table of contents for the August 2023 issue on page 546.
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